Sciences

La recherche sur l’embryon et les cellules souches est-elle éthique?

18/07/2013 | par Daniel Eisenberg

Le 16 juillet, le Parlement a autorisé la recherche sur l'embryon et les cellules souches. Quelle est la position du judaïsme sur ce débat?

Le Parlement a définitivement adopté, mardi 16 juillet, le texte autorisant la recherche sur l'embryon et les cellules souches, soutenu par le gouvernement.

Cette proposition de loi des radicaux de gauche a été adoptée par 314 voix contre 223. La recherche sur l'embryon et les cellules souches passe ainsi de l'interdiction avec dérogations, en vigueur depuis 2004, à l'autorisation encadrée (Source : Le Monde).

Quelle est la position du judaïsme sur ce débat ? Explications du Dr Daniel Eisenberg, animateur de groupes d’étude médicale juive au centre médical Albert Einstein :

Dans une chambre d’hôpital, un homme est à l'article de la mort, souffrant d’insuffisance hépatique. Il n’a que peu de chances de faire partie, avant d’être trop atteint pour pouvoir être sauvé, des rares bénéficiaires d’une transplantation d’organe. Et même s’il reçoit effectivement une greffe, il sera accablé sous la masse des multiples médicaments antirejet qu’il devra absorber jusqu’à la fin de ses jours, substances en outre de nature à compromettre gravement sa santé.

Désormais, les savants ont développé une méthode qui permettra de reconstituer pour cet homme un nouveau foie, parfaitement adéquat à son organisme, et qui ne nécessitera plus la prise d’aucune substance antirejet. Toutefois, ce résultat ne pourrait être obtenu que grâce à la destruction d’autres vies embryonnaires. Le judaïsme permet-il une telle solution ?

Il est clairement défendu par la loi juive d’ôter une vie pour en sauver une autre. Le Talmud (Yoma 82b) interdit que l’on sauve sa vie aux dépens de celle d’autrui : Sa propre vie a-t-elle plus de valeur que celle de son prochain ? Peut-être est-ce la vie du prochain qui a le plus de valeur !

Quand l’embryon pose une menace à la vie d’autrui

Mais que se passe-t-il si la vie qui doit être sacrifiée est celle d’un embryon ? L’avortement serait-il permis pour sauver la vie d’une personne déjà venue au monde ? La Michna affirme sans équivoque que si la vie d’une femme en couches est menacée par celle de son fœtus, elle est en devoir d’avorter. Mais une fois qu’une partie du bébé a émergé a l’air libre, l’avortement est interdit en vertu du principe voulant que l’on n’ôte pas la vie d’une personne au dépens de celle d’une autre.

Il est permis de tuer un individu qui « poursuit » une tierce personne dans l’intention de la tuer.

Le principe sous-tendant cette décision halakhique est qu’il est permis de tuer un individu qui « poursuit » une tierce personne dans l’intention de la tuer. Etant donné que le fœtus, qui n’est pas encore considéré comme une personne à part entière, « poursuit » sa mère d’une manière qui signera définitivement sa mort, il est permis de le tuer. Mais une fois qu’il voit le jour, il est considéré comme une personne à part entière. Dès lors, souligne le rabbin Moché Feinstein, une sommité rabbinique du 20ème siècle, nous sommes pris dans un dilemme : qui poursuit qui ?

Poursuivants et pousuivis

Dans le présent cas du bébé qui lutte pour sa venue au monde au détriment de la vie de sa mère. Et de la mère qui lutte pour survie au détriment de celle de son fœtus, ne sommes-nous pas en présence d’un cas où le bébé et la mère se poursuivent mutuellement ?

Dans une telle occurrence, la règle générale est qu’on ne peut donner la préséance à aucun des deux, car aussi bien la mère et le bébé sont des personnes à part entière, et tous deux sont aussi bien des « poursuivants » que des « poursuivis ». Heureusement, de tels scénarios sont rares de nos jours grâce à la possibilité des naissances par césarienne.

Une situation qui menacerait gravement la vie d’un autre adulte ne justifierait pas que l’on tue un fœtus.

En revanche, s’il s’agit d’ôter la vie d’un fœtus pour sauver celle d’un adulte qui n’est pas sa mère, le raisonnement de la loi juive autorisant l’avortement n’a plus cours car le fœtus ne menace aucunement l’existence de cet adulte en danger. On ne peut donc pas permettre un avortement, même pour sauver la vie d’un malade souffrant d’une insuffisance hépatique.

La destruction des « pré-embryons »

Qu’en est-il du cas où pour sauver la vie de notre malade, les chercheurs doivent uniquement détruire les œufs en surplus fertilisés au cours d’une fécondation in vitro (FIV), lorsqu’ils n’ont que quelques jours et n’ont pas encore été implantés dans l’utérus d’une femme ? Est-ce que cette destruction nous est acceptable du point de vue moral ? C’est là très exactement le débat actuel autour de la recherche sur les cellules souches.

Si les cellules souches peuvent être prélevées sur des fœtus interrompus et même sur des adultes, la meilleure source est constituée par le petit ensemble de cellules qui composent le premier zygote la première cellule diploïde d’un individu quelques jours seulement après la fécondation. C’est ainsi que, pour mieux examiner les possibilités latentes inhérentes aux cellules souches, les scientifiques souhaitent pouvoir utiliser environ 100 000 pré-embryons en surplus congelés qui ont été « abandonnés » après des tentatives manquées de FIV. A-t-on le droit de détruire des pré-embryons afin d’obtenir des cellules souches pour une recherche qui sauvera peut-être un jour des milliers de vies ?

Les cellules souches embryonnaires ont la capacité de se différencier selon chaque cellule du corps humain, et de former ainsi potentiellement un fœtus entier. Si nous pouvions maîtriser les conditions contrôlant la différentiation cellulaire, nous pourrions créer des cellules de remplacement et des organes, et guérir ainsi des maladies comme le diabète, la maladie d’Alzheimer et celle de Parkinson.

Mais l’espoir suprême de la technologie des cellules souches serait de la combiner avec le clonage. Imaginons notre malade atteint d’insuffisance hépatique et sur le point de mourir. Si nous pouvions cloner une de ses cellules, mais au lieu de permettre à cette cellule de se développer dans un fœtus, la placer dans un environnement approprié qui lui permettrait de se différencier sous la forme d’un foie qui serait génétiquement presque identique à celui de l’homme malade, et si nous pouvions « cultiver » ce foie jusqu’à maturité, nous serions en mesure d’offrir une greffe de foie à l’homme malade sans risque du rejet et sans besoin de médicaments antirejet.

Malheureusement, nous ne savons pas encore si nous pourrons un jour cloner un homme avec succès, ni ne sommes certains de la valeur pratique qui pourra être tirée de cellules souches. Il faudra des années de recherches très onéreuses et très délicates pour déterminer les possibilités que peuvent offrir ces cellules pour le traitement, la prévention et la guérison des maladies humaines.

Les pré-embryons sont-ils inclus dans l’interdiction de l’avortement ?

Avons-nous le droit de sacrifier des pré-embryons pour procéder à des expérimentations sur leurs cellules souches dans l’espoir de sauver un jour de nombreuses vies ? Cette question soulève beaucoup d’enjeux d’ordre éthique, mais elle est subordonnée à celle de savoir si les pré-embryons sont inclus dans l’interdiction de l’avortement. Tout le monde s’accorde à considérer aujourd’hui qu’un embryon n’est protégé par les limitations sur l’avortement que s’il a été implanté dans une femme. La plupart des raisonnements donnés pour expliquer l’interdiction de l’avortement par la Tora, sauf lorsqu’il s’agit de sauver la vie de la mère, présupposent que le fœtus se trouve dans le corps de la femme.

Tout le monde s’accorde à considérer aujourd’hui qu’un embryon n’est protégé par les limitations sur l’avortement que s’il a été implanté dans une femme.

La logique selon laquelle un embryon ne devient un être humain qu’après implantation dans l’utérus est simple. Si on l’y « laisse tranquille », il a toutes les chances de se développer normalement et de parvenir à parturition. Tandis qu’un pré-embryon créé par FIV, si on le laisse sans y toucher dans son « tube à essais », mourra inéluctablement. Le pré-embryon exige une intervention active pour parvenir ne serait-ce qu’à un état minimal où nous le considérerons comme porteur potentiel d’une vie véritable. Si l’on devait soutenir le contraire, on en viendrait nécessairement à la conclusion qu’il est interdit de détruire des cellules cutanées, puisqu’elles pourront peut-être un jour servir à un clonage humain.

La logique selon laquelle un embryon ne devient un être humain qu’après implantation dans l’utérus est simple. Si on l’y « laisse tranquille », il a toutes les chances de se développer normalement et de parvenir à parturition. Tandis qu’un pré-embryon créé par FIV, si on le laisse sans y toucher dans son « tube à essais », mourra inéluctablement. Le pré-embryon exige une intervention active pour parvenir ne serait-ce qu’à un état minimal où nous le considérerons comme porteur potentiel d’une vie véritable. Si l’on devait soutenir le contraire, on en viendrait nécessairement à la conclusion qu’il est interdit de détruire des cellules cutanées, puisqu’elles pourront peut-être un jour servir à un clonage humain.

Pour ces raisons, comme pour beaucoup d’autres, un grand nombre de décisionnaires halakhiques contemporains ont émis l’opinion que la destruction de pré-embryons préexistants pour la recherche sur les cellules souche est autorisée (voir mon article plus détaillé au sujet de cette recherche, telle qu’elle est vue par la loi juive, sur le site (en anglais : http://www.jlaw.com/Articles/stemcellres.html).

Une dévalorisation de la vie humaine ?

Néanmoins, beaucoup de rabbins s’opposent à la création délibérée de pré-embryons aux fins de destruction, considérant que cela dévalorise la vie humaine.

Le processus halakhique nous confère une perspective fascinante dans tous les domaines de l’éthique, y compris celle de l’éthique biomédicale. Elle nous donne l’occasion d’évaluer le développement de la technologie à l’aulne de la Torah, permettant ainsi à l’humanité de rester maître de la science et non pas l’inverse. Le judaïsme ne s’oppose aucunement aux avancées de la science. Il prône simplement un usage éthique et responsable de la science en vue d’améliorer notre vie.

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