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L'avortement dans la loi juive

23/12/2012 | par Daniel Eisenberg

L’optique juive traditionnelle ne s’accorde pas facilement avec les positions classiques du débat sur l’avortement.

L’optique juive traditionnelle ne s’accorde pas facilement avec les positions classiques du débat sur l’avortement. Nous n’interdisons pas radicalement l’avortement, ni ne le permettons sur demande de manière indiscriminée.

Une femme peut avoir l’impression que jusqu’à la naissance, le fœtus fait partie intégrante de son corps, et que pour cette raison elle conserve le droit d’avorter en cas de grossesse non désirée.

Le judaïsme reconnaît-il un droit à « choisir » l’avortement ? Dans quelle situation le judaïsme interdit-il l’avortement ?

Acquérir une meilleure compréhension des cas où l’avortement est permis (ou même requis) et des cas où il est interdit, requiert l’appréciation de certaines nuances de la halakha (loi juive) qui régissent le statut du fœtus. (1)

La manière la plus simple de concevoir le statut du fœtus d’après la halakha est de considérer que c’est un être humain à part entière - mais pas tout à fait. (2)

Dans la plupart des cas, le fœtus est traité comme n’importe quelle autre « personne ». En général, on ne peut délibérément faire du mal à un fœtus. Mais s’il semble évident que la loi juive tient pour responsable celui qui provoque volontairement une fausse-couche chez une femme, des sanctions sont même requises pour celui qui porte la main sur une femme enceinte et provoque inintentionnellement une fausse-couche. (3)

Cela ne veut pas dire que toutes les autorités rabbiniques considèrent l’avortement comme un meurtre. Le fait que la Torah requiert un dédommagement financier pour avoir provoqué une fausse-couche, est interprété par certains rabbins comme une indication que l’avortement n’est pas un crime majeur. (4)

D’autres font remarquer que bien qu’il soit une forme de meurtre, l’avortement ne requiert pas la peine de mort. (5)

Il existe même un désaccord pour savoir si la prohibition concernant l’avortement est biblique ou rabbinique. Néanmoins, il est universellement admis que le fœtus est normalement destiné à devenir un véritable être humain et qu’il doit y avoir une raison très sérieuse pour permettre l’avortement.

En règle générale, l’avortement n’est permis par la loi juive que si l’accouchement ou le fait de porter le fœtus à terme constitue une menace directe pour la vie de la mère. En de telles circonstances, le bébé est considéré l’équivalent d’un rodef, un poursuivant, (6) qui pourchasserait sa mère dans l’intention de la tuer. Néanmoins, comme l’explique la Mishna (7) s’il est possible de sauver la mère en causant une malformation au fœtus, par exemple en l’amputant d’un membre, l’avortement devient interdit. Malgré la classification du fœtus comme poursuivant, une fois que la tête du bébé ou la majorité de son corps est sortie du ventre de la mère, la vie du bébé devient égale à celle de la mère ; on ne peut plus faire de préférence, parce que l’on considère à présent qu’ils se poursuivent l’un l’autre.Il est important de relever que la raison pour laquelle la vie du fœtus est subordonnée à celle de la mère, est parce que le fœtus est la cause première de la condition qui menace la vie de la mère, que ce soit directement (dans le cas d’une toxémie, d’un placenta praevia ou d’une position de siège) ou indirectement (ex. exacerbation d’un diabète sous-jacent, maladie des reins ou hypertension). (8) Un fœtus ne peut être avorté pour sauver une autre personne dont la vie n’est pas directement menacée par le fœtus, par ex. en utilisant les organes fœtaux pour une transplantation.

Le judaïsme tient compte des facteurs psychiatriques autant que physiques dans l’évaluation de la menace potentielle que le fœtus représente pour la mère. Toutefois, le danger posé par le fœtus (qu’il soit physique ou émotionnel) doit être autant probable que substantiel pour justifier un avortement. (9)

Le degré de maladie mentale nécessaire pour justifier de mettre un terme à la grossesse, a été largement débattu par les décisionnaires rabbiniques (10)sans que ceux-ci soient parvenus à un consensus clair sur les critères exacts permettant l’avortement dans un tel cas. (11)

Néanmoins, tous s’accordent à dire que si une grossesse devait occasionner de véritables envies suicidaires chez une femme, ce serait suffisant pour permettre l’avortement. (12)

Toutefois, plusieurs experts rabbiniques contemporains ont tranché que, puisque les dépressions dues à la grossesse et au post-partum peuvent être traitées, l’avortement n’est pas justifiable. (13) 

En règle générale, la loi juive n’attribue pas de valeur relative à des vies différentes. C’est pourquoi, la plupart des grands poskim (rabbins qualifiés pour rendre des décisions dans la loi juive) interdisent l’avortement en cas de malformations ou de difformités découvertes chez le fœtus.

Rav Moshe Feinstein, l’un des plus grands décisionnaires du siècle passé, tranche d’ailleurs que l’amniocentèse est interdite, si elle est accomplie dans le seul but de détecter des malformations et conduirait les parents à demander l’avortement. Néanmoins, si un tel test (amniocentèse ou taux d’alpha fœto-protéine) est effectué afin d’améliorer la prise en charge médicale du péri-partum ou du post-partum, il est permis.

Alors que la plupart des décisionnaires interdisent l’avortement lorsque le fœtus est « défectueux », Rav Eliézer Yéhouda Waldenberg est une exception notable. Rav Waldenberg autorise l’avortement au premier trimestre dans le cas où le fœtus aurait à souffrir de sa difformité après la naissance et, jusqu’au septième mois, s’il s’agit d’un défaut létal comme la maladie de Tay Sachs.  (14)

Les experts rabbiniques discutent aussi de la permissivité de l’avortement pour des mères ayant contracté la rubéole ou pour des bébés avec un syndrome de Down avéré.

Il existe une divergence d’opinion concernant l’avortement en cas d’adultère ou en d’autres cas de relations interdites d’après la Bible. En cas de viol ou d’inceste, le problème se pose sur la souffrance émotionnelle que subira la mère si elle porte le fœtus à terme. En cas de viol, Rav Shlomo Zalman Auerbach recommande l’utilisation de méthodes pour empêcher une grossesse après des rapports. (15)

La même analyse que celle déjà utilisée dans d’autres cas de souffrance émotionnelle, peut être employée ici.

Les cas d’adultère introduisent des considérations supplémentaires au débat, avec des décisions allant de l’interdiction à la considération de l’avortement comme étant une mitsvah. (16)

J’ai tenté de distiller l’essence de l’approche juive traditionnelle sur l’avortement. Néanmoins, chaque cas est unique et particulier, et les paramètres déterminant l’autorisation de l’avortement dans la halakha sont subtils et complexes. Il est crucial de se rappeler que lorsque l’on est confronté à un patient dans une telle situation, une autorité halakhique compétente doit être consultée pour chaque cas.

Notes:

(1)S’il existe un débat parmi les rabbanim pour déterminer si l’avortement est une interdiction biblique ou rabbinique, tous s’accordent sur ce complexe fondamental selon lequel l’avortement n’est permis que pour protéger la vie de la mère ou en des situations exceptionnelles. La loi juive ne permet pas l’avortement à la demande sans raison sérieuse.

(2) Igrot Moche, ‘Hochen Michpat II : 69B

(3) Choul’han Aroukh, ‘Hochen michpat 423 : 1

(4) Rabbi Yéhouda Achkenazi, Béer Hetiv, ‘Hochen Michpat 425 : 2

(5) Igrot Moche, ibid

(6) Maïmonide, Michné Torah, Lois sur le meurtre 1 : 9, Talmud Sanhédrin 72B

(7) Ohalot 7 : 6

(8) Voir Dr. Abraham Steinberg; Encyclopedia of Jewish Medical Ethics, « Abortion and Miscarriage », pour une discussion poussée sur les indications maternelles de l’avortement.

(9) Igrot moche, ibid

(10) Voir Encyclopedia of Jewish Medical Ethics, p. 10, pour références.

(11) Voir Moshe Spero, Judaism and Psychology, p. 168-180.

(12) Rav Yitzchak Zilberstein, Emek Halacha, Assia, Vol. 1, 1986, p. 205-209.

(13) Rav Shlomo Zalman Auerbach et Rav Yehoshua Neuwirth cité dans la version en anglais de Nishmat Avraham, ‘Hochen Michpat, 425 : 11, p.288.

(14) Tzitz Eliézer, Volume 13 : 102.

(15) Rav Shlomo Zalman Auerbach et Rav Yehoshua Neuwirth cité dans la version en anglais de Nishmat Avraham, ‘Hochen Michpat, 425 : 23, p.294.

(16) Voir l’excellent chapitre dans la version en anglais de Nishmat Avraham, ‘Hochen Michpat, 425 par le Dr. Abraham Abraham, en particulier p. 293.  

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