Société

La fusillade dans une école du Connecticut

17/12/2012 | par Sara Debbie Gutfreund

Après le choc, c'est au tour des questions.

Lorsque les sirènes d’ambulance ont commencé à hurler, je ne me suis même pas interrompue pour me demander ce qu’il se passait.

Je m'affairais aux préparatifs du Chabbath, tandis que mes garçons entraient et sortaient de la cuisine en courant. Lorsque nous habitions en Israël, j’avais l’habitude de consulter les informations chaque fois que j’entendais plus de deux sirènes d’ambulance hurler à la fois, mais ici, dans cette banlieue calme du Connecticut, j’en avais perdu l’habitude.

Après le sixième écho des sirènes, j’ai commencé à me poser des questions. J’ai pris mon téléphone pour consulter les nouvelles et c’est ainsi que j’ai pris connaissance de la fusillade qui s’était produite dans une école primaire proche, causant la mort de vingt élèves et six enseignants. J’étais tellement submergée par l’horreur et l’incrédulité que je ne remarquais même pas mon fils de six ans à côté de moi lisant par-dessus de mon épaule. 

– Que s’est-il passé ? m’a-t-il demandé.

J’ai éteint mon téléphone et me suis demandé si je devais lui expliquer la tuerie et si oui, de quelle manière l’aborder.

– Rien, tout va bien, ai-je répondu, en me dirigeant vers à la cuisine alors que le son des hélicoptères et des ambulances retentissait au loin. Quelques minutes plus tard, j’ai remarqué que la salle à manger était étrangement calme. J’ai jeté un coup d’œil par l’embrasure de la porte et aperçu mes deux fils le nez collé à la vitre, écoutant les sirènes hurler à travers la lumière d’hiver de ce milieu de matinée.

Puis j’ai surpris mon fils chuchoter à l’adresse de son cadet : « Quelque chose de grave s’est passé, mais je ne sais pas quoi. Maman ne veut pas nous le dire. » Tandis qu’ils se tenaient là, plus calmes que jamais, les questions ont commencé à se bousculer dans mon esprit.

Pourquoi cet homme a-t-il commis un tel acte ? Quelques minutes après la tragédie, tout le monde voulait déjà connaître les motivations du tueur. Qu’est-ce qui a pu le pousser à tuer vingt enfants ? La police n’a pas encore élucidé ce mystère, mais le public tente de deviner. Il était en colère. Déprimé. Etait-il sous l’emprise de drogues ? Était-il désaxé ? Les gens veulent à tout prix définir un motif afin de déchiffrer d’une manière ou d’une autre la tragédie. Mais le mal n’a besoin d’aucun motif. Il détruit au hasard. Il remplit le monde de haine. C’est tout le contraire de la lumière.

Par bonheur, il m'est déjà arrivé de croiser des manifestations de bonté sans motifs ni calculs. Telle cette vieille femme que j’avais l’habitude de croiser lors de mes joggings matinaux dans les collines de Judée, ramassant chaque détritus dans la rue à l’aube et le plaçant dans un immense sac en plastique qu’elle traînait derrière elle. Chaque matin, je me demandais ce qu’elle faisait. Et puis un jour, j’ai pris mon courage à demain et je lui ai posé la question : « Je nettoie le monde, m’a-t-elle répondu. Déchet par déchet. »

Au début, je pensais qu’elle était un peu dérangée, mais petit à petit, je me suis mise à admirer sa bonté spontanée. Elle contribuait à rendre le monde meilleur, même si personne ne le voyait. Même si personne ne la remerciait. Même si personne ne comprenait le pourquoi de son geste.

Pourquoi D.ieu a-t-Il laissé faire ? Nous posons cette question après toutes les tragédies. Pourquoi D.ieu n’a-t-Il pas fait en sorte que la voiture de ce tueur armé tombe en panne ? Ou que les enfants ne soient pas dans la classe ? Ou que son arme s’enraye ? D.ieu aurait pu sauver ces enfants, alors pourquoi ne l’a-t-Il pas fait ?

Je ne connais aucune réponse percutante à ces questions, mais une parole d’Avivit Shaer qui a perdu son mari et cinq enfants dans un incendie terrible l’an dernier, m’accompagne constamment lorsque je m’entends poser cette question. Elle affirmait qu'elle aussi avait beaucoup de questions à adresser à D.ieu, mais elle commençait à comprendre qu’Il ne donne pas de réponses dans ce monde. « Ce n’est pas qu’il n’y a pas de réponses. Mais nous autres, humains, ne sommes pas équipés pour faire face à la complexité ou à la totalité des réponses de D.ieu. Il a des considérations éternelles. »

Lorsque j’entends une personne qui a perdu toute sa famille en une nuit prononcer de telles paroles, je peux arrêter de me poser des questions.  Je peux accepter qu’il y ait des réponses, même si j’en ignore la teneur.

Pourquoi cette histoire a-t-elle sa place dans ma vie ? Parfois nous entendons parler d’un événement et l’oublions peu de temps après. Ou nous l’écartons parce qu’il est trop éloigné de notre réalité. Mais chaque histoire que nous lisons et chaque événement qui croise notre chemin sont censés nous enseigner une leçon. Alors quel est le message véhiculé par cette tragédie ? Peut-être est-ce que nous devons apprécier chaque jour passé en compagnie de nos enfants. Peut-être s’agit-il de prendre conscience que la souffrance humaine n’est jamais très loin, lorsqu’elle touche quelqu’un d’autre. Elle devrait avoir un impact sur chaque personne qui en entend parler. Ou peut-être le message est-il que nous devons envoyer nos enfants à l’école non seulement avec un goûter, mais aussi avec une prière pour leur sécurité.  

Mais pour moi, le message le plus crucial m’a frappée lorsque j’ai expliqué à mon fils ce qui s'était produit.

Les ambulances hurlaient encore lorsque je suis retournée dans le salon où j’ai trouvé les garçons assis par terre occupés à faire la course avec leurs petites voitures. Je me suis assise à côté d’eux et je les ai regardés jouer avant de relater les événements en termes vagues à mon fils de six ans, avec des mots qui, je l’espérais, ne le terrifieraient pas.  Je lui ai demandé s’il voulait réciter une prière pour les enfants qui étaient « blessés » et leurs parents.

Il a hoché la tête sans lever les yeux de ses voitures, et il a entonné une chanson qu’il avait apprise récemment à l’école. « Essav arrive avec toute une armée de 400 guerriers, mais Yaakov adresse une prière à Hachem. » Au début, je n’ai pas vraiment compris le rapport, mais mon fils me l’a ensuite expliqué :

« C’est ma chanson pour les mamans et papas. Je leur envoie la prière de Yaakov afin qu’ils n’aient pas peur. Afin qu’ils sachent comment prier pour leurs enfants. Tu veux que je la rechante ? »

J’ai acquiescé d’un signe de tête tout en réfléchissant aux paroles prononcées par mon enfant. Le mal est bruyant et absurde et il est incarné par une armée de 400 guerriers. Il se présente sous la forme de tirs de revolver assourdissants dans une classe de jardin d’enfants. La bonté en revanche est silencieuse. Elle se manifeste sous la forme d’une prière que personne d’autre ne peut entendre. Elle se trouve dans les pas quasi-invisibles d’une femme âgée nettoyant les rues à l’aube. Et la bonté se tapit dans les coulisses dans une vie comme celle d’Avivit Shaer, qui aurait pu tout laisser tomber et plonger dans un abîme de tristesse après avoir perdu sa famille dans l’incendie. Mais qui, au contraire, continua à enseigner et à inspirer ses élèves du secondaire, grâce à sa foi et sa persévérance inébranlables.  

Bien que la bonté soit plus discrète et plus humble que le mal, elle est bien plus puissante. Peut-être est-ce le message qu’il nous faut retenir devant une tragédie tellement insensée : le pouvoir de la bonté est bien plus fort que celui du mal. Nous n’avons pas toutes les réponses aux pourquoi qui nous traversent l’esprit suite à cette tuerie, la deuxième la plus mortelle dans l’histoire des États-Unis. Mais nous gardons espoir. Si chaque petit geste de bonté que nous accomplissons est bien plus puissant que tout acte vil, alors nous pouvons au moins nous lever chaque matin avec détermination, comme cette femme âgée qui assainit l’environnement, une rue après l’autre.

La chanson de mon fils a fini par recouvrir le bruit lointain des sirènes, et au fond de mon cœur, j’ai espéré qu’elle parvienne d’une manière ou d’une autre aux oreilles des parents rassemblés à une demi-heure de là devant l’école. Debout dans le salon, j’ai pressé mon front contre la vitre, et eu une pensée pour les paroles d’Avivit Shaer : « Nous devons introduire la lumière dans le monde même lorsqu’il semble sombre. »

Déchet par déchet. Chanson par chanson. Mot par mot. Reconstruisons le monde.  

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram