Société

La poignante tribune de la directrice de Facebook à l'occasion des Chlochim de son mari

08/06/2015 | par la rédaction d’Aish.fr

La tribune de Sheryl Sandberg a permis à des millions de personnes de découvrir la sagesse et la sensibilité des lois juives du deuil.

Dans la plus pure tradition juive, Sheryl Sandberg, directrice des opérations de Facebook, a porté le deuil pour son mari, Dave Goldberg, décédé dans des circonstances accidentelles.

Au sortir de la période des Chlochim, les trente jours règlementaires de deuil à respecter après la mort d’un conjoint, elle a partagé sur son compte un témoignage emprunt d’émotion et de dignité sur l’épreuve qu’elle traverse.

Plébiscitée par les réseaux sociaux, cette tribune a permis à des millions de personnes de découvrir la sagesse et la sensibilité des lois et coutumes du deuil selon le judaïsme, générant ainsi un grand Kidouch Hachem (sanctification du nom divin) qui contribuera sans nul doute à l’élévation de l’âme du défunt.

Ci-dessous, nous avons choisi de vous présenter quelques extraits de son message :

« Aujourd'hui, c'est la fin des Chlochim de mon mari, les trente premiers jours qui suivent sa disparition. Le judaïsme institue une période de deuil intense appelée Chiva, d’une durée de sept jours à compter de l’enterrement de l’être cher. Après la Chiva, la majorité des activités habituelles peuvent être reprises, mais c’est la fin des Chlochim qui marque la fin officielle du deuil religieux pour un conjoint.

Un de mes amis d'enfance qui est maintenant rabbin m'a récemment confié que la prière la plus brève et la plus puissante qu’il n’ait jamais entendue est la suivante : « Permettez-moi de ne pas mourir alors que je suis encore en vie. » Je n’aurais jamais compris cette prière avant de perdre Dave. Désormais, je la comprends.

Je pense que lorsqu’une tragédie arrive, elle nous place face à un choix. Vous pouvez soit vous abandonner au néant, à ce vide qui emplit votre cœur, vos poumons, diminuant votre capacité de penser voire même de respirer. Soit vous pouvez tenter de trouver un sens à votre douleur. Durant ces trente derniers jours, j’ai passé beaucoup de temps perdue dans ce néant. Et je suis persuadée que par la suite, je passerai beaucoup d’autres moments dans l’étendue de ce néant.

Mais quand j’en suis capable, je veux choisir la vie et le sens.

Et c’est la raison pour laquelle je vous écris : pour marquer la fin des Chlochim et rendre un peu ce que les autres m’ont donné. […]

J’ai appris que je n’ai jamais vraiment su quoi dire aux personnes qui traversent un moment difficile. Je pense que je me trompais totalement jusqu’à présent ; j’essayais d’assurer aux gens que tout irait bien, supposant que l'espoir était la chose la plus réconfortante que je pouvais leur offrir. Un de mes amis atteint d’un cancer en phase terminale m'a confié que la pire chose qu’on pouvait lui dire était : « Tout ira bien ». Cette petite voix intérieure hurlait en lui : « Comment pouvez-vous affirmer que tout ira bien ? N’avez-vous donc pas compris que je cours un danger de mort ? » Ce n’est que le mois passé que j’ai enfin compris ce que cet ami essayait de m’enseigner.

Parfois, la véritable empathie est de ne pas insister sur le fait que tout ira bien, mais plutôt d’admettre que ce n’est pas le cas. Quand les gens me disent : « Vous et vos enfants auront de nouveau droit au bonheur », mon cœur me souffle : « Oui, je le crois. Mais je sais que je ne goûterai jamais plus à la joie pure. » Ceux qui m’ont dit : « Vous retrouverez une nouvelle normalité, mais ce ne sera jamais aussi bien qu’auparavant » me réconfortaient davantage, parce qu'ils connaissaient et disaient la vérité. Il vaut mieux remplacer un simple « Comment allez-vous ? » – quasiment toujours demandé avec les meilleures intentions du monde – par un « comment allez-vous aujourd'hui ? » Quand on me demande « Comment allez-vous ? », je me retiens de hurler : « Mon mari est décédé il y a un mois, comment voulez-vous que je me porte ? » Quand j'entends « Comment allez-vous aujourd'hui ? », je me rends compte que mon interlocuteur comprend que le plus grand exploit que je puisse accomplir pour le moment est de survivre au jour le jour.

J'ai aussi appris quelques petits trucs pratiques qui ont beaucoup d’importance. Bien que nous sachions maintenant que Dave est mort sur le coup, je ne le savais pas encore dans l'ambulance. Le voyage à l'hôpital était insupportablement lent. Je haïs encore chacune de ces voitures qui ne se sont pas rangées sur le côté, chacun de ces conducteurs qui se souciaient davantage d'arriver à destination quelques minutes plus tôt plutôt que de nous laisser la voie libre pour circuler. J’ai constaté ce phénomène en conduisant dans de nombreux pays et villes. Faisons l’effort de laisser la voie libre. Il en va peut-être de la vie d’un parent, d’un conjoint ou d’un enfant.

J'ai appris à quel point tout peut paraître éphémère, et l’est peut-être véritablement. Que peu importe le tapis sur lequel vous vous tenez, celui-ci peut être arraché subitement de sous vos pieds, et ce, sans le moindre avertissement. [N.d.l.r: Le mari de Sheryl en mort en tombant du tapis de course sur lequel il s’entraînait.]. Au cours de ces trente derniers jours, je l’ai entendu de la part d’un bien trop grand nombre de femmes qui ont perdu un conjoint et ont connu cette même impression. Certaines d’entre elles n’ont pas de cercle de soutien et luttent seules alors qu’elles font face à la détresse émotionnelle et l’insécurité financière. Je trouve cela tellement insensé d’abandonner ces femmes et leurs familles au moment où elles ont tellement besoin d’aide.

J'ai appris à demander de l'aide et dans quelle mesure la demander. Jusqu'à maintenant, j’avais eu le rôle de la sœur aînée, de la directrice d’opérations, de la patronne et de la planificatrice. Je ne m’étais pas préparée à cette tragédie, et quand elle m’est tombée dessus, j’étais incapable de faire quoi que ce soit. Les personnes les plus proches de moi m’ont entièrement prise en charge. Elles ont programmé. Elles ont organisé. Elles m’ont dit où m’asseoir et m’ont rappelé de m’alimenter. Elles continuent toujours de faire tellement de choses pour nous soutenir, moi et mes enfants.

Pour moi, le fait de retourner graduellement au travail a été fort bénéfique ; cela m’a donné l’occasion de me sentir utile et proche des autres. Mais je me suis vite aperçue que mêmes mes relations de travail avaient changé. Beaucoup de mes collègues avaient l’air un peu apeurés quand je m’approchais d’eux. Je savais pourquoi : ils voulaient m’aider mais ne savaient pas vraiment comment s’y prendre pour le faire. Devrais-je parler ou non de la mort de Dave ? Et si oui, que diable pourrais-je dire à ce sujet ? Je me suis aperçue que si je voulais restaurer cette proximité avec mes collègues à laquelle j’avais toujours tant tenue, je devais les encourager à venir vers moi. Et cela signifiait que je devais être plus ouverte et plus vulnérable que je n’ai jamais voulu l’être. J’ai dit à mes collègues qu'ils pouvaient me poser des questions en toute franchise et que je tâcherai d’y répondre. Je leur ai aussi dit qu'il n’y avait aucun problème à ce qu’ils me fassent part de leurs sentiments. Une collègue m’a avoué qu'elle passait souvent près de ma maison en voiture, mais hésitait à y entrer. Un autre m’a dit qu'il était paralysé quand il se trouvait en ma présence, parce qu’il était inquiet de dire ce qu’il ne fallait pas. Le fait de parler ouvertement a remplacé la crainte de faire ou dire ce qu’il ne fallait pas.

En même temps, il y a des moments où je ne peux pas laisser les gens venir à moi. Je suis allée à la « Soirée Portfolio » organisée dans l'école de mes enfants et durant laquelle les élèves présentent à leurs parents leurs travaux manuels accrochés sur les murs de la classe. Tellement de parents – qui se sont tous montré si bienveillants – ont essayé de croiser mon regard ou de dire quelque chose qu’ils pensaient être réconfortant. Mais moi, je baissais tout le temps les yeux afin que personne ne puisse croiser mon regard, de peur que je ne fonde en larmes. J’espère qu'ils m’ont comprise.

Pour en savoir plus : Le deuil dans le judaïsme

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