Société

Le consul portugais qui désobéit aux ordres pour sauver des vies juives

19/07/2017 | par Maayan Meir

À lui tout seul, Aristides de Sousa Mendes mena l’une des plus grandes actions de sauvetage pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais son courage lui coûta très cher.

En mai 1940, le rabbin Haïm Kruger et sa famille s’enfuirent de Bruxelles pour trouver refuge dans le sud de la France, à Bordeaux. Ils rejoignirent des milliers de réfugiés juifs qui espéraient ainsi échapper aux avancées de l’armée allemande dans la France encore libre. Toutefois, leur répit fut de courte durée puisque l’armée française finit par être vaincue. Le 14 juin 1940, Paris fut occupée.

Le rabbin Kruger caressa l’espoir de traverser la frontière avec l’Espagne, un pays resté neutre mais qui était en bons termes avec les Nazis, et donc considéré comme sûr. Mais pour entrer en Espagne, il fallait un visa pour le Portugal, or ce pays n’était plus d’accord de fournir ce genre de documents. En effet, quelques mois avant l’invasion allemande en Europe de l’Ouest, le gouvernement portugais avait donné à tous ses fonctionnaires l’instruction d’arrêter de délivrer des visas aux réfugiés, en particulier à ceux qui étaient juifs, à moins qu’ils ne possèdent également la nationalité anglaise.

Coincés à Bordeaux, leur tout dernier espoir de fuite évanoui, les réfugiés juifs se sentaient condamnés.

Le rabbin Haïm Kruger en compagnie du consul

Un jour, une grande automobile officielle s’arrêta près de la synagogue locale où la majorité des réfugiés campaient. Aristides de Sousa Mendes, le consul général du Portugal, en sortit. Il s’avança vers le rabbin Kruger qui se trouvait près de là et s’enquit de sa situation. Le rabbin Kruger lui confia qu’il s’était enfui de Bruxelles avec son épouse et leurs cinq enfants. En apprenant cela, le consul leur offrit le gîte dans sa propre demeure mais le rabbin Kruger déclina cette généreuse proposition, expliquant qu’il n’était pas convenable de sa part de loger dans un endroit confortable alors que le reste des réfugiés vivaient dans des conditions de logement pénibles.

Aristides de Sousa Mendes

La situation désespérée dans laquelle se trouvait le rabbin toucha le cœur du consul. Était-ce peut-être la présence des cinq enfants (de Sousa Mendes en avait lui-même 14), ou était-ce peut-être le respect que lui inspirait cette personnalité religieuse. Quelle qu’en fut la raison, il proposa au rabbin Kruger des visas pour lui ainsi que pour sa famille.

Le rabbin Kruger révéla au consul le terrible sort attendant les réfugiés juifs qui ne parviendraient pas à fuir Bordeaux et le supplia de délivrer des visas à l’ensemble de ses coreligionnaires. Après quelques hésitations, de Sousa Mendes accepta.

Pendant 9 jours, en juin 1940, de Sousa Mendes, assisté par sa femme et leurs deux fils ainés, œuvra sans relâche pour délivrer près de 30 000 visas à des réfugiés, dont au moins 12 000 étaient juifs. Pendant cette période, les réfugiés n’hésitèrent pas à dormir à même le sol du consulat, sans même prendre la peine d’en sortir pour se restaurer, dans l’espoir d’obtenir un visa. Un individu fortuné proposa au consul deux sacs remplis de lingots d’or en échange d’un visa. De Sousa Mendes déclina son offre et lui délivra un visa sans la moindre contrepartie.

Pendant 9 jours, en juin 1940, de Sousa Mendes assisté par sa femme et leurs deux fils ainés, œuvra sans relâche pour délivrer des visas à des dizaines de milliers de réfugiés.

L’agitation frénétique qui régnait au consulat du Portugal n’aurait pas pu passer éternellement inaperçue. Bientôt, le gouvernement portugais, dirigé par le dictateur António de Oliveira Salazar, découvrit les activités « illicites » de leur consul à Bordeaux. Le 24 juin, de Sousa Mendes fut convoqué au Portugal par Salazar. Durant le trajet de retour, il continua à délivrer des visas aux réfugiés.

La procédure disciplinaire engagée contre de Sousa Mendes fut sévère. Il fut démis de ses fonctions, radié du Barreau et mis au ban de la société portugaise, l’empêchant, lui ainsi que ses enfants, de décrocher un quelconque emploi. En fin de compte, tous ses enfants quittèrent le Portugal. De Sousa Mendes mourut en 1954, sans avoir jamais regretté sa conduite pendant la guerre. À son avocat, il écrivit : « En vérité, j’ai désobéi aux ordres, mais ma désobéissance ne me déshonore point… Pour moi, bien au-delà de l’ordre, se trouvait la loi de Dieu, et c’est à celle-là même que j’ai toujours cherché à adhérer sans la moindre hésitation. »

« J’ai désobéi aux ordres, mais ma désobéissance ne me déshonore point… Bien au-delà de l’ordre, se trouvait la loi de Dieu. »

Luís Felipe Mendes fut le dernier des enfants d’Aristide de Sousa Mendes à quitter le Portugal, pour immigrer au Canada en 1948. Son fils Gerald, qui vit en France, avait 10 ans quand il découvrit pour la première fois que son grand-père paternel était un héros.

« C’était en 1966 et le rabbin Kruger, ainsi que d’autres personnes sauvées par mon grand-père, avaient invité mon père et tous ses frères et sœurs à une cérémonie d’hommage organisée à New York » se souvient-il. Ce ne fut qu’à son retour des États-Unis que Luís Felipe Mendes révéla à son fils Gerald les actions héroïques entreprises par son grand-père Aristides de Sousa Mendes pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Avant ce voyage, mon père n’avait jamais parlé à personne, sauf à ma mère, de son père, explique Gerald. On lui avait fait comprendre que personne ne voulait écouter son témoignage. À son arrivée au Canada, il avait essayé de raconter l’histoire de son père à un prêtre catholique. Mais celui-ci lui avait vivement conseillé de ne plus jamais soulever ce sujet à l’avenir. L’Église catholique était convaincue que Salazar était un fervent catholique, ils ne voulaient rien entendre de mal contre lui. »

Pendant plusieurs années, le père de Gerald garda le silence. Mais après la cérémonie d’hommage tenue à New York, Gerald l’entendit parler de plus en plus souvent de son père. « Enfant, je pensais que ce qu’il avait fait était vraiment sensationnel, se souvient-il en souriant. J’étais très fier de lui. »

Gerald Mendes

Les enfants d’Aristides de Sousa Mendes n’eurent de cesse que de demander justice pour leur père. En fin de compte, dans les années 1980, grâce à une implication de la presse couplée d’une forte pression politique exercée sur le nouveau gouvernement portugais, ils obtinrent gain de cause. Quand le président du Portugal fit une visite officielle aux États-Unis en 1987, il rencontra la famille Mendes et leur présenta des excuses officielles pour le traitement infligé à leur père. Par ailleurs, il le décora de l’Ordre de la Liberté à titre posthume. En 1988, à l’issue d’un vote, le parlement portugais leva les accusations qui pesaient sur de Sousa Mendes et le réhabilita à titre posthume au sein du corps diplomatique.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Quelques années plus tard, un groupe de descendants des survivants qui avaient échappé aux Nazis avec l’aide du consul portugais créèrent une fondation en hommage à leur sauveur.

« Cette fondation a localisé plus de 4000 personnes qui se sont enfuies à l’aide de ces visas, affirme Gerald Mendes. Certains d’entre eux ne savaient même pas que mon grand-père désobéissait aux ordres. Ils pensaient que le gouvernement portugais avait consenti à les sauver. D’autres, qui connaissaient le courage de mon grand-père, ignoraient le prix qu’il avait payé pour leur sauver la vie. »

À travers la fondation, Gerald Mendes a rencontré de nombreux descendants de survivants qui eurent la vie sauve grâce à son grand-père. « C’est extraordinaire de rencontrer tous ces gens-là, tous devenus des citoyens productifs dans tellement de pays différents. J’ai forgé des liens d’amitié avec beaucoup d’entre eux, et je suis reconnaissant à mon grand-père pour les efforts incommensurables qu’il a entrepris pour sauver leurs ancêtres. »

« Je pense que l’histoire de mon grand-père mérite d’être racontée à maintes et maintes reprises, conclut Mendes. Nous vivons à une époque où certains groupes d’extrême-droite tentent de nier la Shoah, de nier des actions de sauvetage comme celle entrepris par mon grand-père. Nous devons à tout prix raconter cette histoire. »

Malgré la sévérité des sanctions auxquels Aristides de Sousa Mendes s’exposa, aucun membre de sa famille ne remit jamais en cause sa décision de risquer sa carrière et son statut social pour sauver des vies. « Notre famille a payé un lourd tribut, mais cela n’a jamais conduit aucun des enfants d’Aristides de Sousa Mendes à regretter ce que leur père avait fait. Même avant qu’il ne soit réhabilité, ils ont toujours été immensément fiers de lui. »

Et à juste titre…

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