Société

Le dernier tour de Lance Armstrong

28/01/2013 | par Emanuel Feldman

Un jour ou l’autre, le mensonge finit par s’autodétruire.

L’aveu de Lance Armstrong porte un coup dur à notre système de valeurs. Le septuple vainqueur du prestigieux Tour de France, et l’un des athlètes les plus admirés de notre époque, avait employé tout au long de sa carrière des substances dopantes dans le cadre du programme de dopage le plus sophistiqué de l’histoire du sport, tout en proclamant haut et fort son honnêteté et son intégrité.  

Comment un être humain peut-il agir de la sorte ? Il n’est pas seulement question du dopage, déjà grave en soi, qui nous a blessés ; ce sont ses dénégations incessantes et farouches d’une innocence froissée qui nous ont trahis et nous ont fait passer pour des imbéciles.

Ce fut là une forme de violence morale commise contre des millions de gens qui lui avaient accordé leur confiance. Bien qu’il ne nous ait pas attaqués avec des pistolets et des balles, ce n’en fut pas moins traumatisant, car son attaque fut de nature spirituelle, ébranlant notre aptitude à croire en l’homme. Il a forgé un nouveau sens au concept de l’hypocrisie, et a fait un affront à notre sens inné de la vérité et de l’intégrité.

Une société ne peut perdurer longtemps sans ce sentiment de confiance mutuelle, sans critère de vérité. Aucune législation n’est à même de lutter contre de telles attaques. Relevez ces paroles des Sages selon lesquels l’un des trois piliers sur lesquels repose le monde est celui du emet, la vérité (Avot I:18).

Une telle violation nous oblige à nous interroger : qui sommes-nous réellement ? Sommes-nous fondamentalement mauvais ou bons ? La tradition juive répond que nous sommes un amalgame des deux. Nous pouvons nous élever aussi haut que les cieux ou descendre aussi bas que les animaux. Nous pouvons choisir la vie et la satisfaction, ou la misère et une quasi-mort pour nous-mêmes et nos proches. C’est ce que la Torah dans Deut. 30:19 vise lorsqu’elle nous enseigne que D.ieu place devant nous à la fois la vie et la mort et nous enjoint à « choisir la vie. »

Il y a certains points fondamentaux de la vie humaine que nous ne transgressons qu’à nos risques et périls - non comme une punition pour nos méfaits, mais parce qu’ils sont propres à la structure de l’univers. Tout comme un bâtiment élevé dont les fondations sont défectueuses finira par s’affaisser sous son propre poids, une existence - ou une société ou un pays - reposant sur des fondations morales de mauvaise qualité finira par se désintégrer au bout du compte. La vérité et l’intégrité sont des valeurs fondamentales sans lesquelles la société s’effondre. Le mensonge porte en lui les graines de son inévitable destruction. Privée de son fondement, la désintégration est inéluctable.

Ceci explique pourquoi le terme hébraïque en trois lettres formant le mot émet, vérité, est mentionné presque 150 fois dans la Bible, et pourquoi ce terme est inscrit dans le sceau de D.ieu (Talmud, Chabbat 55a). Les vies scandaleuses de si nombreuses personnalités publiques - dont l’apogée est incarné maintenant par l’humiliation volontaire d’Armstrong - sont des récits édifiants d’une existence qui ne repose pas sur la vérité.

Anatomie d’un mensonge

Armstrong est le héros solitaire d’une fable et l’étude de son cas nous révèle l’anatomie d’un mensonge. Tous les mensonges commencent à un stade minimal. Dans son cas, on peut spéculer que la première fois qu’il eut recours aux substances interdites tint à ce qu’il venait de se rétablir d’une maladie redoutable et avait besoin d’une certaine assistance. La magie fit son effet, alors il recommença - encore et encore. Le petit mensonge prit de l’ampleur, mûrit, et se développa en mensonges audacieux impliquant de nombreuses autres personnes. Puis il dut dissimuler son mensonge, ce qui, compte tenu de son intelligence et de sa réputation sans tache, fut chose aisée, à tel point qu’il poursuivit sur cette voie et continua à se réinventer. Au bout du compte, il commença certainement à se persuader que sa fourberie et sa duplicité étaient la vérité, et que ceux qui mettaient au défi ses mensonges en lui opposant la vérité étaient eux-mêmes des menteurs. Il poursuivit même en justice ceux qui défiaient son honnêteté et gagna des procès contre eux.

Mentir aux autres est une chose ; la leçon d’Armstrong est que se mentir à soi-même est bien plus facile et bien plus insidieux. Dans les relations humaines, les amitiés, les mariages, dans le commerce et la vie sociale, les petits mensonges ont tendance à mûrir et à envelopper le menteur dans ses propres filets. C’est la raison pour laquelle dans un passage de la Torah (Exode 23:14), il n’est pas stipulé simplement « Ne mentez pas », mais plutôt : « Midvar chéker tir’hak - éloignez-vous du mensonge », nous avertissant non seulement de ne pas transgresser cette faute, mais de nous en écarter comme de la peste - que ce soit contre les autres ou contre soi-même. 

Armstrong peut-il être pardonné et expié ? Le Talmud pose : « Toute personne qui transgresse et en éprouve de l’embarras, toutes ses fautes sont pardonnées » (Berakhot 12b). En effet : admettre ses propres fautes est l’une des choses les plus difficiles pour l’homme. Il a admis sa faute devant des millions de spectateurs - une attitude correcte, étant donné qu’il avait menti à des millions de fans au fil des ans. Rien ne résiste à un vrai repentir, et seul le temps nous dira si ce repentir est sincère. On espère qu’il ne s’agit pas d’un stratagème, comme certains le suggèrent, pour obtenir une réduction de peine afin de pouvoir prendre part à nouveau à la compétition. Compte tenu de sa performance passée - et le terme « performance » est le terme adapté - on peut nous pardonner d’être quelque peu sceptiques, sachant que son aveu est intervenu uniquement après que des preuves accablantes avaient été trouvées contre lui…  

L’affaire Armstrong appuie le commentaire de nos Sages : « chéker ein la raglayim - le mensonge n’a pas de pied sur lequel se reposer. » Remarquez que le terme hébraïque chéker est formé des lettres chin, kouf et rech. Dans l’écriture ashkénaze normative, chacune de ces trois lettres n’a qu’un seul pied, et ne peut donc se tenir seule. En revanche, le terme de vérité, émet, est formé de trois lettres : alef, meme et tav, qui possèdent chacune deux pieds solides. D.ieu est le D.ieu de la Vérité, le Emet, la Torah est Torat Emet, une Torah de Vérité, et aucune ne peut souffrir de déviations de la Vérité. Bien que le mensonge semble viser haut, ce n’est que temporaire. Il finit au bout du compte par s’autodétruire, car, par définition, il est opposé au divin et n’a pas de support sur lequel se reposer.

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