Société

Le roi des Cheerios

01/12/2011 | par Jackie Yaris

Le stress et l’anxiété envahissent notre vie et peuvent être à l’origine de tous les symptômes.

Je me souviendrai toujours de cette dernière journée d’hiver en bord de mer. Après l’orage, le ciel nuageux avait pris une couleur bleue azur, le soleil commençait à réchauffer le sable et les vagues étaient ornées d’une écume blanche.

Joey, lui, était calmement assis à côté de moi, observait les oiseaux et mangeait ses Cheerios.

Sur un coup de tête, j’avais décidé de me prendre quelques heures pour aller à la plage avec Joey, mon fils âgé de 4 ans. Joey est le cadet de la famille, c’est un garçon doux et rêveur dont la personnalité s’efface souvent derrière celle de son grand frère extraverti et de sa petite sœur précoce. J’étais donc heureuse ce jour-là de pouvoir passer un moment seule avec lui.  Alors que son grand frère se serait déjà précipité dans l’eau et aurait fait des ricochets et que sa petite sœur aurait été occupée à discuter de la future robe qu’elle achèterait, Joey, lui, était calmement assis à côté de moi, observait les oiseaux et mangeait ses Cheerios. 

Lorsqu’une mouette s’approcha et vola un morceau de Cheerios, Joey inclina la tête à sa manière habituelle et observa la scène d’un sourire hésitant. Il lança ensuite un Cheerios avec méfiance et rit lorsqu’un autre oiseau se précipita dessus. Chaque Cheerios attirait un oiseau en plus. Puis Joey se leva, plus sûr de lui. Il n’était désormais plus le petit garçon introverti, entouré de mouettes, mais bien un roi au milieu de ses sujets aimants. Il lançait les Cheerios et éclatait de rire lorsque les oiseaux se ruaient dessus.

Lorsqu’il vit qu’il ne restait plus de céréales, il baissa les yeux et dit tristement : « au revoir tout le monde. » Puis, certainement frappé par le mouvement de l’eau, l’odeur de la mer ou simplement par l’absurdité de la situation, il leva les mains et commença à danser doucement. L’océan bleu profond et les nuages reflétaient sa silhouette et je vis mon fils, tellement timide en temps normal, danser de plus en plus vite et rire de bon cœur. Captivée par le sourire radieux qui illuminait son visage d’habitude si sérieux, je me suis levée et j’ai également commencé à danser. Au beau milieu de cette plage désolée, il n’y avait que nous, le roi des cheerios et moi. Entourés de mouettes et de céréales, nous dansions et rions devant les vagues ondulantes. Je ne m’étais jamais sentie aussi libre. 

Dernièrement, j’ai beaucoup réfléchi au sens de la liberté.

Mes dix ans de carrière en tant que médecin m’ont ouvert les yeux sur un phénomène assez étrange. Un grand nombre de patients se plaignent de problèmes spécifiques que je ne parviens à attribuer à aucune maladie : des douleurs thoraciques, abdominales, des insomnies, des douleurs en bas du dos,…tous de vrais symptômes, mais dont l’origine n’a pas été trouvée par les recherches les plus approfondies. Au début, j’ai pensé que je ne trouvais pas à cause de mon manque d’expérience, mais lorsque je vis qu’analyse après analyse, les résultats étaient tous négatifs, j’ai commencé à me demander si quelque chose d’autre n’allait pas chez mes patients. Je me suis donc intéressée à leur mode de vie et j’ai oublié leurs douleurs pour un moment. J’en suis venu à la conclusion suivante : le stress et l’anxiété envahissent notre vie et peuvent être à l’origine de tous les symptômes. 

Je n’étais pas consciente de l’étendue du problème jusqu’à ce que j’ouvre un cabinet au centre de Beverly-Hills.

Il y a quelques mois, une femme d’une cinquantaine d’années est venue me consulter. Elle était complètement désemparée de voir qu’elle perdait ses cheveux par grosses touffes.

C’était une femme haut-placée dans le gouvernement, franche et pas le genre à jouer la comédie

C’était une femme haut-placée dans le gouvernement, franche et pas le genre à jouer la comédie. Son uniforme de conservatrice lui conférait d’ailleurs une allure respectable. Et en effet, lorsque j’ai examiné sa tête, j’ai vu des zones dégarnies sur son cuir chevelu. Elle niait pourtant avoir des problèmes d’anémie, de thyroïde ou de maladies dermatologiques, tous causes fréquentes de la perte de cheveux. Je lui ai donc prescrit un bilan de santé complet, y compris une biopsie du cuir chevelu, mais il n’a révélé aucun signe alarmant. 

Lorsque je lui ai demandé si elle était nerveuse, elle a pris un air indigné, comme si j’avais insinué que le problème ne se résumait qu’à cela. Elle m’a ensuite avoué que son patron lui rendait la vie amère. Je lui ai donc expliqué donc que l’anxiété pouvait être la cause principale de son problème et je lui ai recommandé des méthodes de relaxation, mais cela ne l’a pas du tout convaincue et elle a quitté mon cabinet mécontente, certaine qu’elle allait trouver un meilleur médecin. Quelques semaines plus tard, elle m’a appelé depuis Maui où elle passait un séjour reposant et m’a remercié car ses cheveux avaient cessé de tomber.

Plus récemment, une jeune femme est venue me consulter pour la première fois. Blonde, mince et habillée à la mode, elle incarnait la californienne typique. Par son charisme envoutant, elle avait réussi à engager la conversation avec les personnes âgées qui se trouvaient dans la salle d’attente et parlait avec beaucoup d’enthousiasme. Lorsque j’ai prononcé son nom, elle s’est levée d’un bond, a lancé à son public un sourire étincelant et est entrée dans mon bureau. Une fois la porte fermée, son masque tomba.

Elle sanglotait: « Je suis tellement désolée ! » et se laissa tomber sur une chaise. « Je n’en peux plus, je craque. Je ne vaux rien, » disait-elle en pleurs.

Après qu'elle ait pris quelques profondes inspirations, elle me dévoila son histoire, dont je connaissais en fait déjà le scénario. Elle avait quitté son Midwest natal pour Los-Angeles afin de se faire connaitre dans l’industrie du cinéma. Pendant deux ans, elle avait cumulé les auditions mais n’en avait récolté que des réponses négatives.

« ...j’ai aujourd’hui des problèmes de cœur. Parfois, il bat tellement vite que je ne peux plus respirer. Je me mets alors à trembler et mes mains deviennent engourdies. Elle leva les yeux et son visage rayonnant s’était assombri. « Aidez- moi je vous en prie, j’ai tellement peur. Je crois que je vais mourir. » 

Comme je m’y attendais, aucune défaillance cardiaque

Comme les jeunes personnes souffrent parfois d’une arythmie pouvant donner lieu à de tels symptômes et causer une mort subite, je l’ai  reliée à un appareil permettant de surveiller son rythme cardiaque. Comme je m’y attendais, ses palpitations ne provenaient d’aucune défaillance cardiaque, mais correspondaient à des moments de tension émotionnelle. Elle faisait tout simplement des crises de panique. 

Il y a quelques semaines, un banquier d’environ quarante ans est venu me voir. Parfaitement coiffé et vêtu d’un costume chic, cet homme respirait le pouvoir et le prestige. Il était inquiet car il souffrait de douleurs en dessous du bras gauche, transpirait et avait des difficultés à respirer. Alors qu’il me parlait, son portable a sonné deux fois, son beeper s’est allumé et son Blackberry a vibré. Il avait raison d’être inquiet : j’étais tellement persuadée qu’il avait une angine de poitrine que j’ai directement appelé un ami cardiologue et lui ai arrangé une série d’examens à l’hôpital. Lorsque j’ai reçu les résultats, je n'en revenais pas: ils étaient tous négatifs. Cet homme ne souffrait d’aucun problème cardiaque.

Quelques jours plus tard, il est venu pour une visite de contrôle et je lui ai dis que tout cela était sûrement dû au stress. « Oui, » m’a-t-il répondu, « j’essaye de tout gérer…les clients, l’emprunt au logement, les enfants… » A cet instant, son téléphone sonna et il répondit, le visage crispé. Son regard désespéré montrait qu’il ne savait plus où il en était.

Après avoir entendu un nombre infini d’histoires comme celles-ci, ce qui me surprend le plus n’est pas le fait que l’anxiété puisse se cacher derrière tant de symptômes, mais à quel point ce sentiment est répandu et insidieux. Chaque jour, des patients viennent me raconter des histoires similaires.

Mon objectif premier en tant qu’interne est de séparer les causes physiques de leurs symptômes et ensuite, il ne me reste plus qu’à tendre l’oreille. J’envoie fréquemment les patients chez des thérapeutes, mais quand les symptômes sont justifiés, je prescris des anxiolytiques. 

J’ai pris conscience de la complexité de ce qu'on appelle la liberté

En écoutant ces histoires, j’ai pris conscience de la complexité de ce qu'on appelle la liberté. Jour après jour, dans une ville ensoleillée, où Starbucks propose environ 9000 combinaisons de boissons différentes, je vois des individus en apparence brillants, mais devenus tellement esclaves du stress et de l’anxiété que leurs corps commencent à se rebeller. Ils n’ont pas l’obligation de porter le voile, ils peuvent choisir leur propre président et choisir le café qu'ils aiment, mais ils sont si malheureux qu’ils ont du mal à jouer le jeu. 

Tellement de choix, mais est-ce vraiment cela la liberté ?

Et si être libre ne signifie pas avoir le choix, qu’est-ce que la liberté ?

Voici les quelques questions que je me pose en ce moment.

Je repense à cette si belle journée d’hiver à la plage avec mon roi des Cheerios. Ne plus répondre à chaque coup de fil, éteindre le téléphone et prendre un moment pour danser pieds nu sur le sable doux...c’est peut-être cela la liberté. Après tout, cela ne doit pas être si compliqué. Peut-être qu’être libre, c’est simple. Simple comme un sachet de Cheerios dans la lumière d’un soleil hivernal.

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram