Société

Mon combat contre la dépression post-partum

04/01/2017 | par Shoshana Kagan

« Je me sentais happée par un gouffre d’obscurité. Et pourtant, je ne pouvais pas me résoudre à demander de l’aide ! » Le témoignage bouleversant d’une femme atteinte de DPP.

Baissant les yeux vers ma petite fille de 6 mois, Rivka, je suis remplie d’une immense reconnaissance pour cet adorable bout de chou que je tiens entre les mains.  Je caresse sa peau chaude et douce, et me perds dans la contemplation de ses yeux étincelants. Me délectant des joies simples de la maternité, je l’allaite, confortablement installée dans un fauteuil, et laisse libre court à mes pensées.

Subitement, je me redresse en sursaut et mon sourire rêveur s’évapore. Un souvenir lointain m’a secouée. Dans mon esprit, je me revois, plus jeune, tenant dans mes bras une autre petite fille de six mois. Je suis catapultée dix ans en arrière. J’ai 24 ans et je tiens mon deuxième enfant Dévorah qui hurle.

Malgré la chaleur qui règne dehors, je grelotte de froid. Je me sens confuse et désorientée. J’examine mon reflet dans le miroir et aperçois une jeune femme dans la fleur de l’âge, dont les traits tirés sont obscurcis par une ombre de douleur. « Est-ce vraiment moi ? » je m’étonne en silence. Oui, je reconnais mes yeux marron enfoncés mais où est l’étincelle de vie qui y pétillait ? Elle s’est volatilisée.

Depuis la naissance de Dévorah, je ne suis plus que l’ombre de moi-même. Je suis en proie à des bouffées de panique et des pensées obsessives de danger. La bataille que je leur livre consume tous mes moments d’éveil et porte gravement atteinte à ma santé mentale. Cela fait maintenant de nombreux mois que je me bats. Je me sens malade. Extrêmement malade. Nuit après nuit, je suis incapable de fermer l’œil, étreinte par un sentiment de terreur et en proie à des sueurs froides qui me recouvrent tel un drap de glace. Mon cœur palpite sauvagement tout au long de la journée ; il bat si fort que je crains de voler en éclats par son impact.

Je suis perpétuellement assaillie par un monstre invisible qui est fermement résolu à me détruire. Mes défenses abaissées, je me trouve peu à peu happée par un gouffre d’obscurité silencieuse. Une obscurité si vaste et intense que je sombre dans ce puits sans fond sans la moindre résistance.

Autour de mon cou, une corde invisible se resserre chaque jour davantage, telle une sangle noire de désespoir.

L’intensité de mes pensées et mes émotions lugubres les rend presque palpables. J’ai l’impression d’étouffer. Je suis constamment à bout de souffle et les immenses goulées d’air que j’aspire ne font rien pour atténuer ma sensation d’étouffement. Autour de mon cou, une corde invisible se resserre chaque jour davantage, telle une sangle noire de désespoir. J’arrive tout juste à respirer, sans parler de manger, et je sens que je m’affaiblis d’heure en heure.

À travers le brouillard oppressant qui règne dans notre petite salle de séjour, j’aperçois mon bébé innocent qui pleure désespérément dans mes bras tremblants. Elle aussi, elle est misérable. Elle ressent ma douleur et mon apathie ; le mur invisible qui nous sépare. Malgré l’épais brouillard de désespoir qui m’entoure, ses pleurs plaintifs transpercent mon cœur brisé et le pénètrent. Un autre éclat acéré se détache brusquement, me déchirant douloureusement les entrailles. Je cligne à maintes reprises des yeux, m’efforçant de refouler mes larmes mais sans le moindre succès.

Tandis que je serre ce petit être contre ma poitrine, je me retrouve bientôt en train de pleurer avec elle, des sanglots ininterrompus qui font tressaillir mon corps recroquevillé. Je me sermonne sans arrêt : « Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Pourquoi suis-je tellement nulle dans toutes ces choses qui viennent instinctivement aux autres ? Pourquoi suis-je incapable de me prendre en main pour réussir à être la mère de cet enfant ? »

Je n’arrive pas à affronter ni accepter le fait que je puisse souffrir d’un trouble émotionnel.

Mais au fond de moi je connais la vérité. Je sais que ce n’est pas de ma faute. Je sais que je souffre d’une grave dépression post-partum. Je sais qu’il s’agit d’un trouble mental et que je devrais demander de l’aide. Mais j’en suis incapable. Tout simplement incapable. Je n’arrive pas à affronter ni accepter le fait que moi, qui me suis toujours enorgueillie de ma force intérieure et de mon indépendance, je puisse souffrir d’un trouble émotionnel. Je n’étais pas l’une de celles-là, l’une de ces malheureuses sans nom qui parsemaient notre communauté et société. Une force puissante continue à m’empêcher de reconnaître et d’accepter ma maladie.

Et même si je voulais demander de l’aide, je ne saurais pas par où commencer. Je suis incapable de prendre soin de moi dans mon état précaire et désorienté. Je suis incapable de penser rationnellement ou de prendre des décisions réfléchies. J’ai l’impression que mon cerveau s’est désintégrée et mon intelligence s’est volatilisée. Personne à part mon mari ne connait mon angoisse et je le supplie de ne révéler mon secret à personne. Mon jeune et naïf, ne voulant pas me contrarier davantage, commet la terrible erreur de m’obéir.

Je sens que je si je demandais de l’aide, la honte me briserait totalement. Que je me perdrais en route. Ma logique est tordue et pervertie. Je suis en train d’oublier que l’être humain que je suis ne peut en aucun cas devenir plus brisée et perdue qu’il ne l’est actuellement. Mais je n’arrive pas à réfléchir logiquement et encore moins à prendre des décisions rationnelles. Tout ce que je sais avec certitude, c’est que je ne veux pas passer pour une « folle ». Ma voix intérieure m’avertit des terribles conséquences qui s’ensuivraient d’une action aussi irréfléchie. Ce message m’est répété en boucle comme un disque rayé. La crainte accablante de l’opprobre et la pression née des attentes sociales sont plus fortes que les forces titanesques de la maladie qui me détruit, me déchiquetant impitoyablement les entrailles.

De l’autre côté du gouffre

Soudain, ma douloureuse rêverie est interrompue par un petit babillage. Un son insouciant rempli de vie et de joie. Je suis aussitôt de retour dans le moment présent. Nous sommes en 2012 et j’observe bébé Rivka qui me gratifie de ses irrésistibles rires et sourires édentés. Je tiens de nouveau un bébé de six mois. La scène ressemble étrangement à celle que je viens de quitter mais elle est à la fois très différente. Après avoir atteint le stade où je suis devenue littéralement incapable de faire quoi que ce soit, j’ai enfin reçu l’aide dont j’avais désespérément besoin et j’ai recommencé petit à petit à me reconstruire pour devenir finalement la personne forte et sûre d’elle que je suis aujourd’hui.

Je sais désormais que les troubles psychiatriques post-partum relèvent d’une maladie d’origine biologique pouvant causer une souffrance insupportable si on ne les soigne pas. La dépression postpartum, comme toutes les maladies mentales et émotionnelles, est aussi douloureuse et envahissante que n’importe quelle maladie physique grave. On peut l’assimiler à un cancer de l’âme, une maladie de l’esprit qui s’attaque au noyau interne de la personne et transforme ses victimes en l’ombre d’eux-mêmes. La douleur ressentie est celle d’un chaudron ardent qui brûle l’essence même de la personne. Le bébé court un risque important de négligence physique et émotionnel et peut par la suite rater des étapes importantes de son développement  et être marqué à vie.

J’ai appris que bien que je puisse avoir l’impression de contrôler ma vie, c’est Dieu qui est aux commandes. En me soumettant à Lui, je peux prendre les choses comme elles viennent. J’ai fait ce que j’avais à faire et cette prise de conscience me libère de toute l’anxiété, la tension et les conflits intérieurs qui m’habitaient. J’ai appris que je suis plus forte que je le pense et que cette force se mesure en fait par ma capacité à affronter les défis plutôt qu’à les fuir. Par-dessus tout, je reconnais maintenant que demander de l’aide est un signe de force et non pas de faiblesse comme je le pensais à tort.

J’ai une immense reconnaissance envers ceux que je considère être les messagers de Dieu : les dévoués professionnels de la santé mentale dévoués qui m’ont aidée à sortir du gouffre et m’ont guidée tout au long de mon rétablissement. Je remercie Dieu chaque jour également pour le cadeau que sont les médicaments psychotropes qui ont littéralement rétabli le déséquilibre chimique dont souffrait mon cerveau. Grâce à ces médicaments pris sous surveillance médicale, j’ai pu réaliser mon rêve d’avoir encore des enfants mais sans aucune trace de la souffrance que j’avais ressentie auparavant.

Les troubles post-partum sont traitables et même évitables si on les traite de manière prophylactique.

Je n’oublierai jamais la douleur ni l’angoisse que je me suis infligées à moi-même ainsi qu’à mon mari et mes enfants innocents. Aucune femme ne devrait souffrir comme j’ai moi-même souffert. Les troubles psychiatriques postpartum sont tout à fait traitables et même évitables si on les traite de manière prophylactique. Le secret pour éradiquer la honte qui est associée à la dépression postnatale est la prise de conscience et l’information.

Mais maintenant, alors que je tiens mon bébé avec l’esprit clair et le cœur léger, je suis de l’autre côté du gouffre. Je me réveille chaque matin avec un sentiment de reconnaissance et une raison d’être. Je sens que j’ai tellement de chance de remplir mon rôle en étant une mère active et en pleine possessions de ses moyens. La boucle est bouclée. Et aujourd’hui, à l’occasion de l’anniversaire de six mois de mon bébé, je suis remplie d’une immense gratitude en célébrant le don spectaculaire de la vie ; la vie de Rivka qui est mon enfant, mais aussi ma propre vie qui est celle d’une maman comblée. Je serre Rivka contre ma poitrine et je la berce.  

Une fois de plus, je sens des larmes brûlantes couler le long de mes joues et atterrir sur la peau chaude et douce de mon bébé. Mais cette fois, ce sont des larmes de joie.

L’histoire complète de l’auteur se trouve dans son livre en anglais « Waves of Blue » publié par Israel Bookshop. 

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