Société

Patinage artistique au son de "La liste de Schindler"

13/02/2014 | par Yvette Miller

La jeune prodige russe Julia Lipnitskaya a choisi d’effectuer son programme libre au son de la musique de "La liste de Schindler". Offense ou hommage ?

La performance olympique de la patineuse artistique russe Julia Lipnitskaya n’a laissé aucun spectateur de glace. Avec un programme libre effectué sans fautes, la jeune protégée d’à peine quinze ans est devenue l’une des plus jeunes patineuses à remporter la médaille d’or sous les ovations de la foule électrisée.

Mais le choix de la musique d’accompagnement et du costume de la championne ont provoqué bien des commentaires. Car le morceau qu’elle a choisi est tiré de la bande originale de La liste de Schindler, composé par John Williams et joué par le violoniste israélien Isaac Perlman en 1994. Qui plus est, le costume rouge de Lipnitskaya n’est pas sans rappeler celui de « la fille au manteau rouge » (qui est en couleur alors que le film est en noir et blanc) que l’on aperçoit dans la scène la plus touchante du film lors de la liquidation violente des juifs du ghetto de Cracovie.

L’adaptation de Lipnitskaya de la Liste de Schindler a provoqué des réactions mitigées. Sur un Tweet populaire, on pouvait lire : « La liste de Schindler version patinage ? Décidément, on aura tout vu ! » Un autre internaute de renchérir : « À quand un programme de patinage au son du Journal d’Anne Frank ? » D’autres, comme la BBC ont défendu les choix de Lipnitskaya, en soulignant la beauté et le bon goût de son programme,

Une chose est certaine, l’utilisation de la bande originale et de l’imagerie de La liste de Schindler nous prouve une fois de plus l’universalité de ce film à grand succès. Cela dit, utiliser ce film à de telles fins c’est prendre le risque de le galvauder, lui et les évènements dont il se fait l’écho. De le transformer en un raccourci trompeur pour provoquer une hyper-émotion qui n’a pas vraiment été méritée. En d’autres termes, l’incarnation de cette petite fille au manteau rouge serait un stratagème permettant d’évoquer les émotions de cette scène poignante du film, sans pour autant exiger du spectateur qu’il fournisse la réflexion sous-jacente à ces émotions.

Car dans le film, la scène de la fille au manteau rouge cristallise à elle seule toute l’horreur de la Shoah. Depuis le Moyen-âge, Cracovie avait été un bastion du judaïsme. Mais avec l’occupation nazie de la Pologne, les juifs de Cracovie et de toutes les villes et hameaux environnants furent confinés dans un ghetto de la ville, encerclés par des barrières en fil de fer, et employés de force dans de nombreuses usines, dont celle d’Oskar Schindler. Pour de nombreux juifs, ce ghetto se révéla être l’antichambre des camps de la mort puisqu’en mai 13-14, le ghetto fut officiellement liquidé : 2000 juifs furent fusillés et le reste furent déplacés vers le camp de travail forcé de Plaszow et celui d’Auschwitz.

L’émotion suscitée par cette scène doit aussi beaucoup à la musique de fond qui l’accompagne : la fameuse chanson juive intitulée Oyfn Pripetchik (Au coin du fourneau) et dont les accords se fondent si bien avec le thème de La liste de Schindler.

Composée par un avocat juif d’Ukraine, Mark Warshawsky dans les années 1800, Oyfn Pripetchik est devenu un grand succès dans les communautés yiddishophones au quatre coins de la terre.

Oyfn Pripetchik brosse le portrait d’un monde dans lequel l’antisémitisme est omniprésent, où les juifs sont perpétuellement menacés de souffrance, de danger, d’exil de leur terre d’Israël. Mais dans lequel ils réagissent avec courage, et affrontent l’adversité avec optimisme.

Cette chanson est loin d’être aussi simpliste qu’elle n’en paraît : elle raconte l’histoire d’un rabbin qui enseigne les lettres de l’alphabet hébraïque à de jeunes enfants dont il parvient à retenir l’attention par des promesses de récompense. Au passage, il les met en garde contre les nombreux obstacles auxquels ils se heurteront : la difficulté d’apprendre quelque chose de nouveau, les menaces et les dangers que le destin pourrait leur réserver. Mais, comme il le souligne si justement, ce sont ces lettres hébraïques, et l’enseignement du judaïsme qu’elles véhiculent, qui seront les gageures de leur épanouissement, et les aideront à traverser tous les dangers.

Un message livré en filigrane qui dit en substance : approfondir la mission et la vocation du juif est la meilleure défense qui puisse exister face à l’antisémitisme !

Plusieurs versions d’Oyfn Pripetchik circulent ; voici les paroles de l’une d’entre elles, interprétées par l'artiste Sam Glazer.

Yiddish Medley
Production et arrangement : Sam Glaser
Extrait de l'album : The Songs We Sing
www.samglaser.com

(Refrain): Oyfn pripetshik brent a fayerl,
Un in shtub iz heys,
Un der rebe lernt kleyne kinderlekh,
Dem alef-beys.
Dans le foyer brûle un petit feu
Et il fait chaud dans la maison
Et le rabbin enseigne aux petits enfants
L’alphabet hébraïque

 

Zet zhe kinderlekh, gedenkt zhe, tayere,
Vos ir lernt do;
Zogt zhe nokh a mol un take nokh a mol:
Komets-alef: o!
Regardez donc, enfants, souvenez-vous, chers enfants,
De ce que vous apprenez ici,
Répétez encore une fois, et encore une fois
"Komets alef: o!"

Lernt, kinder, mit groys kheyshek,
Azoy zog ikh aykh on;
Ver s'vet gikher fun aykh kenen ivre -
Der bakumt a fon.
Étudiez, les enfants, avec un grand désir,
Ce que je vous enseigne;
Celui de vous qui lira l'hébreu en premier
Recevra un drapeau.

Lernt, kinder, hot nit moyre,
Yeder onheyb iz shver;
Gliklekh der vos hot gelernt toyre,
Tsi darf der mentsh nokh mer?
Étudiez, petits enfants, n'ayez pas peur,
Tout début est difficile,
Heureux l'homme qui étudie la Torah,
De quoi d'autre aurait-il besoin?

Ir vet, kinder, elter vern,
Vet ir aleyn farshteyn,
Vifl in di oysyes lign trern,
Un vi fil geveyn.
Quand vous serez plus vieux, chers enfants,
Vous comprendrez tout cela:
Combien de larmes se trouvent dans ces lettres
Et combien de plaintes.

 

Az ir vet, kinder, dem goles shlepn,
Oysgemutshet zayn,
Zolt ir fun di oysyes koyekh shepn,
Kukt in zey arayn!
Pendant que vous endurerez l'exil,
Et serez épuisés,
Tirez votre force de ces petites lettres,
Jetez-y un coup d'œil.

 

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram