Société

Paris persiste à promouvoir son initiative déroutante

28/02/2016 | par Daniel Haïk

Le nouveau chef de la diplomatie française J.M. Ayrault marche sur les traces de son prédécesseur : il se lance dans la promotion d’une initiative française critiquée par Israël. Et qui a toutes les chances d’échouer.

Le nouveau chef de la diplomatie française Jean Marc Ayrault marche sur les traces de son prédécesseur Laurent Fabius. Au lieu d’écouter les messages de raisons lancés par une Angela Merkel qui estime que la « solution à deux États n’est pas réaliste pour l’instant », ce germanophile se lance dans la promotion d’une initiative française critiquée par Israël et qui, comme beaucoup d’autres avant elle, à toutes les chances d’échouer.

Au lendemain du remaniement ministériel français qui a vu, entre autres, le départ de Laurent Fabius et l’arrivée au Quai d’Orsay de Jean Marc Ayrault, on se serait attendu à une temporisation dans l’activité diplomatique de la France au Proche-Orient, le temps, au moins, de permettre au nouveau ministre des Affaires étrangères de prendre connaissance des dossiers brûlants et controversés laissés sur la table par son prédécesseur. Comme par exemple cette initiative de conférence internationale sur le conflit israélo-palestinien annoncée par Laurent Fabius, le 29 janvier dernier. On aurait pu s’attendre à ce que Mr Ayrault se montre plus réservé, plus prudent, moins enthousiaste face à une initiative qualifiée de « déroutante » par Binyamin Nétanyaou, et qui est loin de faire l’unanimité.

Eh bien non ! Trois jours à peine après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement de Manuel Valls, Ayrault a choisi d’enclencher la vitesse supérieure. Il a dépêché son ambassadeur en Israël, Patrick Maisonnave à Jérusalem, afin qu’il présente au ministère israélien des Affaires étrangères, la teneur de ce projet. Les Palestiniens ainsi que les Américains, les Russes et plusieurs chancelleries européennes ont également été mis au courant des détails de ce qu’il est désormais convenu d’appeler « l’initiative française ». Celle-ci prévoit un calendrier serré au cours duquel dans une première phase - jusqu’en mars - des équipes de travail françaises entameront des consultations avec des diplomates israéliens palestiniens et internationaux. Dans une seconde étape, en avril et mai, les Français réuniront l’ensemble des pays impliqués dans la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien, cette fois sans la présence d’Israéliens, ni de Palestiniens. Ce n’est qu’à l’issue de cette seconde phase que les Français convoqueront, probablement pour juin ou juillet à Paris, toutes les parties prenantes à une conférence internationale. Rappelons que Laurent Fabius avait déjà annoncé la couleur en affirmant qu’en cas d’échec de cette conférence, la France reconnaîtrait un État palestinien indépendant.

Pourquoi alors que le Proche-Orient est à feu et à sang, les Français se montrent-ils si empressés à concrétiser leur projet ?

Pourquoi alors que le Proche-Orient est à feu et à sang, les Français se montrent-ils si empressés à concrétiser leur projet ? Plusieurs réponses possibles : la première, récurrente et obsessionnelle se rapporte au « rôle » que la France entend jouer dans cette région du monde. Avec une certaine forme d’arrogance, Paris prétend réussir là où les Américains se sont « cassés les dents » pendant près d’un demi-siècle. Les Français sont persuadés que leur proximité avec le monde arabo-musulman d’une part, et leurs liens avec Israël, de l’autre, lui garantissent une position idéale de médiateurs.

La seconde explication possible est que les Français voudraient calquer le modèle, réussi de leur point de vue, des pourparlers de Vienne avec l’Iran, sur le conflit israélo-palestinien : « Si nous, puissances occidentales sommes parvenus à un accord avec Téhéran, il n’y a aucune raison pour qu’Israéliens et Palestiniens n’y parviennent pas aussi », semblent vouloir dire les Français.

Enfin troisième élément de réponse : le paramètre politique et électoral en France. Fabius a lancé son initiative en janvier 2016 alors que la France entre dans une année pré-électorale en perspective de présidentielle de 2017. Les socialistes savent qu’ils devront compter, pour l’emporter, sur le soutien massif de l’importante communauté arabo-musulmane. Or depuis le 13 novembre, la France est en guerre contre l’islamisme radical. Les perquisitions au domicile de suspects issus de cette communauté se comptent par centaines. Et même si les autorités françaises prennent soin de faire une distinction nette entre islam et islamisme, elles craignent que cette tension sécuritaire ne suscite des réticences à voter socialiste lors des présidentielles. Et dans un tel contexte pour Paris, initier une solution au conflit israélo-palestinien serait de nature à apaiser cette communauté et à prouver qu’il n’y a pas dans la lutte que mène la France le moindre parti-pris antimusulman.

Pourtant, cette initiative ne part pas du bon pied. De passage à Berlin la semaine dernière, Binyamin Nétanyaou a résumé sa problématique : « Affirmer que si la Conférence internationale de Paris échoue, la France reconnaîtra l’État de Palestine, c’est la garantie anticipée de l’échec de cette conférence. Les Palestiniens ont juste à attendre puisque l’échec de cette conférence aboutira à la reconnaissance de leur État ». Pour Binyamin Nétanyaou, la seule réelle possibilité d’aboutir à un règlement est de s’asseoir avec les Palestiniens à la table des négociations sans condition préalable. Or de leur côté, les Palestiniens qui ont flairé la bonne affaire parisienne, ont durci le ton. Ainsi après que Mahmoud Abbas s’est empressé de saluer l’initiative française, son chef de la diplomatie El Maliki a affirmé que les Palestiniens ne négocieraient pas directement avec Israël.

Paris ne peut être à la fois médiatrice et partie prenante en faveur d’une des deux parties, en l’occurrence les Palestiniens.

Au travers de ces réactions israéliennes et palestiniennes profondément divergentes, on comprend d’emblée pourquoi l’initiative française a peu de chances d’aboutir. Paris ne peut être à la fois médiatrice et partie prenante en faveur d’une des deux parties, en l’occurrence les Palestiniens. Cette initiative, pas assez travaillée, fausse la donne et ne fait que compliquer une situation déjà bien complexe et fait abstraction de la douloureuse situation régionale. Elle prouve une fois de plus que la France a un train de retard au Proche-Orient. Alors qu’Angela Merkel s’aligne sur les positions nouvelles du chef de l’opposition israélienne Its’hak Herzog et affirme ouvertement que la solution de « Deux États pour Deux Peuples » n’est pas réaliste, les Français en sont encore à vouloir régler un conflit qui plus que jamais aujourd’hui paraît insoluble. Au risque même d’échouer et d’être à nouveau la risée d’une partie de la communauté internationale.

Cet article a paru dans le journal Hamodia - Édition française.

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