Société

Quand musulmans et Juifs se sauvèrent mutuellement la vie – partie I

10/01/2016 | par Yvette Miller

Dix cas remarquables où Juifs et musulmans volèrent au secours les uns des autres, parfois même au péril de leur vie.

À l’heure où les tensions entre Juifs et musulmans sont légion, le moment est peut-être venu de rappeler les dix exemples vrais suivants dans lesquels Juifs et musulmans se sauvèrent mutuellement la vie, parfois même au péril de la leur.

1. À la rescousse des Juifs d’Albanie

Petit pays montagneux situé sur la péninsule balkanique, l’Albanie est le seul pays à majorité musulmane de l’Europe. Et c’est aussi le seul pays européen à être sorti de la Seconde Guerre mondiale avec davantage de Juifs qu’il n’en avait avant la guerre.

Après la montée au pouvoir d’Hitler en 1933, la population juive albanaise comptant quelques 200 âmes fut bientôt grossie par de centaines de réfugiés juifs issus d’autres pays européens, et qui espéraient transiter depuis l’Albanie vers Israël ou d’autres pays. Pour finir, beaucoup d’entre eux s’y installèrent définitivement, et de là à ce que les forces allemandes occupèrent l’Albanie en 1943, près de 1 700 Juifs y vivaient.

Quand les dirigeants allemands ordonnèrent aux Albanais de rassembler puis de déporter les Juifs vivant dans leur pays, ceux-ci refusèrent catégoriquement de s’exécuter. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les agences gouvernementales albanaises allèrent jusqu’à fournir des faux papiers aux Juifs, leur permettant ainsi d’échapper aux traques. Ce désir d’aider les Juifs se propagea à travers toutes les couches de la société albanaise. Le mémorial israélien de la Shoah Yad Vashem affirme d’ailleurs que les Albanais « se disputèrent le privilège de sauver des Juifs ». À la fin de la Seconde Guerre mondiale, une seule famille juive avait été exterminée par les forces nazies en Albanie ; la quasi-totalité des Juifs avaient été sauvés, protégés aussi bien par des hauts fonctionnaires que des simples citoyens.

2. L’héroïsme des Turcs

Les autorités turques intervinrent également à plusieurs reprises pour sauver des Juifs pendant la Shoah. Certains historiens estiment que des hauts fonctionnaires turcs sauvèrent la vie de quelques 15 000 Juifs ayant des liens avec la Turquie.

Behic Erkin, l’ambassadeur de Turquie en France, fournit des preuves de citoyenneté à des milliers de Juifs turcs – dont beaucoup n’ayant que des liens très ténus avec la Turquie – et les fit évacuer de France en Turquie. Selahattin Ulkumen, le consul général de Turquie à Rhodes, en Grèce, sauva lui aussi des Juifs turcs et ce, au péril de sa propre sécurité. Quand il apprit que les Juifs de Rhodes se faisaient entasser dans des wagons à bétail pour être déportés à Auschwitz, Ulkumen monta lui aussi dans le train et refusa d’en sortir à moins que 50 Juifs – qui étaient soit citoyens turcs, soit avaient des liens avec la Turquie – ne soient remis en liberté. Ulkumen fut finalement nommé Juste parmi les Nations par le mémorial Yad Vashem.

En 1943, un autre consul général turc – Necdet Kent, qui était consul général de Turquie à Marseille à l’époque – monta également dans un train à destination des camps de la mort, pour exiger la libération de quatre-vingt Juifs turcs à bord, quoique certains historiens contestent son témoignage. Quand les autorités allemandes demandèrent aux passagers lesquels d’entre eux possédaient la nationalité turque, tous répondirent par l’affirmative. En fin de compte, tous les passagers à bord furent libérés. « Je ne pourrais jamais oublier ces étreintes autour de nos cous et nos mains… La paix intérieure que je ressentis ce jour quand je regagnai mon lit à l’approche du matin est une sensation que j’ai rarement savourée depuis ce moment » confia Kent dans un entretien de presse tenue soixante-dix ans après cet événement.

3. Le Schindler iranien

Abdul-Hossein Sardari était un avocat et diplomate iranien qui usa de sa position de haut fonctionnaire à l’ambassade d’Iran à Paris pour sauver des milliers de Juifs pendant la guerre. Il écrivit des missives aux autorités allemandes arguant que les Juifs iraniens étaient « aryens » du point de vue ethnique. Ses pseudo-arguments déconcertèrent à tel point les dirigeants allemands qu’on raconte qu’Adolf Eichmann fut mis en rage par ce retournement total de l’idéologie nazie – mais elles produisirent l’effet escompté. Les Juifs possédant la nationalité iranienne furent exempts de porter l’étoile jaune que les autres Juifs étaient contraints de porter.

Fait encore plus remarquable, Sardari délivra des centaines de passeports à des familles iraniennes juives et ce, sans même consulter ses supérieurs. Ces démarches lui permirent de sauver quelques 2000 Juifs, lui valant ainsi le surnom de « Schindler iranien ».

4. Sauvetage à Sarajevo

Durant les brutales années de guerre en Yougoslavie de 1992 à 1996, la majeure partie de Sarajevo fut détruite. La vie ordinaire fut interrompue. Alors que la guerre traînait en longueur, le seul havre de normalité et d’espoir devint une synagogue délabrée située au centre de la ville. Cette dernière abritait « La Benevolencija » – la Bonne Volonté en ladino – une œuvre de bienfaisance juive qui devint un centre d’aide humanitaire à Sarajevo, canalisant les dons reçus de l’étranger vers la ville assiégée.

Pour des milliers de Yougoslaves – non pas seulement juifs mais aussi musulmans, serbes et croates – la radio de la synagogue devint leur unique moyen de liaison avec leurs proches se trouvant en dehors de la ville assiégée. Quand les services postaux yougoslaves cessèrent de fonctionner, la synagogue se transforma en centre de courrier, traitant  des milliers de lettres et allant même jusqu’à téléphoner à leurs destinataires pour les informer que du courrier les attendait. La soupe populaire de la synagogue nourrit plus de trois cent personnes par jour au paroxysme du siège, et une clinique pourvue de médecins et infirmières installée à la synagogue soigna les Sarajéviens. Plus de 40% de tous les médicaments utilisés à Sarajevo pendant la guerre furent distribués gratuitement par La Benevolencija.

Visés par un génocide par les forces serbes de Bosnie, les musulmans représentaient la majorité des Yougoslaves assistés par La Benevolencija. Un fait qui faisait d’ailleurs la fierté de Jacob Finci, le directeur de l’association caritative : « De nombreux musulmans à  Sarajevo, protégèrent des Juifs des Nazis pendant la guerre. Je ne peux pas oublier ce fait » déclara-t-il pour expliquer ces multiples activités de sauvetage offertes durant le siège.

5. De Sarajevo à Jérusalem

Pendant le siège de Sarajevo, tandis que l’œuvre caritative juive La Benevolencija secourait des musulmans, une famille juive s’efforça de venir en aide à une famille musulmane yougoslave, allant jusqu’à impliquer le Premier ministre pour ce faire.

L’histoire de ce sauvetage extraordinaire commence pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est à cette époque que Moustafa et Zejneba Hardaga, deux musulmans qui vivaient à Sarajevo, décidèrent de défier l’occupant allemand. Ils étaient parfaitement conscients du danger ; les quartiers généraux de la Gestapo nazie étaient installés dans la rue en face de l’appartement des Hardaga et la nuit, ils pouvaient entendre les cris des personnes qui se faisaient torturer. Malgré cela, ils abritèrent l’associé commercial juif de Moustafa, Josef Kabiljo, ainsi que sa femme et sa fille. Des années plus tard, Josef se souvient encore de l’accueil chaleureux des Hardaga : « Josef, tu es notre frère, et tes enfants sont comme les nôtres. Fais comme chez toi et considère tout ce que nous possédons comme t’appartenant » lui avaient-ils dit. Quand les agents de la Gestapo frappaient à la porte, Josef et les siens se cachaient derrière des vêtements au fond d'un placard.

Le père de Zejneba Hardaga, Ahmed Sadik, secourut lui aussi des Juifs yougoslaves en leur confectionnant des faux-papiers les faisant passer pour des non-Juifs. Il fut arrêté et exécuté en raison de ses activités.

À la suite de la guerre, la famille Kabiljo déménagea en Israël, mais maintint le lien avec les Hardaga. À la mort de Moustafa, les Kabiljo restèrent en contact avec Zejneba et sa fille Sara Pecanac, qui était née après la guerre. En 1992, quand les Kabiljo virent les reportages désolants de la vie à Sarajevo, ils voulurent venir en aide à la famille qui leur avait sauvé la vie. Recrutant l’aide d’un journaliste israélien couvrant la guerre yougoslave, ils se mirent en contact avec les Hardaga et les aidèrent à réserver des places sur un convoi humanitaire qui évacuait Sarajevo. Quand les réfugiés se heurtèrent à la bureaucratie, la famille Kabiljo demanda au Premier ministre de l’époque Its’hak Rabin de les aider, ce qu’il fit.

Après avoir quitté Sarajevo, Zejneba et sa fille Sara choisirent de s’installer en Israël. À leur arrivée à l’aéroport, ils furent accueillis par la famille Kabiljo, mais aussi par le Premier ministre qui avait tenu à faire le déplacement. Sara finit par se convertir au judaïsme, et elle travaille aujourd’hui au mémorial de Yad Vashem.

« Quand j’étais jeune, se souvient elle, ma mère me disait toujours : “Tu ne pas contrôler à quel point tu seras riche, intelligente ou couronnée de succès. Mais, ajoutait-elle, tu peux contrôler à quel point tu seras bonne. »

Dossier à suivre…

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