Société

Se dédouaner de l’horreur: la nouvelle loi polonaise sur la Shoah

02/02/2018 | par rabbin Benjamin Blech

La Pologne ne peut pas étouffer sa culpabilité de connivence et de complicité.

L’ironie du moment choisi est indéniable.

Ce vendredi dernier a marqué le 73ème anniversaire de la libération d’Auschwitz-Birkenau, l’horrifique site en Pologne où plus d’un million de Juifs furent assassinés dans des conditions qui dépassent l’entendement. Ce même vendredi était aussi la veille de la Journée internationale à la mémoire des victimes de la Shoah, un jour censé rappeler à tout jamais au monde le péché du silence face au mal et le crime de la complicité associé à ceux qui ont rendu le génocide allemand possible.

Et c’est également ce même vendredi que le gouvernement polonais a adopté une loi qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison pour prétendre que la Pologne n’endosse aucune responsabilité pour les crimes contre l’humanité perpétrés par l’Allemagne sur le sol polonais.

Vrai, pour entrer en vigueur le projet de loi doit encore être voté par le Sénat polonais et signé par le chef de l’État. Mais son objectif est clair. La Pologne, représentée par Beata Mazurek, porte-parole du parti au pouvoir Droit et Justice et vice-présidente de la chambre basse du Parlement a proclamé avec une colère indignée : « Nous en avons assez des accusations contre la Pologne et les Polonais pour les crimes allemands. »

En bref, la Pologne, une terre où trois millions de Juifs vécurent avant la guerre et où seulement 380 000 survécurent, un pays sélectionné par les Nazis pour y accueillir six camps d’extermination – Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Auschwitz-Birkenau et Majdanek – et plus de 700 ghettos, a l’audace de se dédouaner du rôle qu’elle a joué pendant la Shoah.

Historiens, prenez garde. Auteurs, journalistes, et même auteurs de journaux intimes et rescapés de l’antisémitisme polonais, préparez-vous à des sanctions sévères et sinistres au cas où vous n’arriveriez pas à adhérer à cette nouvelle narration de l’histoire qui fait de la Pologne une simple victime de l’Allemagne nazie, au même titre que les Juifs.

En toute honnêteté, près de 6 700 Polonais furent commémorés par le Mémorial de la Shoah Yad Vashem pour avoir sauvé des Juifs, le nombre le plus important de tous les pays. Yad Vashem a aussi, depuis de nombreuses années, admis que l’expression « camps de la mort polonais » puisse éventuellement prêter à confusion en étant associé non pas à leur emplacement mais à leurs créateurs – une formulation malencontreuse qui doit effectivement être corrigée en « camps de la mort nazis ».

Yad Vashem continue de souligner le fait que ce furent les Polonais qui rendirent possible la Shoah nazie en Pologne.

Pourtant, en même temps, Yad Vashem continue de souligner le fait que ce furent les Polonais qui rendirent possible la Shoah nazie en Pologne. Sans la coopération de la population locale, parfois passive et très souvent coopérant avec beaucoup d’enthousiasme, la mise en place d’un programme de meurtre de masse aurait tout simplement été impossible. « Les restrictions sur les déclarations des spécialistes et d’autres concernant la complicité directe ou indirecte du peuple polonais dans les crimes commis sur leur terre pendant la Shoah constituent une grave distorsion » a déclaré Yad Vashem.

De même, le Musée de l’Holocauste des États-Unis a conclu : « Pour mettre en œuvre la Solution Finale à travers tout un continent, les Allemands ont eu besoin de la collaboration et la complicité de nombreux individus dans chaque pays, depuis les dirigeants, les fonctionnaires, la police, les soldats jusqu’aux citoyens ordinaires. Dans chaque pays, les autochtones ont participé de toutes sortes de manières – en tant qu’employés de bureaux, cuisiniers, et confiscateurs de propriété ; en tant qu’organisateurs ou participants à des rafles et des déportations ; en tant qu’informateurs ; parfois en tant qu’auteurs de violence contre les Juifs de leur propre initiative ; et parfois en tant que meurtriers effectifs dans des opérations de liquidation. »

C’est ce qui est si contrariant à propos de la tentative de la Pologne de se dédouaner légalement de sa responsabilité.

Yaïr Lapid, membre du Parlement israélien et fils d’un rescapé de la Shoah a condamné sans ambages cette proposition de loi : « Je condamne fermement cette nouvelle loi qui a été votée en Pologne, qui tente de nier l’implication de beaucoup de citoyens polonais dans la Shoah. Aucune loi polonaise ne peut changer l’histoire, la Pologne est complice de la Shoah. Des centaines de milliers de Juifs ont été tués sur son sol sans avoir rencontré un seul soldat allemand. Il y a eu des camps de la mort polonais et aucune loi ne pourra jamais le changer. »

Jan Grabowski

L’antisémitisme polonais a une histoire longue et bien documentée. L’éminent historien polonais Jan Grabowski, lui aussi fils d’un rescapé de la Shoah et actuellement professeur d’histoire à l’Université de l’Ottawa, a consacré toute sa vie à révéler au grand jour la réalité de la participation polonaise dans les meurtres de leurs voisins juifs, même si pendant plusieurs décennies la société polonaise a nié le motif antisémite de ces tueries. Gagnant du prix littéraire international 2014 de Yad Vashem, son ouvrage Judenjagd retrace l’histoire poignante de Juifs qui, ayant survécu aux liquidations de ghettos et aux déportations dans les camps de la mort en Pologne en 1942, tentèrent de se cacher « du côté aryen » où la majorité périrent à la suite de la trahison par leurs voisins polonais.

C’est une histoire avec des conséquences horribles.

L’histoire désormais célèbre relatée dans le film documentaire Shoah qui brise bien des mythes a démontré que de nombreux paysans polonais étaient parfaitement conscients du meurtre en masse de Juifs sur le sol polonais ; le livre « Voisins » du sociologue polono-américain Jan Tomasz Gross, qui a étudié le meurtre de Juifs par leurs voisins polonais dans le village de Jedwabne, en Pologne, retrace de façon détaillée le sort de la quasi-totalité des Juifs de Jedwabne qui furent assassinés en un seul jour, la plupart brûlés vifs par leurs voisins non juifs.

Dans le sillage du script de la « nouvelle narration » polonaise de l’histoire, dans un entretien de mi-juillet à la télévision publique polonaise TVN, la ministre de l’Éducation Anna Zalewska a insinué que le massacre de Jedwabne, au cours duquel des Polonais brûlèrent vif plus de 300 Juifs dans une grange, était une question d’« opinion ».

Et puis il y a l’histoire tragique, que l’on pourrait appeler une post-Shoah, de 200 rescapés juifs qui retournèrent dans leurs maisons de Kielce à l’issue de la guerre. Ils commencèrent lentement à reconstruire leurs vies. Ils créèrent une synagogue, un kibboutz et un orphelinat Le 4 juillet 1946, une accusation de meurtre rituel se répandit à travers la ville, accusant à tort les Juifs d’avoir enlevé un enfant chrétien. Les habitants de Kielce fondirent sur le quartier juif. Répétant une scène si tristement familière à ces Juifs, la police et les soldats se tinrent sur les lieux et observèrent sans intervenir la foule assoiffée de sang attaquer les Juifs, assassinant 42 rescapés de la Shoah et blessant de nombreux autres. Les Juifs restants n’eurent d’autre choix que de fuir l’endroit où ils avaient naïvement cru pouvoir trouver un semblant de paix et de liberté. Ce fut le début de l’émigration massive de rescapés juifs de Pologne.

Vrai, la Pologne ne fut pas l’Allemagne nazie et, bien qu’en Pologne, ce ne furent pas les Polonais qui conçurent les camps de concentration. Néanmoins, tout historien sérieux reconnaît la culpabilité polonaise. La culpabilité de la connivence et de la complicité. La culpabilité du silence en présence d’une barbarie connue et perpétrée ouvertement. La culpabilité de s’être emparé des possessions de voisins innocents qu’ils virent ensuite conduits vers leur mort. La culpabilité d’avoir participé trop souvent au mal qui se déchainait autour d’eux, en éprouvant parfois même plus de joie et de plaisir sardoniques que les criminels nazis.

Cette culpabilité ne peut pas être effacée par une simple loi qui interdit de l’exprimer. Outre la perpétration du crime en soi, transformer en crime le fait de s’en souvenir et de le rappeler est en soi immoral et perverti.

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