Société

Votre Portable Peut-Il Vous Tuer?

04/07/2011 | par Daniel Eisenberg

Une approche juive du risque.

Selon une déclaration récente de l'Organisation Mondiale de la Santé, les radiations émises par un téléphone cellulaire peuvent déclencher le cancer chez les humains. Cela signifie t-il que selon la Loi juive, l'heure serait arrivée de se débarrasser des téléphones cellulaires et de revenir aux téléphones classiques?

Nous sommes chaque jour exposés à une pléthore de dangers, plus ou moins immédiats

Nous sommes chaque jour exposés à une pléthore de dangers, plus ou moins immédiats. Nous conduisons, pratiquons différents sports, mangeons au fast-food, et nous utilisons des téléphones cellulaires. Etre enceinte ou accoucher, bien que courant, n'est pas non plus sans risque pour une femme. Il est donc impossible de n'être exposé à aucun risque dans nos vies quotidiennes. La question est alors, quels risques la Torah nous permet-elle de prendre?

D'un point de vue non-religieux, le principe de liberté individuelle nous dicterait que chacun peut s'exposer aux risques qu'il lui plaît (pour autant que sa prise de risque ne mette personne d'autre en danger et que la société n'aura pas à s'occuper de ses orphelins). A l’inverse, la Torah nous enjoint de préserver notre bonne santé, en vertu du fait que notre corps ne nous appartient pas. 

Passer à proximité d'un mur branlant est interdit

La Torah nous fait plusieurs injonctions quant à notre sécurité personnelle. On est par exemple tenu d'éliminer tout risque potentiel. On devra ainsi construire sur son toit, s'il est plat, ou autour de sa piscine, une rampe de sécurité afin que personne ne puisse chuter ou se noyer1. Par ailleurs, la Torah nous commande par deux fois de protéger notre santé, notre sécurité et notre bien être2. Dans le Talmud, il est expliqué que passer à proximité d'un mur branlant est interdit, de peur qu'il ne s'écroule et n’écrase la personne.Certaines entreprises, qui comprennent un risque généralement accepté par la population, sont néanmoins permises. Il ressort donc qu’un élément de subjectivité entre dans le processus d'évaluation du risque acceptable. 

Il nous est permis de mener notre vie quotidienne en comptant sur une certaine protection du Ciel

Le Talmud pose à plusieurs reprises la question : pourquoi certaines activités potentiellement dangereuses sont-elles permises? Sa réponse est qu'une personne n'est pas obligée d'éviter les risques mineurs qui sont raisonnablement acceptés par le reste de la population. Prendre la voiture, par exemple, présente un certain danger, et nous aurions pu penser que son usage serait  prohibé. Mais en fait, conduire est un risque accepté puisque la majorité des gens ne font pas attention au risque encouru. Par conséquent, conduire avec une dose minimale de prudence (comme attacher sa ceinture ou mettre son clignotant) est autorisé par la Loi juive, malgré le petit risque encouru. Ce qui sous-tend cette décision, c'est que bien qu'il soit interdit de prendre des risques inconsidérés, il nous est permis de mener notre vie quotidienne en comptant sur une certaine protection du Ciel3

Le Judaïsme encourage clairement une prise de risque mesurée pour sauver son prochain

Par ailleurs, le Judaïsme reconnait aussi le besoin de gagner sa vie comme un argument valable pour permettre un comportement à risque4. Beaucoup de métiers présentent des dangers, mais si l'on prend les précautions nécessaires, il est permis de les pratiquer, et ce malgré le risque encouru.Le troisième argument pour autoriser la prise de risque est de nature plus altruiste: tenter de sauver la vie, ou de préserver la bonne santé de son prochain ou de soi-même, est aussi une justification acceptable pour une prise de risque5. Le Judaïsme n'exige pas qu'on se mette dans une situation un tant soit peu dangereuse pour sauver une autre vie6, mais il encourage clairement une prise de risque mesurée pour sauver son prochain. Il en va ainsi pour le don d'un rein7, qui implique le corps entier, ou pour le fait de se jeter à l'eau afin de sauver une personne qui se noie, si l'on sait nager8

Le risque que l'on peut prendre dépend de plusieurs facteurs. Ainsi, l'étendue du risque accepté par la Loi juive dépend directement de l'importance du gain attendu. On ne peut accepter de prendre, dans la vie quotidienne, qu'un risque faible et hypothétique. Peu de gens accepteraient de repeindre un pont ou de plonger à la recherche de perles, mais si la rémunération est adéquate, certains y verront une bonne raison de prendre les risques qui s’y rattachent. Il n’en reste pas moins qu’ils devront prendre toutes les précautions requises, et de toutes manières s’éloigner d’une activité qui comporte une grande probabilité de blessure ou d’accident mortel. Même sauver la vie d’une autre personne ne se comprend que dans le cadre d’un risque limité, en vertu du principe selon lequel notre propre vie passe avant celle de notre prochain9

Un risque qui est déjà là, même s’il est infime, sera généralement interdit par la Loi juive

Mais avant que nous n’envisagions de reléguer nos téléphones portables, un autre aspect doit être considéré. Tous les risques ne se ressemblent pas. Dans le Mishné Torah, son œuvre juridique magistrale, Maïmonide introduit une distinction intéressante entre les différents types de risques. Il mentionne une catégorie de risques qui découlent d’un comportement malsain sur une longue période, comme manger certains aliments nocifs10. Bien qu’il recommande fortement de ne jamais manger de tels aliments, il ne les interdit pas formellement. Dans un autre chapitre, il énumère des actes qui sont interdits parce que dangereux, comme boire l’eau d’un récipient resté découvert (de peur qu’un serpent n’y ait laissé du venin), et ce même si d’autres en ont bu auparavant sans s’en trouver affectés. Cette dernière catégorie est interdite, bien que la probabilité d’un accident soit éloignée11.

La différence d’approche entre ces deux types de risque relève de la distinction qu’on établit entre un risque préexistant, et un risque qui grandit avec le temps. Un risque qui est déjà là, même s’il est infime, sera généralement interdit par la Loi juive. C’est pourquoi un aliment ayant ne serait-ce qu’une faible chance d’avoir été empoisonné sera prohibé, parce qu’il y a une possibilité que le poison soit déjà là. C’est un peu comme la roulette russe: personne n’aimant la vie ne voudra se risquer à y jouer, même si le barillet a dix mille chambres et qu’il ne contient qu’une seule balle.Cependant, une situation ou une activité dont le risque n’est qu’une probabilité, comme manger des aliments mauvais pour la santé ou pratiquer une activité qui peut déboucher sur une forme d’atteinte physique à long terme12, ne sont pas interdits, parce que le danger vient de la répétition de ces actes, et qu’aucun d’entre eux pris séparément ne comporte de danger réel. Nous ne serons pas surpris de voir une personne, fut-elle soucieuse de sa santé, se laisser aller à manger de temps en temps un steak bien gras, estimant à juste titre que c’est la répétition et la quantité qui sont dangereux, et non pas le steak lui-même. Si elle mange des aliments - même malsains - en petites quantités, le risque sera faible, donc acceptable.C’est pourquoi la Loi juive interdit le jeu de la roulette russe - parce que le danger est déjà là - mais ne fait que déconseiller une alimentation malsaine, parce qu’aucun morceau de viande ne présente un danger en lui-même. 

Il sera sage par exemple d’éloigner du corps les émissions d’ondes autant que possible

A la lumière de cela, nous pouvons maintenant juger nos téléphones portables. Bien qu’ils fassent encourir un certain risque de développer une tumeur au cerveau, la Loi juive n’en interdira pas l’usage. Leur utilisation est très répandue et leur danger théorique a été jusqu’à présent largement accepté par la population13. Ils ne comportent en outre aucun danger préexistant puisqu’un seul appel n’est jamais dangereux par lui-même. Ce n’est pas l’utilisation d’un téléphone cellulaire qui est dangereuse, c’est son usage excessif près de l’oreille qui pose problème.C’est pourquoi, bien que le Judaïsme mette un point d’honneur à protéger la vie et la santé, les experts juridiques juifs ne se prononceront probablement pas pour l’interdiction du téléphone cellulaire, mais plutôt pour son usage modéré. Il sera sage par exemple d’éloigner autant que possible du corps les émissions d’ondes14 (en utilisant une oreillette ou un haut-parleur). Ou bien de limiter le temps des communications15, ou d’éviter les endroits à faible réception où le téléphone devra accroire la puissance des ondes qu’il émet.

Cette attitude correspond bien à la vision juive, qui vise à concilier un mode de vie normal avec une approche raisonnable du risque.

 

  1. Deutéronome 22:8 et Maimonide, MishnéTorah, Hilkhot Rotzea’h 11:1 et 11:4.
  2. Deuteronome 4:9 and 4:15.
  3. Ce concept is derivé d’un enseignement du Livre des Psaumes (116:6): "Dieu protège les simples." (Shabbat 129b; Yevamot 71b. Cf. Avodah Zarah 30b; Nidda 31a et 45a; Ketubot 39a; Yevamot 12b).
  4. Baba Metzia 112a.
  5. Levitique 19:16.
  6. Le soldat en campagne fait exception.
  7. Cf. Live Organ Donation, http://www.aish.com/ci/sam/48954401.html.
  8. Shoul’han Aroukh, Ora’h ‘Haim, 329:8 et Mishna Beroura, 329:19. Cf. Se mettre en danger pour sauver les autres, http://www.daneisenberg.com/selfendangerment.html?1056519346030asp.
  9. Baba Metzia 62a. La base pour les principes fondamentaux selon lequels on peut prendre des risques pour sauver son prochain est discuté dans deux Responsae de Rabbi David ben Solomon ibn Avi Zimra (Radbaz). Le Radbaz établit que l’on peut prendre un certain risque, mais jamais au-delà de 50%, sans quoi on devient un “pieux imbecile” en risquant sa vie. Cf. Responsa Radbaz, Vol. 3:627 (1052) et 5:318 (1582).
  10. Maimonide, Mishné Torah Hilkhot De’ot 4:9
  11. Maimonide, Mishné Torah, Hilkhot Rotzea’h 11:5 et 14. Cf. Shoul’han Aroukh, Yoré De’a 116:5.
  12. Notez que si le receveur de balle est un professionel du base-ball, on autorisera plus facilement le risque dans la mesure où il fait partie intégrante de sa profession.
  13. D’après le principe que “Dieu protège les simples» discuté plus haut.
  14. Les manuels de sécurité du iPhone 4 et du Blackberry Bold recommandent tous deux de tenir l’appareil à une distance minimale du corps pendant leur utilisation.

“[Une] étude réalisée par les chercheurs du National Institute of Health, a révélé que les radiations émises après seulement 50 mn d’utilisation d’un téléphone cellulaire accroissent l’activité de cellules du cerveau. Les conséquences d’une activité cérébrale provoquée artificiellement sont toujours inconnues.” WHO: Cell phone use can increase possible cancer risk par Danielle Dellorto, CNN, 31 Mai 2011.

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