Le Couple

Bien vivre sa retraite

16/11/2011 | par Feige Twerski

Dans une société capitaliste, la retraite est parfois une épreuve difficile à gérer.

Une lectrice m'écrit :

Mon mari et moi passons ensemble 24 heures par jour et sept jours par semaine. Il est retraité et ne s'intéresse pas à grand-chose. J'essaie de rester occupée, tout en m'efforçant de l'inclure dans ma vie et de prendre les devants pour satisfaire ses besoins. Faites-moi part, s'il vous plaît, de la pertinence de vos conseils !  

Aussi longtemps que l'on existe sur le marché, on s'entretient dans l'illusion d'une certaine utilité

La retraite est une étape de la vie parfois difficile à négocier. Cela est dû surtout au fait que nous vivons dans une société capitaliste, où la " productivité " est une valeur essentielle, et qu'à cette fin " gagner de l'argent " est la mesure de la réussite d'une personne. Compte tenu de cette perspective, aussi longtemps que l'on existe sur le marché, on s'entretient dans l'illusion d'une certaine utilité. 

Mon beau-père, de mémoire bénie, un rabbin dispensateur de conseils d'une grande sagesse, conseillait aux personnes âgées qui venaient le consulter de ralentir leurs activités, mais de ne jamais s'en retirer. Il considérait que pour la plupart des gens, l'abandon de ce qui avait constitué leur seule source de satisfaction pourrait les projeter dans une dégringolade, avec au bout du compte la sensation d'une complète inutilité.

Considérez David, qui avait été un éminent médecin. Quand il fut frappé d'une sévère maladie cardiaque, il dut abandonner la pratique de la médecine. Mais soigner les gens était tout ce qu'il savait faire. Il n'avait jamais cultivé d'autre intérêt dans la vie, et quand le contexte de sa seule activité lui fut interdit, sa vie tomba en morceaux et il perdit tout désir de vivre.

Notre regard sur la mort

Un des principaux courants qui caractérisent l'obsession de notre société et la frénésie qu'elle manifeste pour le " travail " est le manque de perspective sur la mort. 
Un comédien faisait un jour observer que la mort, dans notre société, paraît être une simple faculté, autrement dit " qu'on ne voyait pas d'objection à mourir dès lors qu'on n'aurait pas à être présent lorsque cela arriverait ".

Etant donné que nous n'avons pas prise sur la perspective de notre mort, nous nous occupons d'elle en nous distrayant.

Etant donné que nous n'avons pas prise sur la perspective de notre mort, nous nous occupons d'elle en nous distrayant. Le travail, nos carrières, gagner de l'argent, réussir sont autant de moyens commodes et souvent désespérés de nous tromper nous-mêmes en pensant que nous pouvons échapper à l'inévitable. 

Cela peut paraître fonctionner aussi longtemps que nous sommes rentables, dans les premières années de nos vies, et alors que nous possédons encore les forces physiques requises. Cependant, quand s'installent les années de retraite, et que nous sommes privés de nos occupations quotidiennes, nous ne disposons plus de ces échappatoires. Affronter la perspective de notre mort devient inévitable. Mais les choses se passent comme si nous devions franchir un immense fossé sans disposer des outils ni des équipements nécessaires.

Le point de vue juif

Contrairement à la société  environnante, orientée vers la jeunesse, le judaïsme a toujours vénéré  ses Anciens. Il était de principe que l'âge apporte avec lui sagesse et expérience.

La Torah énonce :

Souviens-toi des jours du monde, méditez les années de génération en génération, interroge ton père, et il te racontera, tes Anciens, et ils te diront (Deutéronome 32, 7).

Il nous est ordonné de nous lever devant nos Anciens, et plus âgé est le Sage, plus grand est l'honneur qu'on doit lui accorder. La déférence envers l'âge est obligatoire. 
Mes parents, de mémoire bénie, avaient pour habitude de venir deux fois par an nous rendre visite. Ils s'arrêtaient toujours, en route vers l'aéroport, chez ma belle-mère plus âgée. Mon père souffrait d'une maladie de coeur et le voyage ne lui était pas facile, mais il insistait toujours sur ce premier arrêt parce que, comme il disait, la tradition exige que l'on montre du respect et de la déférence envers les personnes d'un âge avancé. 

Celui qui définit son ancêtre comme le descendant d'un singe, se voit lui-même comme son perfectionnement.

Rabbi Ya'aqov Kamenetsky, une des lumières de notre génération, voyageait un jour en avion de New York vers Israël accompagné par l'un de ses petits-fils. Le jeune homme, infatigablement, lui arrangeait son coussin, lui servait à  boire, et ne cessait de tout le voyage de veiller sur lui. Un autre voyageur avait observé l'attention et les soins incroyables manifestés par le petit-fils avec un tel amour et un tel respect pour son grand-père. 

Peu de temps avant la fin du voyage, ce voyageur demanda, avec un grand respect dans la voix, comment, à notre époque, on pouvait encore assister à une telle déférence du jeune envers l'âgé. Rabbi Ya'aqov répondit en disant que le moment le plus extraordinaire dans l'histoire juive avait été la révélation au mont Sinaï, le don de la Tora réalisé il y a plus de 3 300 ans. De là, selon le point de vue du judaïsme, plus proche on est de cette source et de cet événement primordial, plus élevé et plus exalté on est spirituellement.

C'est pourquoi, expliqua Rabbi Ya'aqov, les jeunes générations considèrent avec de grands égards ceux qui les ont précédées. En contraste à ce type de comportement, celui qui définit son ancêtre comme le descendant d'un singe, se voit lui-même comme son perfectionnement, digne d'une plus grande estime que son aîné. Tout dépend du point de vue où l'on se place, conclut Rabbi Ya'aqov. 

Quand on se situe dans cette perspective, ce qui compte dans la vie est bien plus que le simple besoin de gagner de l'argent. En fait, notre héritage juif attribue plus de valeur à la vie de famille, aux rapports avec autrui, à la charité, au dévouement, à l'étude de la Tora et à celle des principes de notre tradition. Ce sont eux qui forment la substance réelle de la vie.

Si l'on prend en compte dans son existence ces valeurs honorées depuis des temps immémoriaux, on ne devrait pas se sentir comme diminué lorsque vient le moment de quitter le " marché du travail ". Inversement, l'accent que l'on met souvent sur le " travail ", à l'exclusion de la culture et de la poursuite d'autres valeurs, peut produire des effets dévastateurs sur ce qui devrait constituer les années " d'or " et de " récoltes " d'une vie.

Un conseil 

L'identité d'un homme dans notre société est très étroitement liée à  son " travail "

Quand on doit cohabiter avec un mari retraité, il est important de comprendre que les ajustements qu'il doit opérer peuvent être difficiles. L'identité d'un homme dans notre société est très étroitement liée à  son " travail ", et le départ de cette partie " productive " de la vie est très perturbant, en particulier sur le sentiment que l'on a de sa propre valeur. On a besoin, plus que jamais, de sentir que l'on reste un membre opérationnel et fonctionnel de l'espèce humaine. 

A cette fin, une femme peut soit " le faire soit le briser ". Elle se doit de protéger son mari contre ses propres terreurs et contre sa crainte d'être devenu un élément superflu et un fardeau pour la société.

Voici un conseil pratique :

Même s'il persiste à  affirmer qu'il ne s'intéresse à rien, il est recommandé aux deux époux de suivre ensemble des activités intellectuelles ou culturelles (art, musique, etc.). On incitera son mari à exercer des activités bénévoles dans des domaines proches de ses goûts (tutorat d'étudiants, participation à des oeuvres caritatives…) 
Un harcèlement excessif de la part du conjoint est totalement inefficace. On agira donc bien plus efficacement dans les coulisses. On pourra consulter au sujet de son mari un rabbin ou un dirigeant d'association afin qu'ils sollicitent sa participation à telle activité dont ils penseront qu'elle pourrait lui être bénéfique.

La famille est toujours importante, mais à cette étape de la vie elle peut constituer en plus un baume apaisant pour un psychisme endolori. 

La famille est toujours importante, mais à cette étape de la vie elle peut constituer en plus un baume apaisant pour un psychisme endolori. Si vous n'avez pas de petits-enfants biologiques, " adoptez " un petit-fils. Réservez-vous du temps à passer avec lui dans un parc, à jouer au ballon, à nager, etc. Ces activités peuvent infuser une énergie renouvelée et un but dans l'existence. 

Je voudrais, en conclusion, vous faire part d'une rencontre dont le souvenir continue de me bouleverser toutes les fois que j'y repense, bien qu'elle ait eu lieu il y a plus de trente ans. J'étais encore jeune et je venais de me marier. Martha, une cousine de mon mari, est venue d'Angleterre nous rendre visite. C'était une femme élégante et d'une grande distinction, habituellement très conventionnelle et très réservée dans son comportement. Aussi ai-je été très étonnée de la trouver un matin dans ma cuisine. Elle commença de me parler de Harold, son époux décédé. C'était un homme merveilleux, gentil et doux. Elle était " l'homme " de la famille et il s'en remettait toujours à elle. Elle dirigeait la vie de son ménage, et il n'exigeait jamais rien d'elle. Elle s'affairait jour après jour à ses tâches, espérant qu'elle pourrait un jour se détendre et passer plus de temps avec Harold, dont elle supposait qu'il serait toujours là. Il ne semblait pas y avoir d'urgence. 

Le plus beau cadeau n'en reste pas moins la présence et l'affectueuse compagnie d'un conjoint

Mais un jour, sans aucun signe précurseur et d'une manière totalement soudaine, il s'effondra et mourut. Je peux encore l'entendre sangloter bien des années plus tard. " Feigele, gémissait-elle, j'ai pu m'habituer au fait qu'il est mort prématurément et qu'il m'a laissée seule, mais je suis inconsolable à l'idée de l'avoir tenu, ainsi que sa présence, pour un fait accompli. Jamais je ne me pardonnerai de n'avoir à aucun moment pris le temps de lui dire à quel point il comptait pour moi. " 

Je voudrais rappeler à  mes lectrices qu'il peut être éprouvant d'avoir son mari à ses côtés 24 heures par jour et sept jours par semaine, mais qu'il ne faut pas perdre de vue ce qui est bien plus essentiel. Quel que soit l'intérêt que l'on porte aux diverses activités de la vie, le plus beau cadeau n'en reste pas moins la présence et l'affectueuse compagnie d'un conjoint. Il nous faut, certes, nous confronter à d'autres enjeux, mais nous devons en même temps veiller attentivement à ne pas permettre à nos horaires " surchargés " d'obscurcir notre plus grande bénédiction.

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