Ticha Béav

Jeûner pour avoir faim de Dieu

10/07/2013 | par Aliza Bulow

En quoi la sensation de faim et de soif nourrit-elle notre spiritualité ?

Pourquoi jeûnons-nous ? En quoi cela épanouit-il notre spiritualité ? Comment la sensation de faim et de soif nous rapproche-t-elle de Dieu ?

Il existe six jours de jeûne dans le calendrier juif (sept si l’on compte le jeûne des premiers nés à la veille de Pessah). Deux d’entre eux, Ticha Béav et Yom Kippour, sont dits « entiers » : ils commencent au coucher du soleil et se terminent le lendemain à la sortie des étoiles. Les autres sont dits « demi-jeûnes » car ils débutent au lever du soleil et prennent fin à la sortie des étoiles. Pendant tous ces jeûnes, les Juifs adultes ne peuvent ni manger, ni boire, ne serait-ce que de l’eau (sauf ceux exemptés pour raisons médicales).

Ces jours de jeûne ont tous été institués en raison de bouleversements et de catastrophes qui se sont abattus sur le peuple juif (à l’exception de Yom Kippour). Le but de ces journées d’abstinence alimentaire est de nous rappeler les erreurs de nos ancêtres, erreurs qui sont à l'origine de ces calamités, et de focaliser notre attention sur nos propres égarements, qui précipitent encore et toujours notre peuple dans des difficultés semblables.

Pendant ces journées particulières, chacun est invité à faire le bilan de son comportement personnel, et à prendre de bonnes résolutions pour s’amender et retourner sur le droit chemin.

Elihaou Kitov écrit dans son ouvrage Le livre de notre héritage qu’une personne qui jeûne, mais qui écoule cette journée de façon indolente, sans prise de conscience particulière, a manqué le but recherché. Car elle aura mis l’emphase sur le jeûne lui-même, qui est en fait secondaire, et passé au second plan le repentir, qui est l’objectif premier de cette journée particulière. Eliahou Kitov appuie ses dires sur le livre de Jonas (3 :10) où il est dit à propos des habitants de la ville de Ninive « Et Dieu vit leurs actions ». Nos Sages insistent sur le fait que le verset ne dit pas que Dieu a vu leurs sacs de toile (portés en signe de deuil) et leur abstinence alimentaire, mais leurs actions (Talmud Babli, Ta’anit 22a). Le but du jeûne est donc de déclencher le repentir, et le repentir sincère se traduit, concrètement, par une modification du comportement.

Le but d’un jeûne est d’amener la personne à améliorer concrètement son comportement

Pour autant, se repentir sans jeûner n’est pas non plus suffisant. Ces jours de diète ont été ordonnés par la Torah ou par nos prophètes, et tout au long des générations, ils ont été maintenus et respectés par le peuple d’Israël. Lorsque l’on sait que le judaïsme n’est pas du tout partisan de l'ascétisme libérateur en soi, il doit y avoir une raison spécifique qui fait du jeûne l’étincelle idéale à la contrition et à la prise de conscience.

Une caractéristique distinctive du judaïsme est sa capacité à fondre le spirituel dans le matériel. En effet, les Juifs ne rejettent pas les choses physiques pour privilégier le spirituel ; au contraire, ils parient que l'existence physique est une formidable opportunité pour stimuler et renforcer l'âme. Dans ce monde ici-bas, le spirituel et le matériel sont inextricablement entrelacés, et nous devons user de ces deux dimensions pour optimiser notre développement et accomplir notre raison d'être.

Nous utilisons les choses matérielles comme un moyen par lequel nous accédons au monde spirituel. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous devons nettoyer la maison, préparer de bons petits plats et revêtir nos plus beaux habits en l'honneur du Chabbath. La sensation de sérénité qui émane d'une maison bien rangée, la complétude et le plaisir que donne la bonne chair, et le sentiment de majesté que confère le port d'une belle tenue, sont un ensemble de détails concrets qui nous extraient de la routine hebdomadaire et tendent à intensifier notre relation à Dieu. C'est en cela que nous mettons le matériel au service du spirituel.

La soif et la faim donnent une sensation de vide, et de désir de nourriture. Cette perception peut aussi se référer à un manque ou à une envie non-alimentaire : on parle alors de "soif de pouvoir" ou "soif de succès". L'une des définitions du Petit Robert est "Manque d'éléments nécessaires ou désirables ; infertilité ; pauvreté". La faim caractérise donc l'état d'absence de tout ce dont une personne peut avoir besoin (ou désire) de façon pressante.

Les sensations spirituelles sont généralement très subtiles ; souvent, nous devons faire un effort particulier pour les percevoir. La halakha (c'est-a-dire la loi juive) nous y aide. En caractérisant des comportements particuliers et en décidant des moments où ils doivent être accomplis, la halakha nous guide vers des perceptions physiques, qui déboucheront sur des réalités spirituelles.

La sensation physique de faim nous permet d'accéder à l'appétit spirituel

La sensation physique de faim nous permet d'accéder au concept immatériel de désir, et d'appétit au plan spirituel. Le fait que nous jeûnions pendant les jours de contrition éveille notre appétence à suivre le droit chemin qui assure l'avènement d'un monde meilleur. Ainsi envisagée, la faim découlant naturellement du jeûne nous amène donc naturellement au repentir.

Jeûner peut aussi nous aider à ne pas manquer la raison même du jour de contrition en question (à savoir les faiblesses passées et actuelles du peuple juif). Certes, nous avons pu nous documenter sur l'origine historique du jour et ses significations, mais cela reste parfois une conception purement intellectuelle, sans que nous nous sentions réellement impliquée dans l'affaire. Le fait de jeûner engendre souvent un sentiment de faiblesse et de vulnérabilité ; de fait, nous pouvons utiliser ces sensations de déficience comme un tremplin pour mieux imaginer les évènements qui ont amené à décréter ce jour de repentir, en extrapolant notre situation présente sur un arrière-fond historique.

Enfin, le jeûne est une réminiscence du sacrifice expiatoire qui était réalisé dans le Temple de Jérusalem. A cette époque, celui qui avait péché pouvait faire amende honorable en apportant physiquement un animal à sacrifier sur l'autel de Dieu. Pourtant l'on sait parfaitement que Dieu n'a aucunement besoin des offrandes des hommes ! En fait, tout ce processus physique d'apport d'une bête et de son sacrifice sur l'Autel était un prétexte au ressaisissement spirituel de la personne fautive qui faisait l'offrande. Plus loin encore : certaines bêtes étaient ensuite "partagées" entre Dieu et les hommes, le sang et la graisse consumés "pour Dieu", et la viande partagée entre les hommes.

Nous avons donc vu que le processus qui découle du jeûne a une signification très profonde. Certains livres de prières incluent un passage particulier à la fin de la amidah de Minha (prière de l'après-midi) pour les jours de jeûne individuels. En voici la traduction :

Maitre de l'Univers, il T'est connu qu'à l'époque du Saint Temple, un pécheur pouvait apporter une offrande, dont rien ne Te revenait si ce n'est le sang et la graisse ; et dans Ta grande miséricorde, Tu acceptais cette offrande en expiation. Aujourd'hui, j'ai jeûné et par la même T'ai offert un peu de mon sang et de ma graisse. Que ce soit Ta volonté d'accepter cette "offrande" de sang et de graisse que j'ai perdus, comme une offrande que j'aurai apportée sur Ton autel, et que Tu m'accordes Tes faveurs.

En d'autres mots, cette prière demande que le résultat purement physique qui découle du jeûne soit pris en compte au même titre que le courage spirituel d'avoir décidé de jeûner, et qu'ils soient ensemble agréés par Dieu, comme les offrandes étaient agréées en lieu et place où la Nation juive était la plus reliée à son Créateur.

Jeûner est un exercice difficile, mais c'est le fait même de cette difficulté qui nous donne une formidable occasion de nous relier à Dieu de façon plus profonde et plus forte. La sublimation de notre propre envie de manger pour nous faire respecter la privation alimentaire est en elle-même une offrande. De plus, en nous "appuyant" sur la sensation de vide engendrée par la faim, nous allons plus loin dans notre soif de repentir, et enthousiasmés par le sacrifice que nous offrons à Dieu, nous saisissons l'opportunité de nous soumettre pleinement à Sa volonté.

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