Réflexions Pessah

Pourquoi Celebrer Pessah Avec Des Herbes Ameres?

27/03/2012 | par Sara Yoheved Rigler

Oui Dieu nous a sorti d'Egypte, mais c'est Lui qui nous y avait mis!

Moïse, leader des enfants d'Israël pendant la sortie d'Egypte, était obnubilé par une chose: la souffrance. La première fois que la Torah nous le présente à l'âge adulte, elle dit : "Moïse grandit, il sortit pour voir ses frères et vit leurs souffrances" (Exode 2:11). Selon le commentaire classique de Rashi, son intention était de constater leur souffrance: il consacra ses yeux et son cœur à ressentir leur douleur. Bien qu'il ait reçu son éducation dans le palais royal, Moïse ne pouvait supporter les sévices infligés aux esclaves. Lorsqu'il aperçut un tyran égyptien frappant un hébreu, il le tua sur le champ. Le lendemain, au lieu de se reposer et de se féliciter de sa bonne action, il se sentit inexorablement drainé vers le lieu de leurs souffrances.

Selon la tradition juive, Moïse est l'auteur du livre biblique de Job, qui traite du difficile sujet de la souffrance des justes. Cette question est juive par essence parce qu'elle suppose que la vie ne soit pas le fruit du hasard, ni le résultat d'un caprice du destin. Elle sous-entend qu'il y a un Dieu de justice et de bonté qui dirige le spectacle. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Moïse, qui goûta plus que quiconque à la révélation divine, était si troublé par la souffrance, car il savait que Dieu n'inflige pas de coups sans raison

Moise Savait que Dieu n’inflige jamais une peine gratuitement.

Le livre de Job repousse toutes les explications données par les amis de Job à la raison de ses souffrances, y compris l'idée que la souffrance soit une punition pour ses fautes. A la fin du texte, Dieu Lui Même s'adresse à Job de l'intérieur d'un tourbillon; cependant, au lieu de répondre à ses questions, Il lui en pose. Des questions qui mettent en relief la faiblesse de la compréhension humaine comparée à la sagesse divine infinie. En résumé, plutôt que de répondre à la question de la souffrance des justes, le livre de Job affirme que cette énigme cosmique ne peut être résolue par de simples mortels.

La Torah relate que Moïse, le plus humble des hommes, fit une requête audacieuse à Dieu: "Fais-moi connaître Tes chemins" (Exode 33:13). Rashi rapporte le Talmud qui explique que Moïse demandait ainsi à Dieu pourquoi Il permettait que les justes souffrent et que les méchants prospèrent ? Dieu lui répondit: "tu ne pourras pas voir Ma face car aucun être humain ne peut voir Ma face et vivre". En échange, Dieu proposa un compromis mystique à Moïse; Il le plaça dans la fente d'un rocher pendant que Sa gloire passait sur lui et Il lui permit de contempler Son dos. Une des interprétations de cet acte est: on peut parfois comprendre rétroactivement l'aspect salutaire des souffrances mais pas de "face", c'est-à-dire lorsqu'elles se produisent, pas tant que l'on vit dans ce monde physique fait de limitations.

Une tarte à la citrouille avec du raifort

Imaginez une famille américaine rassemblée autour d'une table le jour de l'action de grâces. Ils célèbrent la survie des pèlerins lors de leur premier hiver sur le sol du nouveau monde, le futur continent américain. Placé près de la dinde, se trouve un bol de neige, symbolisant le froid féroce que les pèlerins endurèrent. Juste à côté on a posé l'emblème d'un cimetière en souvenir des 45 personnes sur 102 qui moururent. Et la tarte à la citrouille (plat traditionnel de ce jour) est recouverte de raifort afin que personne n'oublie combien ils souffrirent

La question : « qu’elle est la but de la souffrance » plane sur le Seder.

En réalité, aucun américain ne rendrait amère sa célébration de l'action de grâces avec des symboles de souffrance. Pourtant, c'est précisément ce que nous les juifs, faisons pendant le repas du seder de Pessah. Nous mettons du sel en souvenir des larmes que les hébreux versèrent, de la 'harosset en souvenir du mortier utilisé pour les pénibles tâches de construction et des herbes amères afin d'expérimenter l'amertume que connurent nos ancêtres. Et même la galette de Pessah, la matsa, appelée pain de la liberté, est aussi appelée le pain de l'affliction, la pitance des esclaves. La Haggadah, histoire de la délivrance, contient de longs passages et de nombreux détails de la servitude et de la souffrance en Egypte. Est-ce une manière de célébrer notre rédemption?

En fait, le seder force à se poser la question qui est l'énigme de la célébration pascale: nous célébrons le fait que Dieu nous ait sortis d'Egypte, mais c'est bel et bien Lui qui nous y avait mis? Le rôle des plaies était de rappeler aux juifs, mais aussi aux égyptiens, que Dieu a un pouvoir absolu sur la nature et qu'Il la contrôle minutieusement. Il aurait pu stopper l'immense souffrance des hébreux bien avant. Pourquoi la souffrance? Cette question que le peuple juif se pose avec entêtement depuis l'époque de Moïse, plane sur le seder comme une mystérieuse présence.

Clairement, le seder traite de la connexion entre la souffrance et la délivrance. Il avance l'argument retentissant que la délivrance est le résultat de la souffrance. Cette dernière nous débarrasse de la superficialité et du superflu et nous amène à la vérité. Elle dévoile chez ceux qui souffrent des niveaux de don de soi et de transcendance qu'ils n'imaginaient pas posséder. Evidemment, l'être humain a le libre arbitre, on peut choisir de réagir à la souffrance avec amertume et ressentiment. Mais pour celui qui réagit différemment, il peut atteindre la véritable grandeur.

Les sages surnomment les années de torture en Egypte: le creuset de fer. Le creuset est l'instrument que les orfèvres utilisent pour raffiner l'argent. Il y a quelques années, des femmes étudiant le livre biblique de Malachie, furent frappées d'étonnement par le verset suivant: "Dieu s'assiéra comme un raffineur et un épurateur d'argent et Il épurera (le peuple d'Israël)" (Malachie 3:3). Curieuse de savoir en quoi le fait de faire fondre de l'argent s'appliquait au traitement de Dieu envers le peuple d'Israël, une des femmes partit regarder un orfèvre au travail.

Pendant qu'il passait une pièce d'argent au feu, l'artisan lui expliqua qu'il était obligé de la placer à l'endroit le plus chaud de la flamme afin d'enlever toutes les impuretés. La femme, en référence au verset, lui demanda s'il avait besoin de s'asseoir pendant le processus d'épuration. Il répondit que non seulement il devait rester assis pendant tout le processus mais aussi qu'il devait garder un œil vigilant sur la pièce, car si l'argent restait un moment de trop dans la flamme, il serait détruit.

"Comment savez-vous quand l'argent est entièrement raffiné?" demanda la femme.

"C'est facile, c'est lorsque j'y vois mon visage apparaître" répondit-il.

La métaphore du prophète Malachie était éclaircie: Dieu maintient le peuple d'Israël dans la partie la plus forte du feu des souffrances afin de complètement le purifier; mais Il reste avec lui pendant tout ce processus et ne le lâche jamais du regard, de même il ne le laissera pas être détruit. La purification sera complète seulement lorsque Dieu pourra voir Son image en nous.

Pas au mariage!

Michal Franklin, la gentille fille de nos voisins âgée de 21 ans qui terminait son dernier jour de collège, fut assassinée par un terroriste lors d'une attaque suicide dans une station de bus à Jérusalem. Huit ans après, je ne peux toujours pas m'empêcher de pleurer lorsque je raconte sa mort

Il était sur le point de parler de sa seur assassinée sous la Houpa.

Cinq ans plus tard, son jeune frère David se maria. J'étais invitée à la cérémonie et je connaissais mon rôle: rire, agir joyeusement et ne surtout pas mentionner la tragédie familiale. Je me tenais près de la houppa lorsque je fus surprise d'entendre le rabbin officiant dire que le marié tenait à faire un discours. Pendant que l'on tendait le micro à David, j'étais tendue, je savais qu'il allait parler de sa sœur assassinée. Je fermais les yeux et formulais une requête silencieuse: Non pas ici, pas maintenant! Ne ternis pas ton mariage avec la mort terrible de ta sœur. Mes genoux commencèrent à trembler mais il était trop tard, David commença à parler.

"Je veux mentionner sous ma houppa ma sœur Michal qui a été assassinée et qui n'est pas là près de moi en ce jour si important. Michal a été tuée il y a cinq ans lors d'une attaque terroriste à Jérusalem. Je ressens son absence".

Ce discours était comme les herbes amères au milieu de la fête de Pessah. David rendit le micro au rabbin et la cérémonie nuptiale se termina. Soudainement une chose exceptionnelle se produisit, une explosion de joie éclata comme un volcan, comme si elle provenait des profondeurs terrestres. Cela fut le mariage le plus heureux auquel j'aie jamais assisté. Les gens dansaient en exultant de bonheur, des sourires radieux illuminaient le visage de tous les participants, l'allégresse était palpable. Le plus grand moment de cette soirée d'un autre monde se produisit lorsqu'au milieu des femmes, la mariée dansa avec sa belle mère Sarah (la mère de Michal) et la mère de Sarah, une survivante d'Auschwitz. Elles formèrent un cercle entrecroisé de joie et de peine qui nous éleva tous dans une autre dimension.

Je ne peux expliquer comment cela arriva mais cela arriva.

Le dos de Dieu

Le seder nous enseigne que la souffrance provoque la rédemption mais comme nous l'apprenons de Moïse, le peuple juif ne peut voir que le dos de Dieu. C'est rétrospectivement, avec le temps qui passe, que la raison de la souffrance devient compréhensible, parfois l'on n'aura pas de réponse dans ce monde ci. La plupart des femmes dont les enfants furent pris par les soldats égyptiens et jetés au Nil, ne vécurent pas assez longtemps pour assister à la sortie d'Egypte. Quant à celles qui sortirent, le firent-elles avec un goût de triomphe ou avec l'expression endeuillée reconnaissable chez les survivants de l'holocauste?

Nul doute que pour beaucoup d'entre elles, il fallut l'ouverture de la mer et la révélation du Sinaï pour les convaincre que c'est l'intensité de leurs souffrances qui leur permit d'expérimenter l'exaltation de la rédemption et de la révélation. Seulement lorsqu'ils regardèrent en arrière, les hébreux purent-ils comprendre que leurs peines faisaient partie d'un processus de purification et de rédemption qui finalement en valait la peine.

Assis à notre table du seder cette année, avec une perspective de 3322 ans qui nous séparent de l'Exode, nous célébrons la nation juive née des souffrances d'Egypte et des miracles de la délivrance. Nous voyons en ces deux choses les parents qui nous ont engendrés.

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