Réflexions Pessah

Si la Matsa pouvait parler…

13/04/2014 | par Berel Wein

Le monologue empreint de fierté juive d'une Matsa qui se décide enfin à prendre la parole...

En plein préparatif de notre Seder familial pendant la dernière Pâque juive, Daniel, mon très précoce petit-fils de quatre ans, m'a dit qu'il serait « très silencieux en mangeant la matsa au seder». Comme je ne répondais pas avec enthousiasme à cette déclaration solennelle, il continua son monologue en disant : « Tu ne veux pas savoir pourquoi je serai très silencieux quand je mangerai la matsa ? »

Etant alors tout à fait plongé dans le profond dilemme du choix des vins appropriés pour le Seder, je me résignai à grogner avec désinvolture : « Si, si je veux savoir. Dis-moi, pourquoi resteras-tu silencieux Daniel ? »

Avec ce large sourire entendu que seuls peuvent offrir les enfants encore inconscient de leurs limites, il me répondit : « Parce que je veux entendre la matsa. »

 « C'est chouette » ai-je spontanément répondu en bon grand-père un peu timide. J'ai immédiatement pensé que le "bruit" de la matsa regroupait les sons croustillants, croquants et craquants que seule la traditionnelle matsa sèche et bien cuite de la Pâque juive peut produire quand on la mâche. C'est peut-être ce que Daniel a voulu dire, lui aussi. Mais depuis, j'ai moi aussi creusé la question.

En fait, la matsa est habituée à entendre ce que nous avons à dire. En effet, la majorité du rituel de la Haggada de Pessah est récitée avec la matsa non couverte, laquelle devient alors un auditeur certes passif et inanimé, mais écoutant attentivement notre récit de l'esclavage et de la liberté, de la cruauté et de la rédemption, du chaos et du but final. La matsa entend nos paroles et écoute notre histoire. Mais alors, pensai-je avec un certain esprit d'escalier, que se passerait-il si, selon les mots de Daniel, nous pouvions « entendre la matsa ». Je pense que la conversation ressemblerait un peu à ceci :

"Chaque empire a été convaincu qu'il était invincible et immortel. Mais j'ai vu qu'ils ont tous disparu."

 « Il s'agit de mon Seder numéro 3316, l'Exode ayant eu lieu pendant l'année 2448 de la Création. Je suis née en Egypte, j'ai voyagé à travers le désert du Sinaï et me suis installée sur la terre d'Israël. J'étais au Temple de Jérusalem, au palais du Roi David, dans la cabane d'un berger sur le Golan, et dans la maison d'un marchand du Vieux Jaffa. J'étais présente dans les jardins suspendus de Babylone, à l'Acropole d'Athènes, et au Forum de Rome. J'ai voyagé dans les montagnes de l'Atlas au Maroc, dans les Alpes suisses, dans les plaines de Catalogne, parmi les vignobles de Provence et de Champagne, et j'ai été témoin de la splendeur de l'ancienne Byzance. J'ai vu Varsovie, Vilnius, Kiev, Cracovie, Moscou, Berlin, Paris, Kobe, Shanghai, Cochin, et Bombay. J'ai trôné sur des tables de Seder nappées de blanc, décorées de la plus belle porcelaine et des couverts en argent les plus finement ciselés. J'ai également été cachée dans des caves sombres à Séville et Barcelone, expulsée de Londres et d'Oxford, et inexplicablement et injustement accusée de présence de sang d'enfant dans ma préparation. J'ai aussi été à Auschwitz et Bergen-Belsen, en état de siège dans la Jérusalem et la Safed modernes, dans des camps de travail en Sibérie. Et je suis toujours clandestine à Damas et à Téhéran. J'ai beaucoup bourlingué et j'ai appris une chose ou deux.

J'ai observé le cycle des civilisations et des empires. J'ai été témoin de profonds changements dans l'ordre du monde et dans les croyances de la société. Chaque empire était convaincu qu'il était invincible et immortel. Chaque philosophie se présentait elle-même comme étant LA panacée à tous les maux du monde. Aristote et Augustin, Thomas d'Aquin et Locke, Marx et Nietzsche, Kierkegaard et Russell, tous ont postulé et ont proposé leur "solution". Monarchie et féodalisme, fascisme et communisme se sont levés tour à tour pour imposer leurs règles à la société et améliorer la vie humaine. La raison à la Renaissance, l'humanisme et le socialisme  l'impérialisme et le nationalisme, le fondamentalisme et la laïcité, la coercition religieuse et l'hédonisme, tous ont fait leur temps. Moi, humble matsa, je ne pouvais pas commenter trop fort ces allées et venues perpétuelles. Mais je les ai tous vus passer. Pourtant, la bataille pour la liberté individuelle, pour le sens et l'engagement dans la vie, pour la paix et la compréhension mutuelle, pour la sacralité du foyer et de la famille, est encore à gagner. C'est pourquoi je suis si heureuse d'avoir cette petite conversation avec vous ; je suis toujours là pour qui veut bien tendre l’oreille.

Pendant un temps, les gens, y compris ceux de mon peuple, pensaient que je ne serais pas là pour très longtemps. Mais ce n'était pas vrai. Je suis maintenant à Scarsdale et à Beverly Hills, à Brooklyn et à Kansas City, à Bogota et à Sydney, à Prague et même à Saint Pétersbourg. Je suis de retour à Jérusalem et à Hébron, à Tibériade et à Tel-Aviv. En fait, je suis présente partout où les gens se soucient et espèrent. Ils sont intéressés et fidèles à leur patrimoine, ils chérissent leurs valeurs ancestrales et leur famille proche ; ils ont proscrit la violence de la haine et l'attrait des plaisirs temporaires et l'hédonisme, et ont préféré opter pour la voie de la tradition et de la foi. Bref, pour qui veut bien m'entendre, je suis toujours là. »

S'il te plait Daniel, passe-moi la matsa. Je serai très silencieux quand je la mangerai. Je veux moi aussi entendre la matsa.

Reproduit avec l'aimable autorisation du Rabbin Berel Wein, à partir de son ouvrage "A guide to Jewish living"

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