Réflexions Souccot

Le médecin de Nava

04/10/2011 | par Sara Yoheved Rigler

Le véritable amour peut-il être conditionnel ?

 

Le médecin de mon amie Nava, le Dr. X, a tué une femme. Pas par négligence professionnelle, non. Mais parce que cette femme proclamait que son bébé était l'enfant de cet homme. Il n'en pouvait plus, il s'est rendu à  son appartement avec une arme chargée, et l'a abattue. Il va maintenant finir ses jours dans une prison israélienne pour meurtre avec préméditation. 

Nava savait que les gens peuvent faire volte-face dans leur vie. N'avait-t’elle pas elle-même transformé son existence d'israélienne séculaire en vie d'orthodoxe juive ?

Elle s'en fut donc rendre visite à son médecin en prison, avec l'espoir qu'il se repentirait, qu'il fasseTéshouva comme on dit. Mais le Dr. X ne lui prêta pas la moindre attention. Tout ce qui le préoccupait, c'était le ressentiment qu'il portait à sa mère qui refusait de venir le voir en prison.  

Je n'ai jamais bien compris ce qu'est “l'amour inconditionnel”.

Nava nous raconta son histoire un soir que nous étions assis en famille à la table de Shabbat. La discussion s'enflamma vite. Je pris le parti de la mère: une personne, affirmai-je, est le produit de ses actions. Celle qui fait le bien est bonne, et celle qui fait le mal, mauvaise. Pourquoi cette mère, qui avait donné à son fils la meilleure éducation, qui lui avait permis de devenir, s'il l'avait voulu, un type bien, devait-elle aller visiter celui qui avait préféré tuer une femme de sang froid ? 

Certains des convives m'ont exprimé  leur désaccord en disant: “Et l'amour inconditionnel alors?” 

Je n'ai jamais bien compris ce qu'est “l'amour inconditionnel”. Je ne crois pas qu'on “devient ce qu'on mange”, mais je crois “qu'on est ce qu'on fait”. Comment aimer un fils qui est un meurtrier ? Ou un violeur ? Qu'y a t-il à aimer dans un tel mécréant ?  

Le barème 

Je n'ai qu'un fils, né  après cinq ans de traitements intensifs contre l'infertilité. Je l'adore et je l'inonde d'amour et d'attention, c'est évident. Bien après cette discussion de Shabbat au sujet du médecin condamné pour meurtre, mon fils s'est mal comporté à l'école. Son rabbin nous a appelés pour nous raconter ce qu'il avait fait. Moi qui suis d'un tempérament explosif, je lui aurais, en temps normal, vertement remonté les bretelles. Mais mon mari m'a calmée en me disant comment lui parler quand il rentrerait de l'école.  

Si j'avais fait quelque chose de réellement grave, tu ne m'aimerais plus.

“Ce que tu as fait me déplaît profondément”, lui ais-je dit, “mais je t'aime encore”. 

Sa réplique immédiate me fit presque tomber à la renverse: “D'accord, mais tu ne viendrais pas me rendre visite en prison!” 

Il semblait avoir intégré plus d'idées de cette ancienne conversation que je ne me l'étais imaginé. Ce qu'il me disait maintenant c'était: ton amour pour moi n'est pas sans limites. Si j'avais fait quelque chose de réellement grave, tu ne m'aimerais plus. Ton amour conditionnel pour moi n'est pas suffisant. 

Comme l'honnêteté est ce qui a toujours fait la teneur de notre relation, je ne pouvais pas lui répondre par des platitudes rassurantes. J'ai donc hoché la tête et lui ai répondu: “Non, tu as raison, si tu tuais quelqu'un, je ne viendrais pas te voir en prison.” 

Ce “je ne viendrais pas te voir en prison”, devint comme un gravier dans la chaussure de nos relations. Il me le renvoyait régulièrement à la figure. J'étais en train de réaliser que mon immense amour n'était pas pour mon fils plus rassurant qu'une grande demeure confortable de laquelle il pouvait être évincé à tout moment. Il fallait que je réapprenne à l'aimer inconditionnellement. Mais comment ? 

L'amour du Ciel 

Le Rabbin Efim Svirsky est venu un jour donner un cours de pensée juive / méditation chez moi. Il a indiqué aux femmes présentes comment se mettre en état de méditation, puis nous a demandé de ressentir: “Dieu est ici maintenant”. Pas de problème, je l'ai fait facilement.

Ensuite il nous a demandé  de ressentir: “Dieu vous aime”. Pas de problème. Je le ressens tout le temps.

Enfin il nous a demandé de ressentir: “Dieu vous aime inconditionnellement”. Oups, là, problème. 

J'ai pris soudain conscience que mon problème, c'est que je n'ai jamais ressenti d'amour inconditionnel. Ma mère m'aimait inconditionnellement, c'est sûr, mais mon père était celui que je regardais avant tout. Il avait quarante quatre ans quand je suis née, moi, sa fille unique. Il m'adorait et me donnait beaucoup d'amour.

Je n'ai jamais osé confronter ce “mais”.

Je lui donnais en fait de bonnes raisons de m'aimer. J'avais un carnet plein de 20/20, j'avais remporté un prestigieux concours de rédaction, et même un concours national; j'étais la présidente de notre synagogue, j'avais été acceptée dans les meilleures universités, et j'avais obtenu mes diplômes avec félicitations du jury. Comme ma mère le disait toujours, mon père était fier comme un paon de ma réussite. 

Mais si je n'avais pas toute cette réussite, m'aimerait-il autant ? Je n'ai jamais osé confronter ce “mais”. 

Quand le Rabbin Svirsky nous demanda de ressentir l'amour inconditionnel, j'ai réalisé qu'il fallait que je m'attaque au problème. Est-ce que Dieu m'aime à cause de ce que j'accomplis ? Certainement pas ! Dieu m'aime parce que mon âme est une étincelle de sa propre divinité lumineuse, à la manière d'une mère qui aime son enfant parce qu'il est une partie d'elle même, sans avoir rien à prouver. Nous sommes en cela pareils à Dieu, qui nous aime parce que l'essence de notre âme est une partie de Lui. J'avais tord de prétendre qu'une personne n'est que la somme de ses actes, comme un oignon sans noyau. Une personne est au contraire, essentiellement, son être le plus profond, son âme. Ses actions sont comme des écrans successifs qui enveloppent son âme, parfois si opaques qu'ils obscurcissent la lumière qui en émane. 

Mais Dieu a fait une alliance avec Jacob, que jamais une âme juive ne tomberait si bas qu'elle ne puisse être sauvée. Cette essence spirituelle, qu'on appelle parfois l'étincelle juive, est toujours digne d'un amour inconditionnel. 

Un beau jour, après avoir travaillé à assimiler ce concept dans ma tête et dans mon cœur, j'ai fait assoir mon fils et je lui ai annoncé: “Même si tu vas en prison, j'irai te voir. Je serai là.” 

Son visage s'est alors éclairé  d'un large sourire, et notre relation s'est améliorée du tout au tout. 

Succot. 

Quand il accomplit la Mitsvah de résider dans la Souccah pendant la fête de Souccot, un Juif est littéralement entouré par la Shékhina, la dimension féminine de la présence divine. On considère souvent cela comme la récompense du travail de repentir qu'un Juif a effectué pendant les jours de Rosh Hashana et de Kippour. Son âme étant débarrassée des souillures, il peut maintenant résider avec la présence de Dieu dans la Souccah.  

Notre monde matériel grossier et notre corps sont souvent comparés à une prison pour notre âme

Mais que se passe t-il si une personne ne s'est pas repentie? On nous enseigne que la condition pour obtenir le pardon divin à Yom Kippour est d'être passé par les quatre étapes de la Téshouva: reconnaître ses fautes, les regretter sincèrement, s'engager à ne pas les reproduire, et bien sûr obtenir le pardon des personnes offensées le cas échéant. Que ce passe t-il si quelqu'un ne fait Téshouva que sur une partie de ses mauvaises actions, ou pire, ne fait pas du tout Téshouva? Il se présente dans sa Souccah avec toutes ces fautes qui entachent encore son âme, comme un homme qui serait vêtu de guenilles et de haillons répugnants. Une telle âme mérite-t’elle de recevoir la présence divine quand elle s'installe dans la Souccah? 

La réponse est: oui, définitivement. Il n'y a pas de critères d'admissions pour la Souccah. Pas besoin d'arborer son badge de "j'ai fait Téshouva" pour rentrer. La présence divine descendra, émanera dans la Souccah, qu'elle soit habitée par des saints ou par des fauteurs. Et, puisque notre monde matériel grossier et notre corps sont souvent comparés à une prison pour notre âme, alors la visite de celle qu'on décrit comme “l'aspect maternel” de Dieu, s'apparentera à la visite qu'une mère fait à son enfant incarcéré. 

Réfléchissons à cela quand nous prenons place dans la Souccah, et essayons de ressentir Son amour inconditionnel !

 

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