Monde Juif

À la rencontre des derniers Juifs du Yémen

17/03/2015 | par Yvette Miller

Ils sont les descendants de l’une des plus vieilles communautés juives au monde. Aujourd’hui, les 90 derniers Juifs du Yémen luttent pour leur survie.

« Allah est grand, mort à l’Amérique, mort à Israël, malédiction sur les Juifs, victoire à l’Islam. »

Le slogan des houthistes, ces rebelles qui ont pris le contrôle de la capitale du Yémen, Sanaa, en janvier 2015, est pour le moins farouche. Il est d’ailleurs assez intriguant que leur virulence vise en particulier les Juifs, quand on sait que le Yémen – qui, durant plusieurs millénaires, a abrité l’une des plus grandes et plus vieilles communautés juives au monde – ne compte pratiquement plus de Juifs à l’heure actuelle.

La présence juive au Yémen remonte à l’époque du roi Salomon, lorsque des marchands s’aventurèrent jusqu’à l’extrémité sud de la péninsule arabique, pour finalement s’y installer et établir une communauté juive riche et prospère dans l’actuel Yémen. Précédant aussi bien le christianisme que l’islam dans cette région, le judaïsme a laissé une empreinte marquante sur l’histoire du Yémen. Pendant un certain temps, il y a plus de 1500 ans, le Yémen fut même dirigé par une dynastie de rois convertis au judaïsme.

Habiles de leurs mains, les juifs yéménites œuvraient traditionnellement dans l’artisanat ; ils étaient particulièrement réputés pour les bijoux, poignards et autres ouvrages de ferronnerie ornés qu’ils confectionnaient. Toutefois, à partir du 19ème siècle, une série de décrets leur rendirent la vie de plus en plus difficile. Il leur fut désormais interdit de porter des vêtements colorés ou de monter à cheval ou à dos d’âne. Plus grave encore, les orphelins juifs se faisaient adopter de force par des familles musulmanes. Malgré la quasi-impossibilité de voyager à pied, les Juifs commencèrent à quitter le Yémen. Ainsi, entre 1881 et 1914, environ dix pour cent de sa population juive s’enfuit vers l’actuel Israël.

Au fil du temps, les conditions de vie empirèrent ; en 1948, la ville portuaire d’Aden fut ravagée par un pogrom qui fit 82 morts et détruisit de nombreux habitations et commerces. Quand l’État d’Israël fut établi, l’une de ses premières priorités fut d’ailleurs le sauvetage des Juifs du Yémen. Sur les 50 000 Juifs que comptait la communauté, plus de 45 000 furent évacués par pont aérien en Israël durant l’opération « Magic Carpet » [Tapis volant]. Tragiquement, en dépit des efforts considérables mis en œuvre par le nouvel État juif pour permettre l’émigration des Juifs yéménites vers Israël, une fois sur place, ils furent souvent maltraités et forcés d’abandonner leurs convictions religieuses pour épouser un idéal laïc à l’européenne. Il fallut attendre de nombreuses années pour que la communauté yéménite d’Israël soit reconnue pour le caractère unique de sa culture si riche, ainsi que sa profonde contribution à la société israélienne. Dans les années 1990, 1 200 autres Juifs du Yémen montèrent à leur tour en Israël.

Une communauté qui lutte pour sa survie

Quant aux Juifs restants, ils devinrent la cible d’attaques de plus en plus fréquentes et violentes. Aujourd’hui, la communauté juive du Yémen se concentre dans deux villes : Raïda, au nord du Yémen, et Sanaa, la capitale. Au cours des dernières années, la violence et parfois les attaques s’y sont multipliées. En décembre, Moshe Nahari, frère d’un important rabbin yéménite et père de 8 enfants fut tué, en sortant de chez lui, à Raïda. Selon des témoignages, l’assassin aurait crié : « Juif, voici un message de la part de l’islam pour toi ! » avant de lui tirer une balle mortelle.

Quelques années plus tard, en 2012, Aaron Zindani, fut poignardé à mort dans un marché de Sanaa, alors qu’il faisait ses courses en compagnie de ses enfants. Plus récemment, le 21 janvier 2015, des rebelles houthistes s’en prirent à deux Juifs qui faisaient leurs courses en plein centre de la capitale. Selon le témoignage de Youssef Habib, l’un des derniers rabbins du Yémen, « les deux chalands juifs, reconnaissables à leurs longues papillotes distinctives, furent arrêtés par deux hommes qui leur ordonnèrent de glorifier le prophète Mohamed. Devant leur refus, ils les rossèrent publiquement puis leur confisquèrent leurs possessions. »

Alors qu’ils gagnent du terrain, les dirigeants houthistes prétendent que les quelques Juifs restants du Yémen n’ont rien à craindre, mais les principaux intéressés ne partagent pas tous cet avis. Haboub Salem Moussa, un Juif de 36 ans, se rappelle encore comment lui et sa famille durent s’enfuir de leur ville natale de Saada en 2006, pour échapper à la vague de violence perpétrée par les rebelles. « Les houthistes nous poursuivaient partout où nous allions. Les attaques voire les conversions forcées étaient communes à cette époque. »

Visite aux 90 Juifs restants

À l’heure actuelle, il reste environ 90 Juifs dans l’ensemble du Yémen.

Ceux vivant à Sanaa sont pratiquement assignés à résidence. Ceux sont des réfugiés qui ont fui les combats au nord du Yémen, et ont rejoint la capitale entre 2004 et 2010. Ils sont obligés de vivre reclus dans la « Cité Touristique », un complexe barricadé réservé aux travailleurs étrangers, et gardé par la sécurité publique. Ils subsistent difficilement de menus travaux et d’indemnités accordées par le gouvernement en compensation de la destruction de leurs maisons.

En 2013, un professeur américain de l’Université de Brandeis et visiteur fréquent du Yémen – qui a souhaité conserver l’anonymat en raison de la situation sécuritaire précaire du Yémen – est allé à la rencontre des Juifs de Sanaa dans leur mini ghetto. Lors d’un entretien exclusif accordé au site Aish, il a décrit les conditions de vie sur place. Le complexe est une espèce de « ville dans une ville », comprenant 30 bâtiments. Outre les Juifs de Sanaa, il accueille également des travailleurs étrangers, dont des infirmières russes et des diplomates irakiens. À l’intérieur du complexe, la population peut osciller de 200-300 personnes à 1 200 personnes. Les Juifs vivent dans des appartements relativement modernes, et jouissent de meilleures conditions de vie que bon nombre de leurs concitoyens. « Ils disposent de logements modernes pourvus d’une alimentation en eau courante, un luxe auquel la majorité des habitants ne peut pas prétendre. »

Le professeur américain a passé un Chabbat en compagnie des Juifs de Sanaa, et a pu constater que ces derniers restent attachés à la pratique religieuse et à leurs traditions.

Ainsi, chaque après-midi, les garçons juifs retrouvent leur maître, qu’ils appellent « mori » [mon maître] pour étudier la Torah. Garçons comme filles, ils savent tous lire et écrire, chose peu commune dans un pays où l’analphabétisme sévit durement.

La situation de la deuxième communauté juive, située au nord de la ville de Raïda, semble plus précaire. Les 45 Juifs qui y vivent se raccrochent à leurs traditions religieuses, et perpétuent le savoir-faire traditionnel juif de l’orfèvrerie. Un reporter du New York Times en visite en février 2015 a constaté que les Juifs de Raïda sont reclus dans un complexe sécuritaire situé à l’extérieur de la ville. Ce qui ne les empêche pas d’essuyer des menaces quotidiennes. Un exemple typique : alors qu’il conversait avec un membre de la communauté juive, le journaliste new-yorkais s’est fait invectiver par un vendeur de qat (une drogue douce populaire au Yémem) : « Que fais-tu avec ce sale Juif ? » Et à la réponse: « C’est un être humain, somme toute ! » transmise par son interprète, le reporter s’est vu répliquer : « Non, ce n’en est pas un ! »

Résumant la solitude des siens à Raïda, Abraham Jacobs, un Juif de 36 ans confie : « Nous n’avons aucun ami ici. Alors nous nous efforçons de garder nos distances autant que faire se peut. »

Une paire de Téfiline pour toute la communauté

La communauté juive de Sanaa dut se défaire de la plupart de ses possessions, lorsqu’elle fuit les violences qui agitèrent le nord du pays. « Ils ont réussi à prendre avec eux un rouleau de Torah qu’ils ont dissimulé dans un sac de poubelle noir. » Ils parvinrent également à faire sortir clandestinement un seul Talit et une seule paire de Téfiline qu’ils se partagent entre tous les Juifs. Quand le professeur leur rendit visite en 2013, un adolescent du nom de Gamil s’apprêtait à célébrer sa bar-mitsva. « Il connaissait toute la Torah et le Targoum [un commentaire ancien sur la Torah] par cœur » s’émerveille le professeur. Ils ont visiblement forgé de profonds liens puisqu’en partant. En partant, il lui a d’ailleurs offert ses propres Talit et Téfiline en guise d’adieu. « Si vous aviez vu son sourire ! » se souvient le professeur.

« C’est la plus vieille communauté juive du monde, conclut le professeur. Elle suit de nombreuses coutumes anciennes qui sont tombées dans l’oubli dans beaucoup d’autres communautés… C’est une magnifique communauté. » Il précise que du moins pour le moment, les Juifs du Yémen jouissent d’une sécurité relative, qui leur permet de se consacrer à leurs traditions et mode de vie ancestraux. Mais leur avenir au Yémen est incertain. Récemment, les dirigeants houthistes ont rencontré les Juifs de Sanaa et les ont assuré qu’ils pouvaient rester dans leur complexe protégé pour le moment. Le professeur américain note que, nonobstant leur slogan farouchement antisémite, les houthistes nouvellement au pouvoir sont mieux disposés vers les Juifs restants que n’importe quel autre groupe politique présent au Yémen, comme Al-Qaïda ou l’État islamique.

Les houthistes continuent à consolider leur pouvoir au Yémen. Le président Abed Rabbo Mansour Hadi a fui Sanaa le 21 février 2015, abandonnant la capitale entre les mains des rebelles houthistes, bien qu’il prétende demeurer président du Yémen. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont tous fermé leurs ambassades au Yémen au cours des dernières semaines. Depuis la prise de pouvoir de la capitale, de plus en plus de Juifs yéménites plient bagage.

En février, une famille de six personnes a quitté le Yémen pour Israël, réduisant encore davantage la communauté. Quant aux autres, c’est l’attachement à leurs traditions et à leur mode vie qui les détermine à rester. Du moins, pour le moment.

« Depuis septembre dernier, nos mouvements sont devenus très limités, et certains membres de la communauté ont préféré quitter le Yémen » a déclaré Rabbi Yehya Youssef Saïd après l’arrivée des houthistes à Sanaa. Quant à lui-même, il refuse de suivre le mouvement. « Nous ne voulons pas partir, martèle-t-il. Si nous le voulions, nous l’aurions fait depuis longtemps »

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