Monde Juif

Attentat d'Hypercacher : une otage raconte

15/01/2015 | par Aish.fr

Zarie est l’une des otages de l’attentat sanglant de Vincennes. En exclusivité pour Aish.fr, elle revient sur les cinq heures de cauchemar sous la menace du tueur.

Zarie a 22 ans. Elle est l’une des otages de l’attentat sanglant dans un supermarché cacher de la Porte de Vincennes. En exclusivité pour Aish.fr, elle a accepté de raconter ses cinq heures de cauchemar passées sous la menace du terroriste. Elle a fait preuve d’un sang-froid sans faille, sans jamais se départir de la foi qui lui a permis de rester forte durant ce drame. Un témoignage poignant.

Aish.fr : Zarie, vous êtes employée à l’Hypercacher de la Porte de Vincennes. Comment l’attentat a-t-il débuté ?

Zarie : Il était entre 13 h et 13h30. Un père de famille accompagné d’un enfant de deux ans passait à ma caisse quand j’ai entendu le coup de feu sur Yohann (Cohen, ndlr), le jeune homme qui travaille avec moi, et le premier à être touché. Il a crié le nom du patron qui, blessé, a réussi à quitter le magasin. Je n’ai pas tout de suite compris qu’il s’agissait d’un vrai coup de feu.

Aish.fr : Vous n’avez pas été touchée ?

Zarie : Non. J’ai entendu des coups de feu et des cris, puis des pas qui se sont rapprochés de moi. J’ai entendu la voix du tueur qui me disait : « Tu n’es pas encore morte toi ? » Et puis un bruit de coup de feu dans ma direction.

Aish.fr : Combien étiez-vous dans le supermarché ?

Zarie : Nous étions 25 au début, mais après les tirs, il ne restait plus que 6 personnes à côté de moi. J’ai compris que les autres s’étaient cachés. Le terroriste m’a ordonné de l’aider et je l’ai supplié de ne plus tuer. Quand je suis allée dans le bureau où il nous a réunis, j’ai vu un homme allongé dans une marre de sang (Philippe Braham, ndlr). Pour la première fois, j’ai aperçu le visage du terroriste et ses armes.

« La différence entre nous, c’est que pour vous les Juifs, le plus important c’est la vie, alors que pour nous, c’est la mort ».

Aish.fr : Que vous a-t-il dit ?

Zarie : Il nous a fait part de ses « projets » : « Je veux mourir en martyr et venger le nom d’Allah. La différence entre nous, c’est que pour vous les Juifs, le plus important c’est la vie, alors que pour nous, c’est la mort ».

Puis il nous a demandé de poser sur le bureau toutes nos affaires et nos pièces d’identité. Il m’a ordonné de fermer la porte en verre du magasin. Je m’apprêtais à le faire quand j’ai vu un homme qui essayait d’entrer. Je l’ai supplié de partir d’une voix paniquée. Mais il a cru que je fermais simplement le magasin. Il m’a dit : « Je n’ai besoin que d’une ‘halla pour chabbath ! » Je n’ai pas pu l’arrêter, ni l’avertir qu’il y avait un tueur juste derrière moi.

Aish.fr : C’était François-Michel Saada ?  

Zarie : Oui. Il s’est dirigé vers les ‘halloth et, par la même, sans s’en rendre compte, vers le terroriste. Quand il a compris qu’il y avait un homme en arme, il s’est retourné pour sortir mais le tueur lui a tiré dans le dos.

Aish.fr : Il y avait donc deux morts à ce stade ?

Zarie : Oui… Et Yohann souffrait terriblement. Il gémissait et l’on ne pouvait rien faire pour lui. En fait, il avait reçu une balle dans la joue qui lui a complètement déchiré le visage. [...]. C’était absolument terrible.

Aish.fr : Et le tueur n’a rien fait ?

Zarie : Si, il voulait l’achever mais nous l’en avons empêché, pensant qu’il pourrait s’en sortir. Le terroriste avait sur lui deux kalachnikovs et une mitraillette en bandoulière, des explosifs, des tonnes de munitions et un couteau. Il m’a ordonné de descendre chercher les autres clients en me laissant 20 secondes pour le faire, faute de quoi il tuerait deux femmes qu’il avait désignées.

Aish.fr : Vous êtes descendue vers les chambres froides ?

Zarie : Oui, certains clients s’y étaient cachés mais ne voulaient pas remonter. Je suis allée le lui dire et il m’a demandé d’appeler la police en mettant le haut-parleur. En composant le 17, nous sommes tombés sur la centrale téléphonique. Nous avons attendu de longues minutes, ce qui était fou, vu la situation. Finalement, il a expliqué qu’il s’agissait d’une prise d’otages et la policière lui a dit qu’elle devait en référer à ses supérieurs. La conversation a été interrompue car des clients ont commencé à remonter.

Aish.fr : Le tueur vous a-t-il avoué ses motifs ?

Zarie : Oui, il a expliqué que son commando s’était scindé en deux : les frères Kouachi pour liquider Charlie Hebdo, et lui-même pour s’occuper de la police et de nous.

Il a envoyé une autre personne qui est descendue pour chercher les clients cachée en bas et deux ou trois personnes sont remontées avec l’un d’entre eux, Yoav (Hattab ndlr). Celui-ci a commencé à analyser la situation, pour agir. Il ne voyait pas les morts et ne s’est pas vraiment rendu compte de la situation. À ce moment-là, je me suis éloignée. Yoav a commencé à parler au tueur qui avait posé l’une des deux kalachnikovs, essayant d’en saisir une. Mais le terroriste a été plus rapide et lui a tiré deux balles dans la tête. J’étais à quelques mètres et quelqu’un m’a dit de lever le rideau de fer, chose qui prend plusieurs minutes. Le terroriste a commencé à crier en ma direction. Yoav est tombé, replié sur lui-même et il y avait énormément de sang, je n’en ai jamais vu autant. J’ai pensé que le terroriste allait me tuer, mais il m’a demandé de le suivre dans le bureau. J’ai dû pousser le caddy qui soutenait Yoav qui s’est alors écroulé.

« Je suis venu faire venger mes frères de l’État français que vous soutenez en payant vos impôts. »

Aish.fr : Combien d’otages étiez-vous ?

Zarie : Nous étions alors 18 personnes. Je le sais car il m’a demandé de faire le décompte. Il parlait à la police et a annoncé qu’il y avait trois morts et un blessé. On s’est tous assis sur des caddys allongés dans le dernier rayon du magasin au fond. Le tueur s’est assis et a commencé à nous parler. Il nous a demandé de décliner nos noms et nos religions. Tout le monde était juif excepté une femme qui était catholique, et une femme âgée qui a dit ne pas être juive. Il s’est moqué d’elle en disant : « si vous n’êtes pas juive pourquoi faites-vous courses à Hypercacher ? Moi, je suis d’origine malienne et Musulman. Je suis venu faire venger mes frères de l’État français que vous soutenez en payant vos impôts. » Tout en chargeant ses armes, il nous a raconté que l’armée française tuait des gens dans son pays mais que personne n’en parlait. Nous avons cru que c’était nos derniers instants. En fait, il voulait que sa prise d’otages soit médiatisée. Il a appelé BFM TV et nous a laissé assez libre pour que je puisse appeler mon père qui m’a rassurée et m’a conseillé de prier. J’ai ensuite parlé à ma mère et cela m’a beaucoup émue. J’ai commencé à pleurer. Elle m’a dit de me renforcer dans la emouna (la foi en Dieu ndlr). J’ai ensuite expliqué à Andréa (l’autre caissière ndlr) que nous allions nous en sortir mais qu’il fallait nous renforcer dans les mitsvoth. À côté de nous, une femme tout à fait détendue nous a dit que tout était entre les mains d’Hachem, pour le bien. J’ai récité le psaume « essa enaï el heharim » (Psaume 121 ndlr), c’est le premier qui m’est venu à l’esprit. « Je lève les yeux vers les montagnes, pour voir d’où me viendra le secours. Mon secours vient de l’Éternel, qui a fait le ciel et la terre. »

Aish.fr : Il vous a laissé seul ?

Zarie : En fait, la prise d’otage a duré près de cinq heures et une relative confiance s’est établie. Il nous laissait relativement libres de nos mouvements et après avoir demandé à quelqu’un de casser toutes les caméras du magasin, il nous a proposé à boire. Il a commencé à nous refaire un discours sur la situation géopolitique et nous allions dans son sens afin de le calmer. À un moment, il a pointé son arme vers Andréa qui a mis ses mains devant elle pour se protéger. Mais il l’a rassurée en disant : « Je ne vais pas te tirer dessus ! ». Il venait de tuer froidement quatre personnes mais s’étonnait que nous soyons effrayés. Heureusement que nous étions à plusieurs. On se soutenait les uns les autres au moment où l’on craquait. J’ai encouragé les otages à prendre de bonnes résolutions et à se renforcer dans le respect de la Torah.

Aish.fr : Était-il violent avec vous ?

Zarie : Son attitude était très bizarre. Il oscillait entre le crime sans pitié et un ton rassurant. Il répétait que s’il obtenait ce qu’il voulait, il ne nous tuerait pas. Il voulait faire une annonce aux médias afin que l’armée française se retire de tous les pays où elle faisait des opérations et exigeait que l’on relâche les frères Kouachi cachés dans l’imprimerie. J’ai pensé que nous n’allions jamais sortir vivant, vu la teneur de ses revendications. Il a dit que si on le laissait faire sa déclaration à la télé, il laisserait sortir le bébé de deux ans.

Entre temps, c’est Aviel, le responsable de la sécurité (qui ne faisait pas partie des otages) qui a donné les informations sur la situation à la police. C’est lui qui a appelé les forces de l’ordre et leur a donné le plan du magasin, l’emplacement des sorties etc. Patrice, le patron, qui avait réussi à s’enfuir au début, avait été transporté à l’hôpital dans un état grave.

Le terroriste nous a parlé longuement des médias, de Ben Laden, etc. et a raconté son histoire : il venait de sortir de prison pour terrorisme après quatre ans, alors qu’il en avait été condamné à cinq.

On a commencé à donner à boire aux gens. Il nous surveillait en se faisant un sandwich. Il faisait des blagues sur la gratuité du magasin.

Le téléphone sonnait sans cesse. Quand on répondait, les gens nous demandaient quelle était la situation. À un moment, on a reçu un appel d’un homme qui s’est énervé contre ce terroriste qui faisait passer les Musulmans pour des assassins. Du coup, on a débranché le téléphone. C’était l’attente. Dans le magasin, il y avait du sang partout.

Aish.fr : La police était sur place ?

Zarie : Nous ne savions pas ce qui se passait dehors. Au départ, le tueur m’avait demandé où se trouvait la porte de secours et avait ordonné à quelqu’un de la bloquer. Après son discours, il a décidé de faire sa prière. On a eu peur que ce soit nos derniers moments. Puis on a entendu des coups frappés sur la porte de secours barricadée. On s’est réfugié de l’autre côté, derrière la caisse d’Andréa. On ne savait plus quoi faire. C’était la panique totale. On s’est tous allongés par terre, les mains sur la tête. On a entendu quatre coups de feu puis des coups sur la porte.

Je souhaite que les gens puissent allumer les bougies de Chabbath plus tôt, en y mettant toute leur ferveur.

Aish.fr : C’était la fin ?

Zarie : Il y a eu une forte explosion et les policiers ont ouvert le rideau en fer avec une clef. Cela a duré plusieurs minutes, une éternité par rapport à la situation et au fait que le terroriste aurait pu nous achever en quelques secondes : c’est un miracle qu’il ne nous ait pas tiré dessus. La police est entrée avec des boucliers. Et là, nous avons entendu une cinquantaine de coups de feu, un bruit étourdissant. On a entendu « il est mort ! » et tout le monde est sorti. Je savais qu’il y avait encore des gens en bas et ils ont vu le carnage en remontant. On est monté dans un bus, en pensant aux victimes. Nous avons pris conscience que nous avions bénéficié d’un miracle car nous étions sains et saufs.

Aish.fr : Quel est le message que vous souhaitez transmettre après cet attentat terrifiant ?

Zarie : Pour moi, le message central c’est la emouna, la foi en D.ieu : le terroriste était armé jusqu’aux dents et pourtant, on s’en est sorti. Il n’y a que la emouna qui nous a permis de garder un semblant de normalité, de parler, de bouger, d’agir. J’ai pu prier durant toute la durée de la prise d’otage. Moi qui vis majoritairement en Israël, je prie pour que mes proches puissent venir très rapidement en Erets Israël. Tout s’est déroulé avant Chabbath et nous avons été libérés moins d’une heure après le début de Chabbath. Pour moi, notre délivrance est liée aux lumières de Chabbath. Je souhaite que les gens puissent allumer les bougies plus tôt en y mettant toute leur ferveur. Pour moi, c’est le Chabbath qui nous a sauvés.

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram