Monde Juif

Entretien passionnant avec le grand rabbin Lau : comment passer le flambeau du judaïsme ?

14/11/2017 | par Shraga Simmons

Antisémitisme, Alya et assimilation, l'ancien grand rabbin d'Israël se penche sur la situation actuelle des Juifs.

Le rabbin Israël Méïr Lau a été pendant 10 ans le grand rabbin ashkénaze d’Israël. Il remplit actuellement la fonction de grand rabbin de Tel Aviv et ce, pour la vingtième année consécutive. À l’âge de 8 ans, il fut le plus jeune détenu libéré du camp de concentration de Buchenwald (comme il le raconte dans son livre de mémoires sur la Shoah traduit en français sous le titre Loulek, l’histoire d’un enfant de Buchenwald qui devient grand rabbin d’Israël). Aujourd’hui, il est président de Yad Vashem, le mémorial dédié à préserver la mémoire de la Shoah pour les générations futures.

Le grand rabbin Lau a accordé un entretien au site Aish.fr dans son bureau à Tel Aviv, en prévision du congrès annuel des institutions Aish Hatorah qui se tiendra les 17-19 novembre à New York, et où il figurera parmi les orateurs principaux.

Aish.fr : Tant de jeunes Juifs se sentent déconnectés d’Israël et de leur héritage juif. En tant que 38ème maillon d’une chaîne ininterrompue de rabbins, quel est votre message à ces Juifs ?

Grand rabbin Lau : En athlétisme, on trouve l’épreuve de la course de relais. Vous courrez 100 mètres, puis vous transmettez le bâton de relais à l’équipier suivant. À l’époque des Maccabées, ce bâton était remplacé par un flambeau. Pour le peuple juif, le feu revêt une importance capitale : la Torah est qualifiée de « loi de feu » (Deut. 33, 2), d’où le nom Aish Hatorah – le feu de la Torah. Le feu nous procure lumière et chaleur. Cette torche de la tradition juive a été transmise de génération en génération, pendant près de 4000 ans depuis l’époque d’Abraham.

Voici ce que je dirais à un jeune juif : le flambeau se trouve actuellement entre tes mains. Tu es un équipier dans la course de relais des générations. Vas-tu éteindre le flambeau, ou vas-tu le transmettre à la génération suivante ? Toutes les générations précédentes ont fait passer cet héritage, tout en te confiant la tâche de transmettre à ton tour ce que tu as hérité. Regarde-toi dans le miroir et demande-toi : est-ce juste d’éteindre la flamme ? La réponse à cette question, ce n’est pas à moi que tu la dois mais à toi-même.

Aish.fr : En Europe, l’antisémitisme est d’une gravité inégalée depuis de nombreuses années. Prenez, par exemple, un jeune juif français qui ne parle pas l’hébreu et dont la famille, les amis et la carrière se trouvent en France, mais qui est pourtant préoccupé par son avenir là-bas. Qu’est-ce qui pourra le convaincre que son avenir se trouve en Israël ?

Grand rabbin Lau : On ne peut pas aimer ni apprécier quelque chose que l’on ne connaît pas. Il en va de même lorsque vous choisissez un conjoint, vous devez poser beaucoup de questions, regarder l’autre personne droit dans les yeux, cela afin de déceler la profondeur qu’elle abrite. Ressentez-vous un attachement ou non ?

La réponse à votre question est donc de passer du temps en Israël. De voyager, de rencontrer le peuple, de visiter le Mur occidental, d’étudier l’histoire du pays. Et puis votre décision sera prise.

Moïse souhaitait ardemment traverser la frontière de la terre d’Israël, mais n’eut pas le privilège de réaliser ce rêve. Nous avons l’opportunité d’accomplir ce que même Moïse ne fit pas. Comprenez le commandement de Dieu à Abraham : Lekh Lékha – « pars vers la terre que Je te montrerai. » Comprenez pourquoi Isaac prit soin de ne jamais mettre les pieds en dehors d’Israël. Étudiez l’histoire des communautés juives en Russie, en Irak – et même en France pendant la Shoah – et de tant de communautés en diaspora qui furent persécutées au fil des siècles. Israël accueille une présence juive ininterrompue depuis l’époque du roi David. Comprenez votre attachement à cette histoire.

Aish.fr : Aujourd’hui en Israël, il y a des tensions entre les Juifs religieux et laïques. Que pouvons-nous faire pour améliorer la situation, pour rapprocher davantage les deux parties ?

Grand rabbin Lau : Il n’existe pas de solution facile. C’est une démarche longue et fastidieuse. Pour les Juifs laïques, le cœur du problème c’est le Chabbath. Ils vous disent : « Comment pouvez-vous permettre d’arrêter les bus ou les trains pendant Chabbath ? C’est de la coercition religieuse. Vous, vous pouvez aller à la synagogue, mais moi, laissez-moi vivre comme bon me semble. »

Malheureusement, la perception de nombreux Juifs laïques est que le Chabbath tourne essentiellement autour de « ce qui est interdit ». Il est interdit d’allumer une cigarette, interdit de conduire une voiture. L’électricité est interdite, la cuisine est interdite, l’écriture est interdite. Il est interdit d’utiliser le téléphone, de faire la lessive, de regarder la télévision ou d’écouter la radio. Il est interdit d’aller à la piscine ou de faire du shopping. Interdit, interdit, interdit !

Le problème c’est qu’on entend seulement parler du côté restrictif du Chabbath et non pas de son côté positif et agréable. L’allumage des bougies, l’accueil du Chabbath avec le cantique de « Lé’ha Dodi », la récitation du Kidouch devant la table du Chabbath magnifiquement dressée, les chants du Chabbath. On ne comprend pas la profondeur et la sagesse de la section hebdomadaire de la Torah.

On ne peut pas accepter le Chabbath si on n’a jamais goûté au Chabbath. Commencez par découvrir ce que le Chabbath a à vous offrir, puis ensuite décidez si cela vous séduit davantage que la plage ou le shopping. Nous disposons de six autres jours pour ce genre d’activités.

Les commandements positifs du Chabbath (Zakhor) et les interdictions qui sont liées à ce jour (Chamor) ont été prononcés en une seule émission de la loi divine. Dans la Torah, Zakhor est écrit dans la première mention des Dix commandements (Exode 20, 8) tandis que Chamor apparaît dans la deuxième mention (Deut. 5, 12) Ce n’est pas par hasard si les commandements positifs figurent en premier. Mais un Juif laïque, qui n’a jamais vécu le Chabbath, n’en retient que l’aspect restrictif.

Dans les générations précédentes les Israéliens non-religieux avaient au moins des grands-parents qui observaient un Chabbath traditionnel. Pendant les vacances d’été, quand ils venaient leur rendre visite, ils assistaient à l’allumage des bougies et dégustaient le cholent (le plat traditionnel du Chabbath). Malheureusement, de telles occasions de vivre le Chabbath sont plus rares aujourd’hui.

La solution se trouve entre nos mains. Nous devons inviter des gens dans notre maison, leur montrer la beauté d’une table de Chabbath. Nous pouvons leur demander gentiment : « Qu’avez-vous à perdre ? Cela ne vous coûte rien. Cela ne vous fera aucun mal. Venez une fois et voyez par vous-même. » L’invitation suffit déjà à véhiculer le sentiment que vous vous souciez d’eux.

Il y a quelques années, le ministre israélien de l’Intérieur, Guidone Saar, un Juif non-pratiquant, était en mesure de signer une nouvelle loi permettant l’ouverture de supermarchés de Tel Aviv  pendant Chabbath. Lors des fêtes de Chavouot et Roch Hachana, Guidone et son épouse furent invités chez moi.

Je lui ai demandé d’examiner les questions suivantes : Qui sont les employés du supermarché ? Qui est le manutentionnaire ? Qui est le caissier ? Qui est l’agent de sécurité à la porte d’entrée ? Qui assure l’entretien des sols ? Ceux sont des nouveaux immigrants de Russie et d’Éthiopie, ainsi que des étudiants universitaires qui doivent assurer leurs dépenses. Pendant toute la semaine, ils travaillent comme des esclaves. Et s’ils diront : « Je ne peux pas travailler pendant Chabbath », les responsables du supermarché leur répondront : « Alors nous pouvons nous passer de vos services. »

Pendant ce temps, le propriétaire du supermarché se trouve en vacances à Monte Carlo. Il tient à ce que les magasins soient ouverts le Chabbath parce qu’il a besoin de plus d’argent. Son jet privé ne lui suffit pas ; il lui faut également un yacht privé. Ne serait-ce qu’un jour par semaine, le « peuple du livre » ne devrait pas être défini comme le « peuple du commerce ».

Le respect du Chabbath à l’échelle publique se justifie par de nombreuses raisons – religieuses, sociales et nationales. En tant que témoignage de la création du monde par Dieu, le Chabbath est la fondation du monothéisme. Le Chabbath commémore l’exode d’Égypte, notre libération de l’esclavage. Le Chabbath est le meilleur moyen de rétablir l’égalité entre les hommes ; il n’y a pas de disparités sociales, pas de relation « patron et employé ». Le Chabbath fournit repos physique au corps et élévation spirituelle à l’âme.

Le premier maire de Tel Aviv, Méïr Dizengoff, a établi que tous les commerces et attractions doivent être fermés pendant la durée du Chabbath. Dizengoff était laïque, mais il avait compris cette vérité : quiconque porte atteinte au Chabbath, disait-il, porte atteinte à l’unité du peuple juif.

En Israël, les enfants vont à l’école six jours sur sept. Pendant la semaine, les familles n’ont pas beaucoup de temps pour s’asseoir et discuter ensemble : parents et enfants, mari et femme. Le seul jour de congé est le Chabbath. C’est le jour destiné à souder les liens familiaux.

Mais que se passera-t-il si les parents travaillent au supermarché ? En ce seul et unique jour où les enfants n’ont pas école, ces parents travailleront pour remplir les poches des propriétaires de commerces, au lieu de passer des moments privilégiés avec leurs enfants ? Est-ce juste ? Est-ce là la réalisation de notre rêve de retourner sur la patrie juive après 2000 ans d’exil ?

Comme ce fut le cas du Esaü biblique, n’échangeons pas nos plus importantes valeurs contre « un bol de lentilles ».

C’est ce que j’ai expliqué à Guidon Saar. Et quand l’autorisation d’ouvrir les supermarchés pendant Chabbath a atterri sur son bureau, il n’a pas signé.

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