Monde Juif

Inquiétude autour du sort des Juifs d'Ukraine

21/05/2014 | par Shraga Simmons

Le chef de la communauté juive d'Odessa s'exprime sur les menaces qui pèsent sur la communauté. Une exclusivité Aish.fr.

Par un malheureux hasard, la Grande Synagogue d'Odessa est non seulement située dans le quartier central de la ville, mais plus précisément à son épicentre.

Or c'est bien le dernier endroit où un Juif voudrait se trouver avec les troubles civils actuels en Ukraine, lors desquels des milices locales ont pris d'assaut des bâtiments gouvernementaux et des postes de police, et où des combats de rue ont déjà fait des milliers de victimes.

Les deux parties qui s'affrontent sont d'une part les partisans d'une augmentation de l'influence russe en Ukraine, et de l'autre les défenseurs d'une indépendance plus effective et d'un rapprochement avec l'Union européenne.

Ce week-end, le rabbin Raphael Kruskal n'a pas voulu prendre de risques. Il a évacué près de 1000 Juifs de la ville, pour leur faire passer deux jours dans un coin de campagne plus paisible qu'Odessa.

Quand il y a des tensions, les Juifs sont toujours pris à partie.

« Quand il y a des tensions, les Juifs sont toujours pris à partie », dit le rabbin Kruskal qui, en qualité de directeur de l'association Tikva, coordinatrice de nombreux services sociaux d'Odessa, est responsable de centaines d'enfants orphelins, d'étudiants et de personnes âgées.

« J'hésite à utiliser le mot évacuation, qui a une connotation d'urgence, a-t-il déclaré à Aish.fr. Disons que nous mettons nos protégés dans un environnement où ils se sentiront plus détendus. »

Ce week-end était un baril de poudre à double explosion. Ce vendredi 9 mai 2014 - bien triste anniversaire de la victoire de l'URSS sur l'Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale -, des fusillades nourries ont fait des dizaines de victimes parmi lesquelles un officier de police. Le dimanche suivant, les Ukrainiens étaient appelés aux urnes pour un référendum controversé, portant sur la sécession de Donetsk en Ukraine orientale.

L'évacuation temporaire d'Odessa par la communauté juive était initialement une précaution de sécurité, mais le rabbin Kruskal, passé maitre dans l'art de positiver et de saisir toute opportunité pédagogique, a fait venir un orateur spécial en provenance d'Israël et a transformé la retraite en une paisible mise au vert.

« Nous ne voulons pas être pris entre deux feus, dit-il. Dans ces moments, il est préférable pour la communauté juive de garder un profil bas et de ne pas trainer dans les rues. »

La douloureuse histoire des Juifs d'Odessa

Depuis novembre dernier, lorsque les forces pro-russes ont commencé à s'agiter, la communauté juive ukrainienne au passé historique douloureux a senti le vent tourner.

En avril 2014, Gennady Kernes, le maire juif de Kharkiv, deuxième plus grande ville de l'Ukraine, a été la cible d'une tentative d'assassinat. Il a reçu une balle dans le cou pendant son habituel jogging matinal.

• Toujours en avril, la communauté a eu peur quand un tract d'origine douteuse et appelant les Juifs à s'inscrire sur un «registre spécial» a été distribué dans la partie orientale de l'Ukraine, à Donetsk.

• Plusieurs attaques antisémites, y compris des coups de couteau et des tentatives d'incendies de synagogues ukrainiennes, ont été perpétrées depuis novembre.

En 1941, le massacre d'Odessa a entrainé la mort de 80 % des 210 000 Juifs de la région.

Odessa, port maritime de la mer Noire, a déjà vu le sang juif coulé dans ses rues. Tout au long du XIXème siècle, alors que les Juifs représentaient environ 40% de la population de la ville, une succession de pogroms meurtriers a forcé nombre d'entre eux à fuir. Et en 1941, le massacre nazi d'Odessa a entrainé l'assassinat de 80% des 210 000 Juifs de la région.

Aujourd'hui, les 45 000 Juifs d'Odessa ne représentent que 4% de la population citadine qui atteint le chiffre d'un million d'habitants. Odessa est la quatrième plus grande ville d'Ukraine.

Originaire de Londres, le rabbin Kruskal a déjà passé 15 ans à Odessa en qualité de directeur de Tikva, une organisation fondée en 1993 pour aider les centaines d'enfants juifs locaux sans-abri, victimes de mauvais traitements et de négligence, et relégués dans les sombres institutions locales ou vivotant dans la rue.

Le rabbin Kruskal dit qu'aujourd'hui en Ukraine, de nombreux Juifs se battent pour survivre dans une économie où le salaire moyen est de 50 $ par mois, et dans laquelle n'existent que peu de filets de sécurité sociale - au point où certains parents ne peuvent pas faire face et en viennent en désespoir de cause à abandonner leurs enfants.

Le réseau Tikva apporte un renouveau juif à Odessa. En revanche, la question de savoir si la région reste sûre pour les Juifs est toujours en suspens. Les dernières semaines ont vu des manifestations de rue, menées par des hommes armés et masqués, passer très près de la Grande Synagogue.

Chaque jour apporte son lot de nouvelles craintes. « Il y avait quelques jours a couru une rumeur selon laquelle l'approvisionnement en eau à Odessa avait été empoisonné, donc tout le monde s'est mis en quête d'eau potable, raconte le rabbin Kruskal. La rumeur s'est révélée fausse mais les gens ont continue de faire des stocks, juste au cas où. Il y a ainsi beaucoup de peurs et d'inquiétude. »

La violence et le chaos qui sévit en Ukraine a mis le rabbin Kruskal dans une position inhabituelle du point de vue de la loi juive : il se doit de répondre aux appels téléphoniques de la police pendant le Chabbath.

Tout en restant optimiste quant à l'avenir de la communauté juive d'Odessa, le rabbin Kruskal - qui est également président du Comité exécutif de la Conférence des rabbins européens - ne prend aucun pari. « Beaucoup de sites de propagande accusent les Juifs de créer tout ce désordre, explique-t-il. Nous avons déjà renforcé la garde rapprochée de la synagogue, et la mise au vert de ce week-end est une précaution pour s'assurer que notre communauté est hors d'atteinte. »

L'avenir proche promet malheureusement d'être incertain. Le 25 mai prochain est la date prévue pour de nouvelles élections présidentielles, mais les violentes tensions persistantes et drainant les foules ressemblent de plus en plus au début d'une guerre civile.

Le rabbin Kruskal est résolu à protéger sa communauté : « Si les choses empirent, dit-il, et que nous en voyons la nécessité, nous émigrerons dans un autre pays. » 

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