Monde Juif

La femme non-juive qui sauva mon père des Nazis

22/02/2017 | par Moché Zeldman

De Sibérie en Russie, du Canada à Israël, l’histoire touchante d’un acte de bonté aux répercussions interminables.

Mon père, qui est décédé récemment à l’âge de 82 ans, m’a raconté une histoire exceptionnelle à propos de son enfance.

Mon père, Bernard (Baroukh) Zeldman, est né dans la ville de Simferopol, en Russie, en l’an 1934. Il avait tout juste neuf ans quand la Russie s’engagea dans la Seconde guerre mondiale afin de lutter contre la menace nazie. Accompagné de sa mère et sa grande sœur âgée de 15 ans, il passa la majeure partie de son enfance à fuir en direction de l’est, alors que les Nazis gagnaient du terrain en Russie. Ils vécurent dans des bâtiments bombardés, des abris souterrains, des centres de réfugiés surpeuplés, et parfois des terrains vagues où, après de nombreuses journées de marche éreintantes, ils s’y étaient écroulés d’épuisement. Leur alimentation consistait souvent en des pommes de terre récoltées furtivement en creusant dans le sol gelé de fermiers locaux, en pleine nuit.

Mon père et ma mère

Le gouvernement russe, tentant de protéger ses citoyens, en envoya des centaines sur une grande péniche qui naviguait en direction de l’est. Mon père et sa famille en faisaient partie. Les voyageurs s’arrêtaient dans les villages avoisinants et demandaient aux autochtones de les accueillir. La réponse, dans la plupart des endroits, fut : « Nous accepterons n’importe qui sauf des Juifs. »

Alors que les jours passaient et que les rations s’amenuisaient, mon père, qui avait à l’époque sept ou huit ans, devenait de plus en plus faible et malade. À chaque arrêt, sa famille espérait désespérément que le salut viendrait. Finalement, une femme russe non-juive se présenta au port et annonça : « Je voudrais accueillir une famille juive ». Elle s’appelait Mavra et mon père et sa famille vécurent chez elle pendant de longs mois.

Mavra leur sauva la vie. Tout au long du glacial et interminable hiver russe, elle leur offrit le gîte et le couvert et elle leur apprit à traire les vaches, à récolter les céréales et à réparer les machines agricoles endommagées.

Mais tandis que les Nazis se rapprochaient dangereusement, mon père et les siens durent prendre congé de leur bienfaitrice. Il garda un vif souvenir de leur toute dernière conversation avec Mavra. « Vous nous avez sauvé la vie et nous ne pourrons jamais vous remercier pour votre bonté. Vous n’êtes pas juive. Pourquoi avez-vous tenu à accueillir une famille juive ? » lui demandèrent-ils.

À mon mariage, aux côtés de mon père

Et Mavra de répondre : « Il y a longtemps, quand j’étais jeune, mes parents ont été emprisonnés par les Russes pour cause d’activité anti-communiste. J’étais seule au monde, et le gouvernement m’a envoyée en Sibérie pendant deux ans. Après un voyage en train qui a duré plusieurs jours, je suis arrivée tard dans la nuit dans une gare de Sibérie. Je ne connaissais pas âme qui vive. Je n’avais pas un sou, et il régnait un froid glacial dehors. Je ne savais pas comment j’allais survivre cette nuit, sans parler de deux ans !

« C’est alors qu’un homme, surgi de nulle part, est apparu et a proposé de m’emmener chez lui. Ces gens vivaient très frugalement mais cela ne les a pas empêchés de me considérer comme un membre à part entière de leur famille. Ils m’ont donné des vêtements chauds, de la nourriture et m’ont sauvé la vie. J’ai remarqué qu’ils avaient d’étranges habitudes. Ils étaient toujours plongés dans d’épais grimoires écrits dans une drôle de langue qui se lisait de droite à gauche. La femme avait toujours les cheveux couverts. Ils faisaient un repas cérémoniel chaque vendredi soir et célébraient d’étranges fêtes et coutumes. Quand mon exil en Sibérie a touché à sa fin et que je me suis apprêtée à partir, le chef de famille m’a prise de côté et m’a dit : « Mavra, tu ne nous dois strictement rien. Nous avons fait tout cela de bon cœur. Il y a une seule chose que je te demande. Si un jour, tu rencontres des Juifs qui ont des ennuis ou qui ont besoin d’aide, rends-leur cette faveur. »

Bar-mitsva à 69 ans

Mon père et sa sœur ont survécu à la guerre. En 1945, il a immigré au Canada par bateau à l’âge de 13 ans. Il n’a jamais célébré sa bar-mitsva. Je ne pense même pas qu’il savait ce que c’était. Et il n’a jamais réussi à retrouver la trace de Mavra après la guerre. Il a épousé ma mère, a envoyé ses enfants à l’école juive, et nous a vus, au fil du temps et l’un après l’autre, devenir pratiquants, nous marier et fonder à notre tour notre propre famille.

À 68 ans, mon père a annoncé qu’il était temps qu’il fête sa bar-mitsva. Il a contacté le rabbin de notre communauté, s’est cassé les dents sur les bénédictions en hébreu et la lecture de la Torah, et tout le tremblement. Pour son 69ème anniversaire, il a invité toute la famille élargie et tous ses vieux amis qui l’avaient aidé à s’installer au Canada, et a cuisiné tout seul un repas de Chabbat pour 80 personnes (il adorait la cuisine).

Pour son discours de bar-mitsva, il a résumé l’essentiel de sa vie en quelques mots : « Ma femme et moi avons trois enfants qui sont devenus pratiquants, et tous nos petits-enfants le sont aussi. Si vous ne pouvez les battre, ralliez-vous à eux. »

Mes parents, mon frère, ma sœur et moi

À la suite de cela, mes parents ont rendu leur cuisine cachère, et se sont mis à observer le Chabbat et à fréquenter régulièrement la synagogue. Mon père a vécu encore 13 ans après sa bar-mitsva.

Réfléchissons un peu à l’impact considérable qu’un seul acte de bonté peut avoir. Une famille juive inconnue de Sibérie recueille une enfant non-juive seule au monde. Celle-ci, à son tour, sauve la vie d’une famille juive de Russie. L’enfant grandit et donne la vie à des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants qui, à leur tour, accomplissent d’innombrables bonnes actions… Un seul acte de bonté a eu des répercussions interminables dont l’impact se fait encore ressentir à ce jour.

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