Monde Juif

Les Juifs, les couvre-chefs & l’antisémitisme moderne

02/05/2018 | par rabbin Benjamin Blech

Le seul antidote contre l'antisémitisme est le pro-sémitisme.

À peine un peu plus de 70 ans après la Shoah, l’antisémitisme est-il de retour, telle une puissante force maléfique menaçant les Juifs du monde entier ?

Pour répondre à cette question, parlons un petit instant d’un sujet auquel vous ne vous attendez pas, celui des couvre-chefs. Non pas ceux portés pour affirmer son style vestimentaire, mais ceux portés pour affirmer sa foi. Des couvre-chefs que certains appellent kippot, et que d’autres préfèrent appeler yarmulkes. Des couvre-chefs portés par les Juifs pratiquants pour s’identifier publiquement selon une tradition ancestrale datant de plusieurs milliers d’années.

Les couvre-chefs symbolisent notre croyance en un Être Suprême Qui se trouve au-dessus de nous – le Tout-Puissant qui transcende nos têtes, nos esprits et notre intelligence.

Les couvre-chefs ont joué un rôle central dans l’incident dramatique qui s’est produit la semaine dernière à Berlin. Un individu apparemment juif coiffé de ladite calotte a été sauvagement attaqué et roué de coups. Ses assaillants ont clairement affirmé, tout en continuant à le rosser, que son seul crime était le fait qu’il était juif. C’était là une attaque d’ordre raciste nourrie par le venin millénaire de l’antisémitisme.

Mais à la suite de cette volée de coups, la police a fait une découverte remarquable. La victime n’était pas juive, c’était un Arabe israélien. Et pourquoi portait-il une calotte ? Parce qu’il avait parié avec ses amis que l’antisémitisme n’était désormais plus un problème dans l’Allemagne d’aujourd’hui et pour le prouver il avait décidé d’arpenter les rues en arborant une kippa.

Cet Arabe a payé très cher sa supposition erronée. Et il semble qu’il n’est pas le seul à partager cette fausse interprétation de la tendance actuelle de l’antisémitisme.

Copenhague est une ville connue pour la générosité historique du Danemark envers les non-Danois. Cela n’empêche visiblement pas l’ambassadeur d’Israël au Danemark, Arthur Avnon, de recommander vivement aux touristes juifs en visite dans ce pays de faire preuve d’une grande discrétion quant à leurs origines : « Ne parlez pas hébreu à voix haute, dissimulez tout pendentif à l’effigie d’une étoile de David, pliez vos kippot et glissez-les dans vos poches. »

En bref, dans l’endroit même qui a incarné le triomphe de la tolérance sur la haine raciale, et la volonté d’abolir à tout jamais l’antisémitisme, il est désormais officiellement recommandé de ne pas faire étalage de votre judaïsme, notamment en vous débarrassant au plus vite de ce morceau de tissu sur votre tête qui annonce à tout le monde que vous êtes juif.

Le célèbre journaliste danois Martin Krasnik n’a pas ménagé ses efforts pour informer son lectorat que l’ambassadeur israélien « avait été mal compris ou qu’il se méprenait. » De toute évidence, a-t-il soutenu, l’ambassadeur ne faisait que donner des conseils aux Israéliens visitant le reste de l’Europe. Il ne pouvait en aucun cas parler de Copenhague, ville qui possède une longue histoire d’hospitalité envers les Juifs. « L’antisémitisme est endémique dans les quartiers d’immigrants. C’est pareil à Londres, c’est pareil à Paris. » Mais pas ici. Pas au Danemark.

Alors Krasnik, tout comme cet Arabe israélien à Berlin, a décidé d’effectuer son propre « test de calotte ». Il s'est coiffé d'une kippa et a arpenté les rues de Nørrebro, un quartier peuplé d’immigrants qui ont quitté leurs pays natals pour rejoindre la stabilité d’un État providence.

Pouvez-vous deviner ce qui lui est arrivé ?

Krasnik décrit de nombreuses rencontres durant lesquelles il a évité de justesse de se faire agresser. Il écrit : « Les menaces étaient voilées, comme des voyous dans un trafic de protection de la mafia. Un des interlocuteurs antisémites a remarqué : "Peut-être que ta religion te demander de porter cette chose, mais elle ne te demande pas de de faire tuer." Un autre m’a lancé : "Ta kippa ne nous porte pas personnellement de problème, mais sache que mon cousin a tué un type parce qu’il portait un chapeau de juif". » Finalement, après avoir refusé un autre ordre d’enlever son couvre-chef, Krasnik s’est enfui en toute vitesse.

Attaques à New York

Berlin, Copenhague, Paris… peut-être. Mais de telles agressions peuvent-elles se produire dans le gigantesque État de New York qui accueille plus de 2 millions de Juifs ? Un organisme représentant plus de 950 rabbins orthodoxes américains a condamné une hausse « alarmante » d’attaques perpétrées contre des Juifs à New York City, ajoutant qu’il comptait travailler de concert avec les autorités pour protéger les « quartiers assiégés » après la dernière vague d’agressions antisémites recensées en une semaine.

Samedi dernier, un Juif ultra-orthodoxe a été violemment agressé à son retour de la synagogue dans le quartier de Crown Heights, à Brooklyn. L’assaillant a menacé de l’étrangler, lui a brisé les côtes et lui a dit, tout en envoyant valser son chapeau dans un jardin attenant, qu’il détestait les Juifs et s’apprêtait à le tuer.

Signe inquiétant des temps qui courent, le judaïsme allemand a trouvé ce qu’il pense être « la meilleure solution, pour l’instant ». Le président du Conseil central des Juifs d’Allemagne, Josef Schuster, a mis en garde ses coreligionnaires contre le port de symboles religieux dans la rue en raison du risque d’agressions, avec un avertissement sans ambages que les Juifs portant la kippa ou l’Etoile de David pourraient s’exposer à des dangers dans les rues allemandes.

Le président de la fédération européenne d’associations juives (EJA), le rabbin Menachem Margolin, a cependant critiqué la position de Schuster, arguant qu’il « faisait erreur quant au traitement de ce grave problème. S’abstenir de porter une calotte par crainte de l’antisémitisme est en fait la réalisation de la vision des antisémites en Europe. »

Il est ironique que le port de couvre-chefs joue un rôle aussi significatif dans ces incidents antisémites. Sigmund Freud, le fondateur juif de la psychanalyse, a souligné un certain événement dans sa vie qu’il a considéré comme transformateur ; il l’a appelé la « scène primitive de ma vie », ce qui nous aide à éclaircir ce sujet. John Murray Cuddihy, dans son ouvrage fascinant The Ordeal of Civility, nous raconte comment Freud lui-même l’a décrite :

Je devais avoir dix ou douze ans quand mon père commença à m’amener avec lui lors de ses promenades et à me révéler dans sa conversation ses points de vue sur le monde dans lequel nous vivons. Ce fut ainsi, à une telle occasion, qu’il me raconta une histoire pour me montrer combien notre situation s’était améliorée depuis sa propre jeunesse. « Quand j’étais un jeune homme, me dit-il, je me suis promené un samedi dans les rues de ta ville natale. J’étais bien habillé et je portais une nouvelle casquette sur la tête. Un chrétien s’est avancé vers moi et d’un seul coup de poing, m’a fait tomber ma casquette dans la boue tout en criant : "Juif ! Descends du trottoir !"

« Et qu’as-tu fait ? » l’interrogeai-je.

« Je suis descendu sur la chaussée et j’ai ramassé ma casquette » me répondit-il aussitôt.

Cet incident me frappa comme une conduite peu héroïque de la part de l’homme grand et fort qui tenait le petit garçon que j’étais par la main.

Freud poursuivit en décrivant sa déception et sa honte face à la réaction de faiblesse de son père. Cuddihy attribue à ce moment décisif une grande partie de l’œuvre de Freud – sa relation ambivalente avec les Juifs et les non-Juifs, sa théorie du complexe d’Œdipe, et son étrange assertion dans Moïse et le monothéisme voulant que Moïse n’était pas un Juif mais un Égyptien.

Portez-là avec fierté

Un couvre-chef, le symbole même de la fierté juive, devint un rappel perpétuel de honte – et eut pour Freud des conséquences tout au long de sa vie.

Pour les Juifs, une kippa est un moyen de déclarer publiquement son identité et son affiliation religieuse. Le Talmud nous dit qu’il y eut trois raisons pour lesquelles les Juifs survécurent à l’esclavage en terre d’Égypte : ils ne changèrent ni leurs noms, ni leur langage ni leurs vêtements. Ce sont les trois raisons qui nous préservèrent de l’assimilation au tout début de notre histoire ; elles demeurent les clés de notre survie unique parmi toutes les nations du monde jusqu’à ce jour. Le Juif conserve au moins un vêtement particulier qui déclare sa foi – et sa détermination à ne pas cacher la grande fierté que lui procure son ascendance remontant à Avraham.

Les Juifs doivent avoir la détermination farouche d’être guidés par l’identification de soi en tant que Juif plutôt que par la négation de soi.

Un couvre-chef est si tellement important ? Non. Mais ce qu’il incarne l’est plus que tout. Succomber docilement à l’horreur du racisme, ne serait-ce qu’à travers un geste aussi mineur que celui de retirer notre kippa « pour éviter les conflits », ne revient pas simplement à perdre son couvre-chef ; cela revient à perdre sa tête ! L’antisémitisme doit être combattu avec une force et une énergie maximales, avec toute notre force politique, avec tous nos efforts, dans les campus universitaires, dans la presse, et toutes les autres arènes où il a commencé à diffuser son poison mortel. L’antidote contre l’antisémitisme – le seul antidote qui a une chance d’être efficace – est le pro-sémitisme, la détermination farouche d’être guidé par la fierté plutôt que par la crainte, par l’identification de soi en tant que Juif plutôt que par la négation de soi.

Si nous retirons les signes distinctifs de notre judaïté pour apaiser nos ennemis, nous avons déjà perdu la bataille. Le couvre-chef n’est qu’un symbole, mais c’est un puissant symbole de notre croyance ferme en le fait que le Tout-Puissant dirige le monde, et que, comme Il l’a promis dans la Torah, Il bénira ceux qui nous bénissent et maudira ceux qui nous maudissent.

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