Monde Juif

Vous appelez cela de l’incitation à la haine ?

16/03/2017 | par Yvette Miller

Le procès controversé de Georges Bensoussan met en exergue la vicieuse sous-culture de l’antisémitisme qui règne en France.

L’historien Georges Bensoussan est depuis longtemps une personnalité intellectuelle controversée en France.

En 2002, l’ancien professeur de collège défraye la chronique avec la publication des Territoires perdus de la République, un livre choc qui explore l’antisémitisme, le racisme et la misogynie profondes qui caractérisent de nombreuses écoles françaises situées dans des quartiers à forte population immigrée. (Bensoussan l’a écrit sous le pseudonyme d’Emmanuel Brenner.)

La quatrième de couverture suffit à vous plonger au cœur de « cette violence perpétrée en milieu scolaire » :

Quarante minutes d'insultes (« Chiennes de juives », « Youpines », « T'es une [juron], en plus t'es juive ») et de violences physiques, quarante minutes d' « enfer » vécues par deux élèves, entourées par une douzaine d'autres qui exigent d'elles qu'elles demandent « pardon d'être juive » : ce n'est pas la « Nuit de cristal », c'est seulement un collège parisien, en mars 2002.

Des cauchemars comme celui vécu par ces deux sœurs jumelles de 15 ans, au lycée Henri Bergson, dans le 19ème arrondissement, Bensoussan en a recueilli plusieurs dizaines dans son livre qui dénonce « cette violence perpétrée en milieu scolaire, à l’apogée de la poussée antisémite en France ».

À l'origine de ce livre, le constat alarmé de professeurs de l'enseignement secondaire d'académies de la région parisienne qui tous font état, depuis une dizaine d'années, de leurs difficultés à enseigner la Shoah dans des classes à forte composante maghrébine et qui ont vu s'installer une oppression violente, archaïque et raciste parmi leurs élèves. Il fallut un long temps avant qu'ils consentent à s'exprimer sur un sujet qui leur faisait honte. Ces témoignages, qui viennent après la secousse du 11 septembre dans leurs établissements, et l'ouvrage tout entier, entendent mettre en lumière un certain délitement culturel et politique de la nation, ces territoires perdus de la République.

Bensoussan qui est né au Maroc et a suivi ses études en France a conclu son ouvrage sur un appel lancé à ses « millions de compatriotes d’origine arabe qui sont venus d’Afrique du Nord et d’ailleurs » pour les exhorter à balayer les germes d’antisémitisme qui rongent leur communauté.

Beaucoup de voix s'élèvent pour dénoncer le discours « néo-réactionnaire » de Bensoussan, mais les événements qui suivent en France finissent par souligner la lucidité prémonitoire de son ouvrage. En 2004, deux commissions nationales distinctes qui enquêtent sur la poussée de l’antisémitisme dans les banlieues à forte population immigrée dressent un état des lieux similaire à celui décrit par Bensoussan.

En 2006, Ilan Halimi, un jeune homme juif de 24 ans, est enlevé, séquestré et torturé à mort par le « gang des barbares » à Bagneux. Plusieurs habitants du quartier sont au courant du calvaire qu’il vit pendant quelques trois semaines.

En 2012, Jonathan Sandler, ses deux enfants et la petite Myriam Monsonégo sont tués à bout portant par Mohamed Merah, un djihadiste français, devant l’école juive de Toulouse.

En 2012, 614 actes antisémites ont été signalés aux autorités.

Deux ans plus tard, en 2014, des émeutiers incendient des commerces juifs aux cris de « morts aux juifs » à Sarcelles. Un an après, quatre Juifs sont tués dans l’attentat de l’Hypercacher de Vincennes. La liste des attaques antisémites se poursuit sans fin. Rien qu’en 2012, 614 actes antisémites sont signalés aux autorités.

Sur cette toile de fond d’une intensification de la rhétorique et la violence antijuives en France, Georges Bensoussan continue à écrire et à prendre position en publiant plusieurs autres titres sur la situation en France et en Israël, notamment Une France soumise – Les voix du refus (2014) qui rassemble les témoignages d’acteurs de la vie publique (enseignants, infirmières, assistantes sociales, maires, formateurs, policiers) confrontés à une violence quotidienne et dans l’impossibilité d’exercer leurs fonctions. Bensoussan est nommé responsable éditorial au Mémorial de la Shoah de Paris, un musée et centre de documentation chargé de préserver la mémoire de la Shoah et de lutter contre l’intolérance.

Le 10 octobre 2015, juste avant la diffusion prévue d’un documentaire sur les Territoires perdus de la République sur France 3, Bensoussan est invité de l’émission Répliques pour présenter son livre et débattre du phénomène de l’antisémitisme dans les communautés musulmanes en France. Il cite les propos de Smaïn Laacher, enseignant à l’université de Strasbourg, qui figurent dans le documentaire : « Un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans un film qui passera sur France 3 : C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de sa mère. »

Le lendemain, Smaïn Laacher dément vigoureusement cette citation : « Je n’ai jamais dit ni écrit nulle part ce genre d’ignominie. J’ai demandé un droit de réponse qui devrait être accordé. Comment peut-on croire une demi-seconde que dans ces familles l’antisémitisme se transmettait finalement par le sang ? » affirme-t-il sur Mediapart.  

Il est vrai que dans le documentaire en question, Laacher n’avait pas évoqué la métaphore d’un antisémitisme « tété avec le lait de la mère ». Mais dans le fond, la teneur de ces propos correspondait approximativement avec la réalité que Bensoussan souhaitait dénoncer ; celle d’une haine du juif courante et répandue dans certaines familles immigrées françaises d’origine musulmane. Ou pour reprendre les mots du sociologue : « Cet antisémitisme, il est déjà déposé dans l’espace domestique. Il est dans l’espace domestique et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue. Des parents à leurs enfants… quand ils veulent les réprimander, il suffit de les traiter de juif. Bon. Mais ça, toutes les familles arabes le savent. C’est une hypocrisie monumentale que de ne pas voir que cet antisémitisme, il est d’abord domestique. »

Le différend entre Bensoussan et Laacher se poursuit jusqu’en 2016, où les deux hommes finissent par se réconcilier officiellement. Mais quelques jours après l’entretien de 2015, des activistes islamistes avaient décidé de poursuivre Bensoussan. Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), organisme accusé d’être financé par des prêcheurs de la haine et des imams radicaux, porte plainte contre lui au conseil supérieur de l’audiovisuel pour incitation à la « discrimination, la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine […], en l’espèce la communauté musulmane. » La LICRA se joint au CCIF en accusant Bensoussan de « racisme biologique ». Le Parquet se saisit de ces signalements afin de poursuivre l’historien pour « provocation à la haine raciale ».

« Est-ce moi qui dois me trouver devant ce tribunal aujourd’hui ? N’est-ce pas l’antisémitisme qui nous a conduits à la situation actuelle qui devrait être jugé ? ».

Le procès s’ouvre le 25 janvier 2015. À sa défense, Georges Bensoussan rappelle qu’il travaille depuis plus d’un quart de siècle sur les mécanismes conduisant à la haine de l’autre et s’est penché tout particulièrement sur la condition juive dans les pays islamiques. Il ajoute qu’en 1965 déjà, l’auteur marocain Saïd Ghallab avait écrit dans son œuvre intitulé Les juifs vont en enfer : « la pire insulte qu’un Marocain puisse faire à un autre, c’est de le traiter de juif, c’est avec ce lait haineux que nous avons grandi… » Et au regard de l’antisémitisme virulent qui prévaut dans les communautés musulmanes françaises, Bensoussan s’ interroge : « Est-ce moi qui dois me trouver devant ce tribunal aujourd’hui ? N’est-ce pas l’antisémitisme qui nous a conduits à la situation actuelle qui devrait être jugé ? ».

Le procès électrise la France. La salle d’audience est bondée et la première audience dure douze heures.

Deux semaines après le début du procès, l’affaire Mehdi Meklat éclate au grand jour. On apprend que ce chroniqueur avait diffusé pendant plus de cinq ans des tweets haineux antisémites dont « Faites entrer Hitler pour tuer les juifs » sous le pseudonyme virtuel de Marcelin Deschamps. Pour Yonathan Arfi, vice-président du Crif, « ce que l’affaire Meklat montre, c’est que pour la génération de Mehdi Meklat, l’antisémitisme est presque naturel. Cela fait partie de leur culture, et ce n’est même plus choquant. »

Quelques semaines plus tard, le 21 février 2017, cet antisémitisme latent donne lieu à une grave agression : deux frères juifs portant la kippa se sont fait attaquer alors qu’ils roulaient en voiture la tête couverte d’une kippa. Ils sont repérés par deux occupants d’une camionnette qui les force à s’arrêter près d’un bar à shisha de Bondy. Arrivés à leur hauteur, les agresseurs les insultent en hurlant : « Sales [juron] vous allez mourir. L’un des agresseurs est armé d’une scie égoïne avec laquelle il coupe un doigt de la main de l’une des deux victimes.

Le 7 mars 2017, la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris acquitte Georges Bensoussan. Selon les juges, si la citation de Smaïn Laacher n’était pas rigoureusement exacte « l'idée exprimée par ce dernier est quasi similaire, voire identique à celle formulée par Georges Bensoussan». En outre, ils sont d’avis que ces propos ne constituaient pas une incitation à la haine. Quelques plus tard, le CCIF  annonce son intention de faire appel de ce jugement.

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