Monde Juif

Le procès d’Oskar Gröning, le comptable d’Auschwitz

28/04/2015 | par rabbin Benjamin Blech

Ne nous leurrons pas : justice n'a PAS été rendue !

Soixante-dix ans après la fin de la Shoah, dans un petit tribunal de Lunebourg (Basse-Saxe), un procès qui est sans doute le dernier dans son genre fait les grands titres dans le monde entier.

Âgé aujourd’hui de 93 ans, Oskar Gröning est accusé de s’être rendu complice de 300 000 meurtres au cours de la période comprise entre le 16 mai et le 11 juillet 1944. Deux mois durant lesquels quelques 425 000 Juifs en provenance de Hongrie furent conduits au camp d’Auschwitz-Birkenau, dont 300 000 furent immédiatement gazés. Enrôlé volontairement dans la Waffen-SS, puis envoyé à Auschwitz, ce sous-officier SS remplit fidèlement la mission qui lui est confiée : confisquer les devises dont ces déportés hongrois s’étaient munis jusqu’au lieu de leur extermination, les compter, avant de les envoyer à Berlin, afin de contribuer au financement de la « solution finale. » Pour sa participation à l’entreprise de mort, celui que l’on surnomme « le comptable d’Auschwitz » encourt une peine comprise entre six et quinze ans de prison.

Je dois vous faire une douloureuse confession. Autant je me suis réjoui de la capture d’Eichmann comme de son exécution, et autant j’ai été soulagé par les verdicts de culpabilités rendus lors des récents procès intentés contre les criminels de guerre, autant je me sens troublé par les arguments actuellement avancés pour souligner l’importance de ce procès.

Permettez-moi de m’expliquer.

À la différence de nombre d’anciens criminels nazis, Oscar Gröning n’a jamais rien nié de son passé. Il s’est même mis en devoir de démentir publiquement les thèses négationnistes : « J’ai tout vu. Les chambres à gaz, les fours crématoires, le processus de sélection. Un million et demi de Juifs ont été assassinés à Auschwitz. J’y étais » avait-il déclaré lors d’un entretien accordé au journal allemand Der Spiegel.

Avons-nous besoin d’un Oskar Gröning pour croire que les atrocités de la Shoah ont bel et bien existé ?

Suite à ces déclarations, le procès Gröning s’est rapidement imposé comme l’argument massue contre le négationnisme. Et c’est là, à mon sens, que le bât blesse. Car n’est-ce pas aberrant d’être tenu de recueillir une fois de plus les témoignages des plaignants – ou pire, les aveux de l’accusé – pour réfuter les arguments de ceux qui nient avec acharnement la véracité de la Shoah ? Avons-nous besoin d’un Oskar Gröning pour croire que de telles atrocités ont bel et bien existé ? Poursuivre le débat avec ceux qui refusent d’accepter des faits historiques c’est accorder une once de vérité imméritée à une absurdité. C’est leur donner l’impression que leurs allégations sont dignes d’être débattues.

Comme les membres de la Flat Earth Society qui soutiennent encore que la terre est plate, les négationnistes ne méritent que moqueries et sarcasmes, non pas une audience publique qui leur confère une légitimité injustifiée d’opposants intellectuels dignes de ce nom.

Car pour ceux qui recherchent la vérité, cela fait bien longtemps que la réalité de la Shoah a été solidement établie. Quant à ceux qui sont motivés par une haine irrationnelle des Juifs et d’Israël, aucune somme de preuves irréfutables ne suffira à déciller leurs esprits obtus.

La preuve, Ursula Haverbeck, l’une des plus infâmes négationnistes d’Allemagne, était présente au tribunal lors de la première déposition de Gröning. Après avoir écouté sa description détaillée du fonctionnement du camp de concentration, elle a déclaré, comme on pouvait s’y attendre : « Il s’est fait manipuler. »

Trouver une quelconque validation dans les aveux de Gröning revient quasiment à émettre des doutes au sujet d’une réalité historique ayant d’ores et déjà été attestée par des centaines de rescapés et témoins oculaires.

Mais il y a encore un autre élément qui me gêne dans tout le tapage médiatique qui entoure ce procès longtemps retardé. Enfin, entend-on dire, pourrons-nous avoir le sentiment que justice est rendue dans le pays responsable de l’un des plus ignobles crimes de l’histoire. Ou comme de nombreux articles l’ont suggéré, ce procès permettrait de clore dignement la question des crimes de guerre nazis du 20ème siècle.

Et c’est justement ce pourquoi je me sens si dévasté par cette insulte implicite à la mémoire des 6 millions de victimes de la Shoah.

Le procès Gröning est habilement vendu aux médias comme une manifestation flagrante de la détermination allemande à punir les criminels de guerre. Pourtant, cette démarche véhicule exactement le message inverse.

Nous sommes en 2015.  Durant plus de trente ans, les procédures judiciaires à l’encontre de Gröning n’ont jamais abouti à un procès. Pendant tout ce temps, les données affirment qu’environ 6 500 SS d’Auschwitz ont survécu à la guerre, mais que parmi eux, seuls 49 ont été traduits en justice. Tout cela, sans compter les centaines d’autres usines de la mort qui s’attelèrent aux démoniaques desseins de la solution finale.

Autre élément à noter, la nature des crimes imputés à Groëning en comparaison avec ceux qui ont échappé à la justice, coulant de jours paisibles et sans doute prospères en toute impunité. À ses dires, Gröning ne fut pas activement impliqué dans les meurtres, les coups, les gazages et les tortures d’Auschwitz. S’il admet avoir partagé une responsabilité morale, l’ancien SS se considère comme « non coupable » du point de vue juridique. Certes, aux dires de tous, même de ses propres témoignages, il n’est pas innocent.

Mais ne devrions-nous pas nous interroger sur le sort des milliers d’autres criminels qui n’ont pas seulement assisté la machine de mort sur le plan administratif, mais ont véritablement mis à exécution ces odieux actes de barbarie qui sont l’apanage de la cruauté et l’inhumanité nazie ?

Après des décennies d’indifférence des tribunaux allemands à l’égard des vrais coupables, n’est-ce pas un simulacre de justice que de se contenter d’inculper un comptable de camp de concentration de 93 ans alors que les dizaines de milliers de bêtes sadiques qui ont perpétré les crimes atroces, n’ont jamais payé pour leurs fautes ?

Et si Gröning est reconnu coupable et condamné, alors que les bourreaux des camps de la mort sont passés entre les mailles de la justice, la pire tragédie ne serait-elle de rendre l’ultime verdict de la Shoah en prétendant à tort que justice a finalement été rendue.

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