Odyssées Spirituelles

Comment la belle-mère de la reine d'Angleterre sauva des Juifs pendant la Shoah

10/05/2017 | par Yvette Miller

À 95 ans, l’époux de la reine d’Angleterre va tirer sa dernière révérence. L’occasion de rappeler l’héroïsme inouï de sa mère, la princesse Alice de Battenberg, pendant la 2nde Guerre Mondiale.

À 95 ans, le prince Philip, l’époux de la reine d’Angleterre Elizabeth II, a annoncé qu’il allait se retirer de ses fonctions royales. En plus d’être un membre distingué de la famille royale, le prince Philip a hérité d’un titre de noblesse  d’un tout autre genre : sa propre mère a sauvé des Juifs pendant la Shoah, ce qui lui a valu le titre honorifique de « Juste parmi les Nations » décerné par Yad Vashem, l’institut international pour la mémoire de la Shoah.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la mère du prince Philip, la princesse Alice de Battenberg, réussit à sauver une famille juive en dépit des liens étroits que sa propre famille royale entretenait avec les plus hauts rangs du parti nazi.

La princesse Alice sauva une famille juive en dépit des liens étroits que sa propre famille royale entretenait avec le parti nazi.

La princesse Alice naquit en Angleterre en 1885 d’un père prince allemand et d’une mère qui n’était nulle autre que la petite-fille de la reine Victoria. Une ascendance qui la rattachait aux plus prestigieuses familles royales d’Europe. Cela dit, Alice n’était pas une princesse comme une autre. Découverte sourde à l’âge de huit ans, elle apprit à lire sur les lèvres. Ce qui fera dire plus tard à ses proches que son handicap la rendait plus sensible aux difficultés d’autrui et mieux disposée envers les personnes qui se trouvaient en marge de la société.

Le prince Philip enfant en compagnie de sa mère, la princesse de Grèce

Lors du couronnement de son cousin, le roi Edward VII, à Londres, en 1902, Alice s’éprit de celui qui était alors le prince Andrew de Grèce Les deux jeunes gens se marièrent l’année suivante et eurent un fils, Philip, ainsi que quatre filles. À cette époque, la princesse Alice et le prince Andrew se lièrent d’amitié avec Haimaki (Haïm) Cohen, juif et membre distingué du Parlement grec, sa femme Rachel, ainsi que leur famille. Percevant la recrudescence de l’antisémitisme en Europe, la famille royale promit d’aider les Cohen si la nécessité s’en faisait sentir. Mais en 1921, la révolution grecque troubla la tranquillité de la famille royale qui fut exilée de force à Paris. Quelques années plus tard, le gouvernement grec assouplit ses mesures et Alice rentra à Athènes.

La princesse Alice à 25 ans

Quand la Seconde Guerre mondiale éclata, la prince Philip se porta volontaire pour servir dans la marine britannique où il se distingua par son courage. Pour leur part, ses sœurs se retrouvèrent engagées dans une voie diamétralement opposée : leurs quatre maris respectifs occupèrent des postes de haut rang au sein du gouvernement nazi. Toutefois, l’une des filles de la princesse Alice, la princesse Margarita, et son mari, le prince Gottfried de Hohenlohe-Langenburg, se retournèrent contre Hitler. En 1944, le prince Gottfried complota de tuer le Führer, mais ses projets secrets furent découverts avant qu’il n’ait eu le temps de les mettre à exécution. Les trois autres filles de la princesse Alice devinrent des Nazies convaincues. L’une d’entre alla même jusqu’à nommer son fils Karl Adolf en hommage à Adolf Hitler.

La guerre entamée, Haimaki Cohen et sa famille courraient désormais un grave danger. Quand l’Allemagne envahit la Grèce en 1941, les Cohen trouvèrent refuge à Athènes, ville qui était encore sous autorité italienne et donc jugée plus sûre pour les Juifs que les zones sous occupation allemande. Cette situation changea en septembre 1943, quand l’Allemagne prit le contrôle d’Athènes et se mit à traquer les Juifs en vue de les déporter. Au cours de cette même année, Haimaki décéda et sa famille chercha désespérément le moyen de fuir la Grèce. L’un des fils Cohen voyagea au Caire pour rejoindre le gouvernement grec qui s’y était exilé ; le reste de la famille demeura à Athènes.

La reine Elizabeth et le prince Philip

Ayant eu vent de leur situation désespérée, Alice fit savoir à la veuve de Haimaki, Rachel, qu’elle était prête à cacher sa famille. Rachel et sa fille Tilde s’installèrent chez elle ; elles furent par la suite rejointes par un autre fils, Michel. Alice venait de déménager de son modeste appartement dans un grand immeuble appartenant à son beau-frère, qu’elle avait pris à sa charge. Le gain d’espace offrait à Alice l’opportunité d’accueillir une famille avec toutes les aises, mais c’était sans compter le gros désavantage présenté par ce nouvel immeuble ; il était situé à tout juste quelques mètres des quartiers généraux de la Gestapo à Athènes. Par moments, la Gestapo commençait à se méfier de l’ex-reine et la convoquait à des interrogatoires. Quand c’était le cas, Alice faisait mine de ne pas comprendre leurs questions en invoquant sa surdité.

Demosthene Pouris, la fidèle amie d’Alice, revint plus tard sur ces années de guerre : « La princesse mit un petit appartement de deux pièces situé au troisième étage à la disposition de Mme Cohen et sa fille (et plus tard son fils) […] Ayant été la seule à qui la princesse permit de rendre visite à la famille Cohen, nous étions les seules à connaître ce secret. Pendant les longues et difficiles années de l’occupation, je rendais visite à Mme Cohen et ses enfants dans l’appartement, les aidais à garder le contact avec le monde extérieur, faisais des commissions pour eux et leur remontais le moral.

Le prince Philip affublé d’un habit de religieuse

Pendant ces années difficiles, le frère d’Alice, Lord Mountbatten d’Angleterre, réussit à faire parvenir à cette dernière des colis de nourriture. Quand elle recevait ces denrées, Alice en faisait don aux nécessiteux.

Alice ne parla jamais de son héroïsme pendant la guerre avec sa famille, laquelle ne découvrit ses actions que bien après sa mort. Quatre ans après la fin de la guerre, en 1949, Alice fonda un ordre de religieuses infirmières et s’installa dans un couvent situé dans l’île grecque de Tinos où elle se coupa du monde. Il semble qu’elle souhaitait suivre les traces de sa tante, la grande duchesse Elizabeth Fyodorovna, qui prit le voile vers la fin de sa vie. (La grande duchesse Elizabeth fut tuée pendant la Révolution russe et enterrée à Jérusalem.)

En 1993, Yad Vashem décerna à titre posthume le titre de « Juste parmi les Nations » à la princesse Alice pour avoir abrité et sauvé la famille Cohen.

Après le coup d’État de 1967 en Grèce, Alice regagna sa ville natale, Londres, et s’installa au Buckingham Palace. Peu de temps avant son décès survenu en 1969 à l’âge de 84 ans, Alice demanda à être enterrée à Jérusalem, aux côtés de sa tante Elizabeth. Au départ, ses souhaits furent ignorés et la princesse eut droit à des funérailles royales en Angleterre. Mais en 1988, ses restes furent transférés dans la crypte familiale au cimetière du mont des Olivers à Jérusalem.

En 1993, Yad Vashem décerna à titre posthume le titre de « Juste parmi les Nations » à la princesse Alice pour avoir abrité et sauvé la famille Cohen. Bien que la famille royale anglaise n’ait jamais effectué de visite d’État officielle dans l’État juif, le prince Philip, ainsi que sa sœur Margarita, firent le déplacement en Israël à l'occasion de la cérémonie d’hommage à leur mère. Le prince Philip planta un arbre pour commémorer le courage de la princesse Alice et fit un discours poignant :

« La Shoah fut l’événement le plus horrible de toute l’histoire juive et il restera ancré dans la mémoire de toutes les générations futures. C’est donc là un geste très généreux que l’on se souvienne également, ici, des millions de non-Juifs qui, comme ma mère, partagèrent votre douleur et votre angoisse et firent ce qu’ils purent pour alléger la souffrance », a déclaré le prince Philip.

Et d’ajouter : « Je suppose qu’il ne lui a jamais traversé l’esprit que son acte avait quelque chose d’exceptionnel. Elle considérait sans doute cela comme une attitude parfaitement naturelle envers des prochains en détresse. »

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