Odyssées Spirituelles

Antumalal

20/08/2017 | par Sara Yoheved Rigler

Le récit que vous vous apprêtez à lire est digne d’un roman d’aventure. Sauf qu’il s’agit d’une histoire vraie.

Un couple juif tchèque qui se marie à l’église. Un hôtel légendaire perdu au fin fond du Chili. Un pendentif en forme de Maguen David confié à la femme du maire alors que son propriétaire est déportée à Auschwitz. Le récit que vous vous apprêtez à lire possède tous les ingrédients d’un roman d’aventure. Sauf qu’il s’agit d’une histoire vraie.

Mon mari Leib Yaacov et moi avons été invités au Chili ; Leib pour y donner un concert et moi-même pour donner des conférences à la communauté juive de Santiago. Alors que notre séjour de l’autre côté du globe touchait à sa fin, nous avons décidé de le prolonger de quelques jours pour admirer la beauté sauvage des paysages chiliens.

Nous avons écrit à Galia, la secrétaire d’Aish Chili qui organisait notre séjour et lui avons demandé quelques suggestions de belles destinations touristiques. Galia nous a proposé trois options : l’une située au nord du Chili, et les deux autres au sud. Après avoir effectué des recherches sur Internet sur les trois sites, Leib a opté pour Pucón, une région de lacs et de végétation luxuriante à l’ombre d’un volcan situé aux contreforts des Andes, à 789 km au sud de Santiago. Exquisément reculée, Pucón n’est accessible que par vol dans un petit avion à destination de Temuco, suivi d’un trajet en voiture d’une heure et demie jusqu’à Pucón.

En quête d’un gîte dans cette destination exotique, Leib a découvert Antumalal, un « boutique-hôtel » (petit hôtel de luxe) installé sur un domaine privé et perché au bord du Lac Villarica. Son site internet affichait des photos de paysages pittoresques, de chambres pleines de charme équipées chacune de leur propre cheminée, de fleurs et de petites cascades en abondance, et d’une terrasse surplombant le lac. Autant de scènes qui nous ont donné à tous deux une folle envie d’y séjourner. Leib a réservé les deux nuits de mercredi et jeudi. Bien entendu, nous avons prévu d’emporter notre nourriture cachère et d’être de retour à Santiago pour le Chabbath puisque nous n’aurions pas pu passer le Chabbath dans un hôtel non-cacher.

Avec seulement quinze chambres, Antumalal était un hôtel légendaire.

Le lendemain, nous avons reçu un email de Galia. Il y avait des chambres d’hôtes cachères près de Pucón, un détail qui lui avait totalement échappé. Roberto et Sonia Neiman, des Juifs orthodoxes de Santiago s’y étaient bâti une superbe résidence dans un décor pastoral dans un cadre naturel privilégié et au deuxième étage, ils avaient construit deux suites à louer. Nous pouvions donc nous loger à « Kosher Lodge » mercredi, jeudi et aussi Chabbath en pension complète, les repas étant cuisinés par Sonia.

Leib et moi étions ravis, mais en même temps un peu déçus. Nous avions été enchantés par les prestations offertes par Antumalal et y avions déjà réservé deux nuits. Nous avons donc décidé de passer une nuit au boutique-hôtel, puis de rejoindre la Kosher Lodge dès jeudi.

Après une semaine à Santiago accomplissant ce que nous pensions être le but principal de notre visite au Chili, nous avons entamé notre circuit touristique en direction de Pucón. Bien vite, nous avons découvert que notre séjour à Santiago n’était qu’un prélude à la véritable raison pour laquelle Dieu nous avait conduits au Chili.

Avec seulement quinze chambres, Antumalal était un hôtel légendaire. Il avait accueilli de nombreuses célébrités comme la reine Élizabeth et le prince Philippe d’Angleterre, la reine de Belgique, l’astronaute Neil Armstrong et l’acteur Jimmy Stewart. Le lobby était d’ailleurs tapissé d’agrandissements en noir et blanc de photos de ces personnalités durant leur séjour à Antumalal.

À notre arrivée, Sonia et Roberto nous ont accueillis avec un panier rempli de victuailles cachères pour les vingt-quatre heures suivantes. Les Neiman connaissaient les propriétaires de l’hôtel. Ils nous ont d’ailleurs révélé qu’ils étaient juifs.

Sonia s’est chargée de nous raconter leur histoire. Guillermo et Catalina Pollak étaient des Juifs tchèques qui, à la fin des années 1930, se convertirent au catholicisme. Ils se marièrent à l’église. Quelques temps plus tard, ils émigrèrent en Amérique du Sud. En 1938, après un bref passage en Argentine, ils arrivèrent au Chili. Ils ne tardèrent pas à tomber sous le charme du paradis naturel de Pucón, loin de toute civilisation. Elle était située à des centaines de kilomètres de toute présence juive, bien que sans nul doute ce détail ne les dérangeât aucunement. Ils y firent construire leur boutique-hôtel, considéré comme un joyau architectural du style Bauhaus, au début des années 1950.

« Ils alignent les étudiants selon leur religion. De quelle religion sommes-nous ? »

Les Pollak eurent quatre enfants — trois garçons et une fille. Ils les élevèrent sans aucune religion. Quand leur fille Rony (diminutif de Veronica) entra à l’école préparatoire à Santiago, elle appela ses parents le premier dimanche matin et demanda : « Ils alignent les étudiants selon leur religion. Une file pour les catholiques, une file pour les protestants. De quelle religion sommes-nous ? »

Et son père de répondre : « Nous sommes dans un pays catholique. Range-toi dans la file catholique. »

Comme on pouvait s’y attendre, les quatre enfants épousèrent des non-Juifs.

Peu de temps après notre arrivée à Antumalal, Sonia nous a présentés à Rony Pollak. Rony, maintenant divorcée, avait hérité de l’hôtel, lequel était maintenant géré par son fils unique, Andrew. Rony, une belle femme aux cheveux courts grisonnants, nous a accueillis chaleureusement. Parce que nous étions amis avec les Neiman, elle nous a accordé un surclassement gratuit dans une suite à deux pièces.

Leib et moi nous y sommes installés, admirant toutes les deux minutes la vue splendide qui s’étendait depuis la baie vitrée — le lac entouré de montagnes. Nous avions l’impression d’avoir pénétré dans un domaine magique, suspendu dans le temps, et scintillant d’une beauté naturelle.

Peu de temps après, nous sommes descendus au lobby et avons regardé les photos des célébrités de passage, mêlées à des photos de famille de Guillermo et Catalina Pollak accompagnés de leurs quatre enfants. Alors que je me demandais comment des Juifs pouvaient rompre de manière aussi radicale avec le judaïsme jusqu’au point de se convertir au christianisme, un beau jeune homme nous a salués. Il s’est présenté comme Andrew, notre hôte. C’était le fils de Rony. Étant né d’une mère juive, il était le seul Juif  de sa génération de la famille Pollak, le dernier brin de la corde qui avait survécu une centaine de générations depuis notre ancêtre Abraham, mais était désormais effilochée et au point de se rompre.

Et pourtant, lorsque j’ai levé les yeux vers lui, j’ai été surprise par l’aura de pureté qui émanait de son visage. Nous avons engagé la conversation avec lui. Nous lui avons dit que nous venions d’Israël et que nous étions venus au Chili pour enseigner le judaïsme. Je lui ai demandé s’il savait qu’il était juif, lui aussi.

Il m’a répondu que oui. Durant la saison estivale, lorsque Pucón se remplit de touristes, un centre Chabad s’ouvre en ville. Un ami Chabad lui avait offert un livre qu’il lisait chaque jour.

Nous l’avons félicité pour cette initiative et lui avons proposé de passer Chabbat avec nous chez Roberto et Sonia Neiman.

Mais Andrew a décliné notre invitation, expliquant que les fins de semaine étaient le moment où l’hôtel grouillait d'activité. Andrew a pris congé de nous et est retourné à son travail.

Jeudi matin, j’ai fait la prière du matin dans le salon de notre suite. Leib, revêtu de son Talith (châle de prière) et ses téfiline (phylactères) est sorti prier sur un petit îlot de verdure surplombant le lac. À un certain moment, une idée m’est venue : Andrew ne peut pas faire Chabbath, mais il peut parfaitement accomplir la mitsva de téfiline. Quand Leib est rentré à l’hôtel, je lui ai suggéré d’apprendre à Andrew à poser les téfiline.

Quelques minutes plus tard, nous sommes tombés nez à nez avec Andrew dans le couloir. Leib, toujours revêtu de son talith et ses téfiline, lui a demandé s’il désirait mettre les téfiline. Et Andrew de s’exclamer : « Comme c’est étrange ! Il y a quelques minutes, alors que je conduisais notre voiture électrique sur le terrain et vous ai vu porter vos téfiline, je me suis dit que j’aimerais bien mettre les téfiline. »

Leib lui a expliqué qu’il allait devoir se couvrir la tête pour réciter les bénédictions. N’ayant pas de kippa, Andrew a couru jusqu’à sa voiture pour y prendre une casquette. Puis Leib l’a conduit dans notre salon, et tandis qu’il lui montrait comment enrouler les téfiline sur son bras et sa tête, il lui a expliqué le pouvoir spirituel des téfiline et comment elles rapprochaient celui qui les porte de Dieu. Andrew a absorbé ses paroles comme une âme assoiffée qui n’avait rien bu depuis trois générations.

En après-midi, Roberto et Sonia sont passés nous chercher pour nous conduire à Kosher Lodge. Vendredi matin, Sonia nous a appris que le frère et la belle-sœur de Rony, Enrique et Alicia qui vivaient à proximité, dîneraient avec nous Chabbath soir. C’étaient eux qui avaient vendu leur propriété aux Neiman, et les deux couples entretenaient des relations chaleureuses. « Pourquoi n’inviteriez-vous pas aussi Rony ? » ai-je suggéré.

« Nous sommes déjà vendredi, a objecté Sonia. Il est trop tard pour l’inviter. »

Je lui ai demandé de tenter sa chance, ce qu’elle a fait. Une demi-heure plus tard, elle m’a annoncé que Rony serait parmi nous, accompagné de son petit ami, son tout premier copain juif.

Vendredi soir, alors que nous étions tous attablés, j’ai été surprise de remarquer un Maguen David suspendu au cou de Rony. Je lui en ai fait la remarque. Rony et son frère Enrique ont échangé des regards. Elle lui a fait oui de la tête, et Enrique s’est mis à nous raconter l’histoire de ce pendentif.

« Si nous ne revenons pas, promettez-moi de faire parvenir cette étoile juive à mon fils en Amérique du Sud. »

Les parents de leur père, Guillermo Pollak, avaient jadis vécu à Mcely, une petite ville située au nord de Prague. Leur grand-mère Berta Cohen Pollak était une bonne amie de la mère du maire de la ville. Quand les Nazis envahirent le pays et commencèrent à rassembler les Juifs pour les déporter à Auschwitz, Berta confia son Maguen David à l’épouse du maire en la suppliant : « Si nous ne revenons pas, promettez-moi de faire parvenir cette étoile juive à mon fils qui vit en Amérique du Sud. »

La femme du maire accepta la mission. Son amie ne revint jamais, mais comment allait-elle retrouver un Pollak en Amérique du Sud ? Les années post-guerre furent chaotiques. Tant de destruction, tant de personnes déplacées. Sentant sa fin proche, la femme du maire transmit à sa fille l’étoile juive ainsi que la mission de retrouver « un certain Pollak en Amérique du Sud ».

Plusieurs dizaines d’années plus tard, l’ambassadeur de Tchécoslovaquie au Chili décida de prendre des vacances dans le légendaire hôtel Antumalal. Guillermo et Catalina Pollak furent heureux de lui apprendre qu’ils étaient originaires de Tchécoslovaquie, de Mcely. Quand l’ambassadeur rentra chez lui pour une visite de routine, il mentionna à une amie de Mcely qu’il avait séjourné dans un célèbre hôtel dans le sud du Chili qui était tenu par une famille appelée Pollak, originaire de Mcely. Cette amie, qui n’était nulle autre que la fille de l’ancien maire, resta figée sur place. Quelques questions supplémentaires lui prouvèrent que ce Guillermo Pollak était bel et bien le fils de Berta, l’amie juive de sa mère, qui avait péri dans la Shoah. Quand l’ambassadeur retourna au Chili, il emporta avec lui le fameux Maguen David.

À peine arrivé à Santiago, il contacta Enrique Pollak et lui parla du précieux bijou qu’il lui avait apporté. Enrique et Alicia, qui vivaient à Santiago, venaient de rentrer de Pucón la veille. Ils n’effectuaient ce fastidieux voyage qu’une fois tous les deux mois, mais aussi bien Enrique et Alicia considéraient l’étoile juive de sa grand-mère comme un objet si précieux qu’ils décidèrent de reprendre l’avion pour Temuco et de rejoindre de là Pucón ce même jour pour remettre l’objet de famille à Guillermo.

À ce stade du récit, Alicia, qui est une catholique non pratiquante, interrompit Enrique pour ajouter un détail à cette saga déjà suffisamment mouvementée : « Mes parents vivaient à Temuco. Le jour où nous avons rapporté l’étoile juive à mes beaux-parents, mon père a eu une crise cardiaque. Comme je me trouvais à Pucón, j’ai pu rejoindre l’hôpital à Temuco à temps pour voir mon père avant son décès. Cela n’a été possible que grâce à l’étoile juive. »

J’ai regardé longuement le Maguen David et médité sur l’histoire exceptionnelle qu’il véhiculait. Une femme juive est en chemin vers Auschwitz. Elle désire transmettre à son fils unique, qui s’est détourné du judaïsme, un Maguen David comme seul et unique héritage spirituel. Plusieurs décennies plus tard, ce pendentif finit par se retrouver de manière miraculeuse chez les Pollak, à Pucón. Maintenant, contre toutes attentes, Andrew, l'arrière-petit-fils de cette femme, s’intéresse au judaïsme, et hier, il a mis les téfilines. Quel était donc le mystérieux pouvoir qui émanait de ce Maguen David ?

À notre retour à Jérusalem, j’ai introduit Andrew à un rabbin de Santiago qui l’a aidé à acheter sa propre paire de téfiline. Récemment, j’ai reçu l’email suivant d’Andrew :

« Je me porte très bien, Dieu merci. Mon parcours spirituel a été merveilleux, et mon quotidien est béni chaque matin par le talith, les téfiline et la prière de Cha’harit. Je serai très intéressé à étudier dans une yéchiva dans un futur proche. »

En pensant à Andrew, je me demande parfois : et si nous avions parcouru quinze mille kilomètres jusqu’à Antumala, ce petit hôtel perdu au fin fond du Chili, pour le seul bien de cette précieuse âme juive ?

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