Odyssées Spirituelles

La maison de tous les espoirs

15/11/2016 | par ‘Hava Willig Levy

Le temps d’un soir, les eaux du mikvé me transforment, moi femme aux quatre membres paralysés, en danseuse étoile.

L’étymologie me fascine. Prenez mon nom par exemple. ‘Hava, le nom biblique de Ève, signifie mère de tous les vivants. Quand j’étais petite, mes parents m’ont appris que les noms étaient particulièrement significatifs. Citant les sages talmudiques d’antan, ils m’ont expliqué que les parents sont dotés d’une étincelle de prophétie lorsqu’ils choisissent le nom de leur enfant. J’ai pris leurs paroles très à cœur.

De façon surprenante, j’ai toujours eu un faible pour les enfants. En 1955, mes genoux ont été fortement affaiblis par une crise de polio, pourtant, cela n’a jamais découragé mon rêve de maternité. Mon nom était prophétique et devait sûrement contribuer à ma destinée.

Malgré ma fibre maternelle très profonde, il semblait très peu probable que quelqu’un veuille un jour de moi et que je connaisse la joie de serrer mon enfant dans mes bras. C’est ce qui explique qu’en dépit de ma réputation d’activiste pour les droits aux handicapés, j’ai à peine protesté lorsque l’entrée du nouveau mikvé de la ville présentait un long escalier. Mikvé et maternité : très franchement, je ne pensais pas un jour avoir accès à l’un, ni à l’autre. Les barrières me séparant du premier, étant architecturales ; celles me séparant du second, une vue de l’esprit. Tous deux me rappelaient assez souvent le sentiment de mon impuissance, de mon insignifiance et de mon isolement.

Dans Sa grande bonté, le Maître de l’Univers a senti ma détresse et, de la manière la plus subtile, m’a gratifié d’un mari merveilleux. Aujourd’hui, mikvé et maternité sont deux responsabilités que j’embrasse avec une joie infinie.

Maintenant que le privilège et le plaisir d’utiliser un mikvé sont miens, je me trouve interpellée par l’étymologie de ce mot. Le mot mikvé signifie « rassemblement d’eau », comme le mentionne la Genèse (1 : 9) : « Que les eaux répandues sous le ciel soient rassemblées en un point ».

Le Mikvé me rappelle que D.ieu peut changer ma détresse en triomphe, en un clin d’œil.

Pour moi, ce verset évoque l’image de gouttelettes d’eau isolées, insignifiantes et impuissantes, convergeant ensemble pour constituer une force puissante. Peut-être est-ce la raison pour laquelle la mitsva du mikvé m’est tellement précieuse : elle me rappelle que D.ieu peut changer ma détresse en triomphe, en un clin d’œil, et que mon handicap n’est pas la fin du monde. Ce qui est tragique, c’est la stigmatisation que les gens lui attachent. Ce qui est tragique, c’est l’isolement et la mise à l’écart. Le mikvé – dérivé du concept de rassemblement – nous rappelle avec subtilité qu’il est de notre devoir d’empêcher ce genre de tragédie et de rassembler tous les membres de notre communauté.

Le mot mikvé est aussi lié au mot espoir. C’est l’endroit où tikvot, nos espoirs, résident. Tant de femmes se rendent au mikvé pour placer leurs espoirs devant D.ieu ! N’est-il pas intéressant que, pour notre tevila, immersion, et pour la tefila, prière qui l’accompagne, nous devons nous tenir devant Lui, telles qu’Il nous a créées ? Dieu s’intéresse à nos espoirs et ne nous discrimine en aucun cas pour nos imperfections physiques, qu’elles soient grandes ou petites.

Ma première visite au mikvé a marqué la réalisation d’un idéal : je me mariais enfin.
Après maints voyages, le mikvé a renouvelé un autre espoir : celui d’avoir un jour un enfant. Pendant six ans, la réalisation de ce rêve nous avait échappé. En priant pour d’autres femmes en prise à l’infertilité, j’avoue que mes espoirs s’accrochaient en partie au principe talmudique selon lequel : Celui qui prie pour son prochain, est exaucé en premier.

Un aspect du mikvé auquel je n’aurais malheureusement jamais accès est l’intimité. Comme beaucoup de femmes, j’ai toujours chéri l’anonymat entourant l’expérience du mikvé. Ironiquement, l’aide dont j’ai besoin pour arriver jusqu’au mikvé et pour pouvoir m’y tremper, implique que pratiquement huit femmes sont déjà au courant, à chaque fois que je dois aller au mikvé.

Avant de pouvoir vivre ce miracle de voir se matérialiser nos espoirs, j’ai effectué plusieurs visites au mikvé particulièrement émouvantes. Au fur et à mesure que les saisons passaient, je me sentais comme un employé du Service postal américain : « Ni pluie, ni neige, ni gel, ni grêle … » ne pouvait me décourager de mes « rondes habituelles ». J’avais déjà fait l’expérience de visites sous la pluie, sous la neige, le vendredi soir, le soir du Séder, le soir de Pourim, le soir de Roch Hachana et à la sortie de Yom Kippour. Beaucoup furent des moments sombres et chargés d’appréhension.

Une visite se distingue particulièrement dans ma mémoire. Elle eut lieu un soir d’hiver, deux ans avant la naissance de notre premier enfant. Ce soir-là, la gérante du mikvé m’accueillit avec un visage grave.

— Vous n’auriez pas du venir ce soir, laissa-t-elle échapper, avec son fort accent européen. Nous avons un terrible problème. En fait, il vaut mieux que vous retourniez directement chez vous.

Mon cœur chavira. Souffrant d’infertilité, j’étais persuadée que la ponctualité était primordiale ; qu’un jour perdu représentait peut-être une perte irréparable.

— Que se passe-t-il ? ai-je demandé.

— Notre chaudière ne marche plus. L’eau du mikvé est glacée, répondit-elle.

J’éclatais de rire.

— C’est tout ? Je pensais que le mikvé n’avait plus d’eau !

Inutile de dire que je fis le plongeon.

Les eaux du mikvé me transforment moi, femme aux quatre membres paralysés en danseuse étoile !

Et chaque fois depuis lors, je ressens la joie de ce plongeon. Les eaux du mikvé me transforment– grâce à D.ieu –, moi, femme aux quatre membres paralysés en danseuse étoile ! Pendant quelques instants magiques, mes bras se meuvent sans effort. Et, tout en gravissant sans aucune aide les trois marches les plus basses, je m’émerveille devant le miracle de la grâce et du mouvement dont l’homme est doté. Bien sûr, un pas de plus et la pesanteur revient.

L’humeur est tout sauf grave. Alors que mon assistante m’aide à réintégrer ma salle de bain et mes vêtements, notre conversation coule librement et touche aussi bien aux choses les plus sublimes qu’aux plus ridicules (nous nous disons souvent, sotto voce, que nous devrions mettre un terme à tous nos bavardages).

La visite au mikvé se déroule bien évidemment toujours au terme d’une longue journée. Je devrais être épuisée ; je suis pourtant pleine d’une énergie nouvelle. Les eaux du mikvé sont la source première de cette énergie. Ensuite, vient le panneau d’affichage du mikvé dont les diverses cartes de visite et petites annonces ne cessent jamais de m’émerveiller. Elles offrent les services de psychiatres, de maîtres-nageuses, d’assistantes sociales et de couturières ; de pédiatres, de pianistes et de conseillères en relation publique ; d’avocates, de travailleuses sociales et de consultantes en publicité ; de traiteurs, de cardiologues et de calligraphes… ; ce qui remet à sa place le vieux stéréotype des femmes fidèles à la mitsva du mikvé, en tant que « victimes » d’un « rituel choquant, opprimant et archaïque ». Tel que je les vois, ces femmes sont pareilles aux eaux du mikvé, elles sont une force puissante sur laquelle on peut compter ; même si elles pénètrent cette maison des espoirs une à une, dans l’anonymat et sans fanfare.

Peut-être est-ce pour cela que de nombreuses femmes concluent leur immersion dans le mikvé par la prière Yéhi Ratson, qui est une supplication pour la construction du Temple de Jérusalem. Ce sont des femmes très occupées, mais pas assez pour détourner leurs regards d’une petite et sainte maison des espoirs — où elles expriment leurs rêves et dilemmes personnels — vers la plus sainte maison de toutes, dont la reconstruction doit coïncider avec la réalisation d’un rêve universel et la résolution de tous les dilemmes :

« Voyez, Je les ramènerai des contrées du Nord et les rassemblerai des confins de la terre, parmi eux des gens aveugles et boiteux, des femmes enceintes et porteuses d’enfant toutes ensembles ; une grande assemblée reviendra ici. » Jérémie (31 : 8)

Je suis convaincue que ce glorieux rassemblement se produira grâce aux femmes qui, mois après mois, génération après génération, ont murmuré cette prière, abandonnant leur demande d’attention personnelle de D.ieu pour une plus grande cause. Sûrement qu’en leur mérite, Dieu n’abandonnera jamais son peuple. Sûrement qu’en leur mérite, Dieu reconstruira Sa maison des espoirs.

Un extrait de « Total Immersion : A Mikvah Anthology », édité par Rivkah Slonim.

‘Hava Willig Levy dédie cet article à sa mère : Ella Willig, de mémoire bénie, « la première personne à m’avoir immergée dans les eaux du mikvé et certainement la seule à avoir autant prié pour l’arrivée d’un tel moment ».

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