Odyssées Spirituelles

Quand la mort a frappé à ma porte

07/07/2013 | par Ephraïm Shore

Le témoignage remuant d’un homme qui a frôlé la mort de (très) près.

Il est difficile de décrire la douleur avec des mots. Ils ne sont pas à la hauteur de la réalité. Les hôpitaux utilisent une échelle sophistiquée "de 1-10". La mienne atteignit au moins le degré 11.

Un jeudi, je faisais du vélo sur un chemin situé entre Tel-Aviv et Jérusalem, volant un peu de loisir entre deux rendez-vous comme d'habitude. En fin de journée, je ressentis une légère douleur dans la région lombaire, rien d'inhabituel pour un type actif comme moi, qui nage régulièrement, fait du vélo tout-terrain et pratique le yoga. Je pris simplement un bon bain et allai me coucher.

Le vendredi, je me réveillai en me sentant très mal. Alors que je me levai, un spasme puissant traversa soudainement le bas de mon dos. Je m’effondrai sur le lit, paralysé par la douleur. Cela ressemblait à ces terribles crampes de jambes, mais avec une intensité décuplée et saisissant tout le bas du monde. La douleur restait intense malgré les minutes qui s'égrenaient. En fait, les spasmes allèrent en augmentant avec le temps. Je n'avais aucune idée qu'une telle souffrance puisse exister.

Le moindre de mes mouvements, fut-il le plus insignifiant et mû par n'importe quelle partie de mon corps, aiguisait les "poignards" qui me traversaient. Ma femme venant de sortir, je fis des efforts surhumains pour arriver à me mouvoir et à appeler une ambulance.

Je ne me souviens quasiment de rien concernant les heures qui ont suivi. Je n'étais pas inconscient, mais la douleur était tellement accablante qu'elle m'empêchait de saisir toute autre réalité. Les seuls mots que j'arrivais à prononcer entre deux gémissements de souffrance était "Je n'en peux plus" et " Donnez-moi un antalgique !" Grâce à Dieu, aucun de nos enfants n'étaient à la maison ce matin-là ; ils furent donc préservés de ce terrible spectacle. En revanche mon épouse, qui est rentrée aussitôt mon appel reçu, n'a pas été épargnée.

Au bout de quelques jours, éreinté par la souffrance implacable, je priais d'en être délivré, à tout prix.

La semaine qui suivit, je passai par différents stades critiques, et proches de l'agonie. La douleur au dos n'était que très légèrement atténuée par la morphine et autres antalgiques, et en l'espace d'une seule journée, mon corps entier lâcha prise : l'eau envahit mes poumons, mes genoux et ma rate gonflèrent, la fièvre monta considérablement, et ma bouche se dessécha à tel point que je ne pouvais plus déglutir. Mon corps fut bientôt infesté d'intraveineuses, cathéters et autres tubes à oxygène.

On peut dire que je fis l'expérience charnelle de ce que veut dire le mot torture, et jusqu'où il peut mener. Nos frêles organismes ne sont tout simplement pas équipés pour faire face à de tels niveaux de douleur. J'aurais fait n'importe quoi pour en réchapper. Au bout de quelques jours, éreinté par cette souffrance implacable, je priais d'en être délivré, à tout prix, peu importe d’où viendrait la délivrance.

Les docteurs cherchèrent une explication à ce mal intense. Les maladies courantes furent assez rapidement éliminées. Au bout de six jours, les docteurs réunirent ma famille autour de moi et nous offrirent leur conclusion avec beaucoup de précaution : "Nous pensons que vous avez un myélome multiple, une forme assez répandue de cancer du sang". Ils nous conseillèrent de ne pas essayer d’en savoir plus sur Google. Mon frère et mes parents arrivèrent précipitamment par avion. Ma femme laissa tomber toutes ses activités et se transforma en garde-malade et infirmière à plein temps.

Je fus transféré au pavillon d'oncologie, où l'on m'administra enfin des doses conséquentes d'antalgiques, qui permirent de juguler la douleur. Je pus enfin penser à autre chose qu'à ma souffrance, et pris conscience de mon nouveau statut de grand malade.

J'étais sous le choc. Je n'aurais jamais pensé être le type de personne visée par le cancer, si tenté qu'il existe un type particulier. Je suis en bonne forme physique, je mange équilibré, et en tant que personne toujours en mouvement, je n'aurais jamais imaginé que le cancer puisse un jour frapper à ma porte. Eh bien mon ami, j'avais tout faux ! Deux semaines auparavant, j'avais assisté à l'enterrement d'un ami décédé du cancer juste trois semaines après qu'il lui ait été diagnostiqué, et cette image hantait mon esprit.

Dans le même temps, le sursis de douleur dont je jouissais était tellement agréable que je ne pouvais réprimer une certaine joie d'en être sevré. Toujours cloué au lit, complètement épuisé par cette semaine d'agonie qui se rappelait à mon bon souvenir par des spasmes réguliers, je n'avais d'autres activités que la réflexion : examiner ma vie de fond en comble et envisager les années de traitements, d'hôpital et de vie chaotique qui se profilaient à l'horizon.

De mon lit de souffrance, je considérais donc ma propre vie… et ma possible mort, cet étrange et inédit visiteur. Une partie de moi (celle qui était abattue, éreintée) voulait se laisser glisser dans le confort ultime, celui de laisser toute la souffrance et les tourments de la vie derrière moi.

Mais mon inclinaison la plus forte était celle qui me reliait profondément à la beauté de la vie. Je regardais par la fenêtre et j'observais, ébloui, les montagnes et les arbres. J'aurais voulu les peindre (alors même que je n'ai jamais pris le pinceau). Je sais que cela sonne comme un cliché, mais j'en avais presque physiquement envie. Je pris soudain conscience de la magnificence de tout ce qui m'entourait. Et du fait que je ne voulais pas mourir.

J'ai senti que je devais réfléchir au pourquoi de ma maladie et au comment je devais changer ma vie.

Dans le même temps, je réalisai que Dieu me faisait passer un message lourd de signification. Pour être franc, je dus admettre qu'il est malaisé de méditer sur soi-même, et que j’avais dû en passer par là pour m'y mettre sérieusement. Je sentis que je devais réfléchir au pourquoi de ma maladie et au comment je devais changer mon existence. Le premier mot qui me vint à l'esprit en pensant à ma vie fut le mot "hystérie". Ambitieux et énergique au travail, marié et père de neuf enfants, ma vie était un tourbillon incessant qui me projetait d'une obligation à une autre. Et avec tout ce mouvement perpétuel, je crois bien que j’étais passé à côté du principal. On court dans tous les sens pour faire ce qu’on à faire et être à la hauteur de nos objectifs et on s’écroule avant la ligne d’arrivée.

Je m'engageai alors, si Dieu m'épargnait et que j'avais la chance de reprendre le cours normal de ma vie familiale, à ne plus jamais perdre de vue plusieurs objectifs principaux : garder Dieu en tête dans ma vie quotidienne, donner plus d'amour et d'attention à mon épouse et à mes enfants, apprécier à sa juste valeur la formidable équipe qui travaille à mes cotés, et le privilège exceptionnel dont je jouis de dévouer ma vie professionnelle au service du peuple juif. Et ne plus me perdre dans les détails infimes qui permettent d'atteindre ces buts ultimes.

Un cauchemar éveillé

Dans le département de neurochirurgie, je partageais ma chambre avec huit autres compagnons d'infortune, souffrant tous d'atteintes au cerveau : déficience ou congestion cérébrale, tumeurs… Chacun d'entre nous gémissait de douleur. Les conditions de vie étaient moyenâgeuses: un personnel médical dévoué mais largement insuffisant, chaque malade "isolé" dans sa forteresse de rideau de 5 m2, misérable intimité régulièrement empiétée par les visiteurs du voisin, deux salle de douches à la propreté douteuse et devant être partagées avec les malades les plus chanceux qui avaient la capacité physiques de s'y rendre.

Nous partagions aussi un autre point commun : celui de lutter pour notre survie, en affrontant des montagnes de souffrances, pour avoir une chance de pouvoir reprendre le cours de nos vies.

"Pourquoi ? me demandai-je. Pourquoi devons-nous ainsi lutter aussi âprement pour vivre, et traverser autant de sacrifices et de douleurs indescriptibles ? Pour simplement retourner à la maison, reprendre le travail comme si de rien n'était, et se jeter à nouveau à corps perdu dans la folle course quotidienne ?" J'espérais bien que non. Chacun de nous comprenait instinctivement, viscéralement, que tout cela valait le coup car la vie est précieuse, belle, magnifique. Même si l'on n'y pas prête quasiment jamais attention.

Le rabbin Noah Weinberg, de mémoire bénie, avait l'habitude d'interpeller ses interlocuteurs en leur demandant s'ils étaient prêts à vendre l'un de leurs enfants pour 100 millions de dollars. "Allez, disait-il, il vous en restera toujours deux ou trois ! Pourquoi ne pas vendre le petit dernier qui vous fait tourner en bourrique ?" Evidemment, personne ne répondait à son "offre".

"Mais pensez à toutes les bonnes choses que vous pourriez vous offrir avec 100 millions de dollars ! poursuivait-il. Un yacht, des vacances à l'étranger, un pied-à-terre à Paris, New-York et Palm Beach ! Tous les plus grands restaurants de la planète !" Il nous démontrait ainsi la valeur inestimable qu'ont chacun de nos enfants à nos yeux. Et il terminait en disant : "Alors quoi, pourquoi ne passez-vous pas plus de temps avec eux ? Pourquoi ne profitez-vous pas de tels joyaux ?"

Mais le sentiment de culpabilité n’arrange pas les choses ; encore faut-il affronter la vie et ses responsabilités sans fin. Le problème est que nous voulons à tout prix vivre notre "banale" existence quotidienne comme une expérience exceptionnelle. C'est notre réticence à faire une pause, à sortir notre périscope des profondeurs de cette hystérie, et à garder en tête que nous faisons tout cela en raison de sa profonde signification et du plaisir que cela nous procure. Il est beaucoup plus confortable de se laisser noyer dans le tourbillon sans fin des activités que de faire l'effort continu de se concentrer sur l'amour et la générosité authentiques que nous offre la vie, afin de l'embrasser comme elle le mérite. Chaque personne malade qui lutte pour sa survie en est le témoignage vivant. Nul ne pourrait endurer une bataille aussi intense s'il n'était pas persuadé de la valeur infinie de la vie.

Epilogue

J'avais déjà passé une semaine dans le pavillon de cancérologie, lorsque les médecins vinrent dans ma chambre, pour annoncer à mon épouse et à moi-même… qu'ils s'étaient trompés dans le diagnostic. Je n'avais pas de cancer du sang ! Je souffrais très probablement d'ostéomyélite, une infection localisée dans ma colonne vertébrale, qui pouvait se traiter par un long et intense traitement antibiotique.

Quand je réfléchis à cette expérience a posteriori, je ressens que Dieu m'a fait le plus beau cadeau qui soit.

La vague de soulagement qui me submergea est indescriptible par de simples mots. C'est comme si je recevais à nouveau la vie ! Et ce n'était pas une fiction télé. Il s'agissait de ma propre vie !

Quand je réfléchis à tout cela aujourd'hui, alors que je suis toujours sous traitement léger de morphine, je me dis que Dieu m'a offert la vie une seconde fois. Ma condamnation à mort a été annulée et ma vie renouvelée. J'ai été sauvé ! On m'a accordé un nouveau départ, une seconde chance. Tous les avantages d'une maladie incurable sans la subir.

Quand vous êtes embarqués pendant deux semaines sur la galère d'un cancer ou la "croisière" d'un pavillon de cancérologie, il y a de fortes chances pour que vous en reveniez différent. C'est le genre de voyage qui vous enrichit plus certainement qu'un séjour à Tahiti.

J'ai pris beaucoup de bonnes résolutions qui sont, j'en suis conscient, naïvement irréalistes. Ces semaines horribles passées à l'hôpital m'ont beaucoup appris sur ce que j'aime et ce que j'aime moins en moi. Désormais, je prendrai le temps de goûter la beauté de la vie quotidienne, routinière, presque monotone (Plaise à Dieu qu'il n'y ait plus jamais de drame !). Je serai patient et explicitement reconnaissant envers mon épouse (qui s'est entièrement dévouée à mon rétablissement), je passerai plus de temps avec mes enfants et saurai profiter de leur présence. Je prierai avec conviction, je me souviendrai que je m'adresse au Maitre du Monde, et Lui demanderai de m'aider à tirer plaisir de ma journée. Je sourirai à mon concierge. Et je danserai de joie à la seule idée que le cadeau de cette deuxième vie me permet de continuer à soutenir le peuple juif et Israël.

Je reste certes un être humain. Je ne vais pas réussir à appliquer toutes ces bonnes résolutions immédiatement, mais j'espère bien en réaliser quelques-unes à court terme. Ce n'est pas un vœu pieux, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour y arriver, avec l'aide de Dieu. Pour le moment, je savoure le plaisir simple de sentir la douleur de mon dos diminuer peu à peu (j'arrive désormais à me brosser les dents et à mettre mon pantalon tout seul !). Et je goûte l'effort de tenir ma langue lorsque ma femme roule trop lentement, et de sourire quand mes enfants se chamaillent.

C’est un combat pour être bien dans sa tête et dans sa peau, et je suis à nouveau sur le ring.

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