Odyssées Spirituelles

Se libérer de l'anorexie

10/03/2013 | par Aish.fr

Une sortie d’Égypte des temps modernes : le voyage de ma fille de la faim à la vie.

Ma fille de 21 ans tomba dans l'abîme de l'anorexie il y a six ans et demi. Durant cinq ans, notre famille, Sarah ma femme et les deux frères de Rachel, a souffert le martyr en voyant cette dernière prisonnière de sa spirale infernale de faim et de mutisme, aux mains d'un bourreau étrange et silencieux qui résistait à toute tentative de libérer sa victime.

Rachel fut hospitalisée à maintes reprises, et malgré un bataillon constant de thérapeutes, de spécialistes des troubles alimentaires, de nutritionnistes et de groupes de « soutien » parental à ses cotés, son état ne faisait qu’empirer. Son identité juive reflua dans l'indifférence. Elle perdit sa joie de vivre autrefois si vibrante. Seule sa chienne Annie semblait être pour elle une source de réconfort, et bien sûr aussi sa fervente dévotion à la transe d’unevie sans calories.

Finalement, nous avons entendu parler d'un programme au Columbia Presbyterian Hospital de New York par un ami de mon fils avec lequel il partageait un appartement en Israël. Il avait été traité pour un problème d’addiction dans un service qui traitait également les troubles alimentaires des patients. Rachel accepta avec réticence de s’y rendre pour un premier entretien que nous avions mis des semaines à obtenir. Rachel se leva brusquement en plein milieu de son rendez-vous avec le médecin en charge du programme et quitta son bureau. Un an plus tard, après avoir achevé le protocole de recherche, elle expliqua au médecin pourquoi elle s'était enfuie: elle était si faible ce jour-là qu'elle pensait qu'elle allait s'évanouir, ce qu'elle fit d’ailleurs après avoir quitté le bâtiment.

Les débuts furent difficiles mais Rachel put enfin quitter l’hôpital Colombia trois mois plus tard, ingurgitant jusqu'à 4500 calories par jour pour atteindre son « poids idéal ». Remplis de nervosité et d’appréhension, nous retenions notre souffle, tandis que Rachel revenait dans le « monde réel ». Pourrait-elle survivre à l'extérieur de l'unité très structurée dans laquelle elle avait vécu, une unité qui la supervisait pendant une heure après chaque repas afin de s’assurer qu'elle digérait bien sa nourriture et n’allait pas se faire vomir? Allait-elle de nouveau sauter des repas, substituant des chewing-gums à la nourriture quand elle n'était pas sous surveillance? Pourquoi cette fois serait-elle différente?

Comme Rachel, libérée, quittait l’hôpital, je sentis une vague d'émotions m’envahir : la fierté, le soulagement et aussi et surtout une peur absolue.

Quand une obsession est tellement enracinée que chaque heure lui est consacrée, les possibilités d'une vie saine et équilibrée semblent aussi éloignées qu’une marche sur la lune. Comme le dit le Rav Yisrael Salanter : « Il est plus facile d'apprendre l'ensemble du Talmud que de changer un seul trait négatif. » L’anorexie de Rachel lui avait volé sa personnalité, sa nature ensoleillée, sa capacité à se faire des amis, son sens si vif de l'humour, sa beauté naturelle éblouissante « antithèse du mannequin », son identité juive avec laquelle elle avait grandi, sa confiance en elle, et même sa volonté de vivre. Et vivre devint un combat de tous les jours. Comme Rachel, libérée, quittait l’hôpital, en ce matin du mois d’août, je sentis une vague d’émotions me submerger: la fierté, le soulagement et aussi et surtout une peur sourde. Quand elle était enfermée dans son unité, au moins j'étais tranquille, je savais d’où allait arriver son prochain repas. Quelle ciment allait-il la maintenir à présent pour ne pas qu’elle s’écroule?

Starbucks et Stabilité

Les premières semaines furent un compromis angoissant entre la surveiller subrepticement pour voir si elle mangeait, et lui donner un peu d'espace pour lui permettre de se trouver. Elle finit par décrocher un job chez Starbucks, une chance de lui procurer stabilité et structure (et café - un aliment strictement contrôlé dans les cas de troubles de l'alimentation, car très populaire comme substitut alimentaire chez les anorexiques). Rachel maîtrisa rapidement l'art du service, image de marque de Starbucks, et son charme pétillant conquit ses collègues autant que les clients. Elle avouait bien que, parfois, elle « n'avait pas eu assez de temps » pour déjeuner, mais dans l’ensemble, elle était contente d’être revenue dans la normalité du monde et d’avoir rétabli un certain ordredans sa vie.

Son emploi à Starbucks servit de passerelle entre l’effondrement et la récupération. Rachel se fit des amis parmi ses collègues de travail, eut de nouveau une vie sociale et une routine quotidienne. Elle devait se nourrir suffisamment puisqu’elle put conserver son job. Ailleurs en effet, de précédentes tentatives avaient échoué après un mois ou deux : elle avait été trop épuisée par sa malnutrition pour continuer. Mais là, plusieurs mois s’étaient écoulés et le statu quo se maintenait toujours. Elle continuait toutefois à exprimer le besoin qu’un des membres de notre famille s’asseye avec elle pendant qu'elle mangeait ses repas. Mais elle semblait avoir atteint un seuil de stabilité.

Rachel avait maintenant 20 ans et se sentait assez forte pour tenter une autre démarche, à laquelle elle n’avait pu se consacrer auparavant du fait de sa maladie: trouver un mari. Malgré son éloignement de tout ce qui était a priori juif, Rachel voulait se trouver un mari juif. Ma femme et moi étions soulagés de voir que d’une certaine manière elle était restée liée à son éducation juive.

Rachel s’est donc inscrite sur un site internet de rencontres pour célibataires juifs. Elle fut immédiatement inondée d’e-mails provenant de jeunes gens intéressés par son profil. Elle passa des heures sur le net à trier les demandes et nous surprit énormément par son choix : elle voulait rencontrer un homme de dix ans son aîné dans un restaurant de Manhattan. Elle admit que ce qui l’effrayait le plus, était la perspective de manger des vrais repas et non des aliments « inoffensifs » pour anorexiques. Elle décida courageusement qu’elle tenterait de manger des aliments « gras » et depuis longtemps oubliés. Tout ça au nom de l’amour !

Je me devais de considérer le risque que prenait Rachel comme une étape dans son processus de guérison.

La pensée que Rachel allait se rendre en voiture à New York, rencontrer pour la première fois un étranger, plus âgé qu’elle, charmeur et suave, montrant sa sagesse dans sa compréhension du monde, me fit un court instant regretter les jours où elle était « en toute sécurité » enfermée dans sa chambre, mangeant sa « précieuse » nourriture sans aucune calorie, bien à l’abri dans un endroit où aucun danger ne pouvait l’atteindre. D'un autre côté, Rachel se sentait suffisamment confiante pour commencer à prendre le risque d’avancer, à son rythme et comme elle le souhaitait. Je me devais de considérer ce risque comme une étape dans son processus de guérison. Cette même nuit, je restais réveillé, mon portable dans la main, jusqu'à ce que je l’entende garer sa voiture devant la maison. Il s'avéra que l'homme n'était pas un monstre, loin de là : il l’avait invitée à un très bon dîner, et l'avait traitée avec beaucoup de respect.

« Un type sympa, vraiment bien, mais pas mon genre » me confia Rachel le lendemain. Elle a toujours su exactement ce qu'elle voulait, que ce soit dans l’achat de boucles d'oreille, dans le choix de ses amis ou de la couleur de ses cheveux. Certaines personnes naissent avec une confiance en eux inné et c’était le cas de Rachel. Je pouvais voir, qu’après s’en être éloignée pendant quelques années, elle retrouvait la sienne à grands pas. Elle enchaîna rapidement avec une autre rencontre puis encore une autre. Rachel avait toujours été attirée par un style de vie glamour, et elle repéra les maris potentiels pouvant répondre à ce critère. Mais aucun de ces jeunes Don Juan juifs, tous dans leurs vingtaines, ne semblaient très pressés de se marier. Et même si Rachel n'était plus « religieuse », elle commençait à prendre conscience qu’il manquait quelque chose: « Les rencontres sont toujours sympas, mais elle ne mènent nulle part. »

« Tu crois que je pourrais sortir avec des types religieux, si moi, je ne le suis pas ? » me demanda un jour Rachel, après qu’une autre relation se soit effilochée, sans espoir de mariage à l'horizon.

Je fus pris au dépourvu. « Non, tu ne peux pas – ça ne marcherait pas », lui répondis-je. « Tu as besoin d'un terrain d'entente. » Cela me rappela quelque chose que j'avais entendu des années auparavant, sur une personne qui se définissait par la synagogue dans laquelle il ne mettait jamais les pieds. Rachel trouvait encore un sens à cette religion qu'elle ne pratiquait pas – ce qui lui faisait poser un regard différent sur les hommes qu'elle fréquentait.

La décision de Rachel

Le lendemain, Rachel proclama sa décision de respecter le Chabbat et la Cacheroute et tout ce qui allait avec. Pas de grands mots. Juste une décision, de la part d’une fille qui avait toujours su ce qu'elle voulait (mais qui avait conservé le droit de changer d'avis!). Puis vint vendredi soir. Rachel nous rejoignit pour le Kiddouch et resta jusqu’au Birkat Hamazon. Ma femme et moi firent comme si tout cela était parfaitement naturel. En fait, nous avions la sensation d’avoir voyagé dans une machine à remonter le temps et d’être de nouveau six ans en arrière, comme si rien ne s'était passé.

« Montrez-leur de l'amour inconditionnel. Evitez la confrontation et les cris. » Plus facile à dire qu’à faire.

Nous-mêmes sommes devenus religieux il y a 30 ans et nous avons toujours cru que nos enfants allaient suivre avec empressement notre mode de vie et notre pratique du judaïsme. Les premiers remous de l’adolescence chez le frère aîné de Rachel nous prirent par surprise. Au début, j'ai instinctivement essayé de contrer cette insubordination, pour constater en fait que la confrontation directe ne faisait qu'aggraver la situation. J'ai alors reçu les conseils précieux d'un rabbin que je respectais et en qui j’avais confiance: « Maintenez le contact avec vos enfants, insistait-il, manifestez-leur un amour inconditionnel. Evitez la confrontation et les cris. » Plus facile à dire qu’à faire. Je devais reconsidérer mon rôle de père et ce que je considérais joie et fierté parentales. J'ai eu beaucoup d’occasions de m’entraîner dans ce domaine ! Aussi j’étais prêt quand vint le tour de Rachel d’abandonner lentement sa pratique du judaïsme.

Le rabbin ajouta aussi que de nos jours, un enfant ou un adolescent quittait le giron familial parce que quelque chose n’allait pas, qu’il ne s’y sentait pas bien, et non pour des raisons intellectuelles et réfléchies. Votre enfant est une personne réelle, avec des pensées et des sentiments qui lui sont propres, et non pas une « machine à dispenser joie et fierté ». Je me suis alors concentré sur cette idée : Vouloir que mes enfants se sentent bien en ma présence, sans pour autant avoir à sacrifier mes propres principes. Quelle que fut notre contribution, à ma femme et moi, au retour de Rachel à son observance du judaïsme, notre but fut, avant tout, de maintenir une relation avec elle et non l’obtention de résultats immédiats.

Armée de deux Shabbat la rendant plus forte, Rachel reprit son programme de rencontres Internet, mais cette fois, sur Frumster.com, ayant des profils plus religieux, et rechercha un mari avec qui partager le regain de sa vie religieuse.

Rachel parcourut des centaines de profils, comme un chercheur d'or plongé jusqu'aux genoux dans un cours d’eau prometteur. Après quelques faux espoirs, un certain profil attira enfin son attention. « Ce fut son sourire chaleureux et amical qui me donna envie d'en savoir plus. Il s’appelait Avi, et avait quelque chose de familier, qui me paraissait pouvoir bien coller avec moi », a-t-elle expliqué. Trois semaines plus tard, Avi répondit à Rachel, lui disant qu’il s’était inscrit à ce site juste pour pouvoir entrer en contact avec elle. Ils décidèrent de se rencontrer le lendemain. Si vous avez des doutes sur la manière dont se sont écoulés les six mois qui suivirent, jusqu'à leurs fiançailles, je peux vous montrer les factures de téléphone de Rachel !

Croire aux miracles

Les fiançailles de Rachel et Avi furent fêtés par Frumster – c’était leur 500ème couple ! (ils ont même pris en charge le photographe et le cameraman pour leur mariage !) D'une certaine manière, c'était comme si Dieu lui-même avait ajouté Son point d'exclamation à ce joyeux événement, comme un clin d'œil qu’Il nous adressait: « N'aviez-vous pas cru aux miracles durant tout ce temps? »

Plus que quelques semaines avant le Grand Jour, la vie défile à toute allure, avec les invitations, les tenues de soirée, les robes, les décorations, les plans de table et mille autres détails.

Je me surprends à rêver. Je m’imagine déjà nous voir sous la Houppah, tous debout Rachel, Avi, Sarah et moi. J’entends la musique et le Hazan qui chante, je vois les robes blanches, les rabbins et les femmes émues qui s’essuient les yeux. Soudain, tout devient silencieux et tout se fige.

Mes pieds restent au sol, pourtant je me sens m’envoler, haut, plus haut, au-delà de la salle de mariage. Un flot de nuages blancs puis tout à coup le ciel bleu, je suis entouré de visages, surréalistes et remplis d'amour. Un homme aux yeux bleus, rayonnant de sagesse et de compassion, se met à parler d’une voix calme, résonnant comme le grondement lointain de l'océan qui s’éveille à la vie : « Nous avons attendu cette Houppah, tu sais ! Tu crois que c’était facile à organiser? »

Les visages se multiplient, des dizaines, des centaines, des milliers, tous sereins, figés dans le temps, leurs yeux tels des puits profonds reflétant l’éternité. L'homme aux yeux bleus poursuit:

« Nous sommes ta famille, toutes les générations qui t’ont précédé... Maintenant, retourne vite à la fête. Tout le monde t’attend! »

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram