Odyssées Spirituelles

7-4-0-1

21/06/2017 | par Aish.fr

L’histoire vraie, poignante et époustouflante d’un certain numéro tatoué sur le bras d’un rescapé d’Auschwitz...

Quand Terry Noble était enfant, le numéro de téléphone de son domicile familial se terminait par 7401. Coïncidence, quand on lui assigna son propre numéro de sécurité sociale, les quatre derniers chiffres étaient aussi 7401.

Quelques années plus tard, il décida de faire du volontariat dans un kibboutz en Israël – où il se fit désormais appeler Touvia Ariel – et travailla sous la houlette d’un charpentier qu’il respectait. Ce dernier était un homme robuste et élancé, dévoué à son ouvrage, mais plutôt taciturne. Ariel apprit qu’il était l’une des rares personnes à s’être échappé d’Auschwitz et à avoir survécu à la guerre. Par la suite, il avait rejoint les partisans polonais puis l’armée britannique. Cette dernière l’avait envoyé en Palestine où il avait déserté pour rejoindre les rangs du Palmach, une force militaire juive, contribuant ainsi à l’indépendance d’Israël en 1948.

Plutôt surprenant comme parcours.

Et comme si le passé de rescapé de son maître d’apprentissage ne suffisait pas pour piquer sa curiosité, Ariel s’aperçut que le numéro tatoué sur son bras se terminait par… 7401.

« Ne t’aventure pas à me parler de cela ! s’exclama le charpentier, avec force et douleur, quand Ariel chercha à le questionner. J’ai perdu toute ma famille, ma mère, mon père : j’avais un frère derrière moi dans la file, un frère devant. Mais je suis le seul survivant. Ne me reparle plus jamais de cela. »

Ariel n’évoqua plus jamais ce numéro fatidique avec son collègue.

À une seule petite exception...

***

Touvia Ariel a plus d’une histoire à raconter. D’ailleurs, sa vie même en est une : après un bref passage à l’école de droit de Yale, il s’enrôla dans le bataillon de l’armée américaine en faction en Israël durant la guerre de Sinaï en 1956. Un jour, il déchira l’insigne USA de son uniforme et, se faisant passer pour un soldat israélien, fit de l’auto-stop jusqu’à la péninsule du Sinaï pour se battre aux côtés de ses frères. Et découvrir que la guerre s’était terminée tout juste deux heures auparavant...

On m’avait prévenu qu’Ariel était un personnage haut en couleurs, mais rien ne m’avait préparé au type de commentaire qu’il me fit une heure après que j’eus fais sa connaissance, par un vendredi après-midi. Je savais qu’il venait tout juste de recevoir une nouvelle prothèse de jambe et je me disais bien que cela devait lui changer la vie. Mais qui s’attarde sur de telles considérations ? Qui se demande l’effet que cela peut faire de vivre sans une jambe, ou avec une nouvelle jambe ?

Alors que nous priions Min’ha à la synagogue, ce vendredi, je ne remarquais rien d’inhabituel chez lui. Mais aussitôt la prière terminée, Ariel s’approcha de moi et, refoulant difficilement ses larmes, il me confia : « C’est la toute première fois de ma vie que je prie la Chemoné Essré debout. Je n’ai jamais eu l’occasion de m’adresser à Dieu comme tout Juif le fait, en faisant trois pas en avant au début de la prière, et trois pas en arrière à la fin… » [Ndlr : La Chemoné Essré est la principale de nos prières journalières. Répétée trois fois par jour, elle se dit debout.]

Et pour cause :

Ariel amputa sa propre jambe, un geste extrêmement douloureux mais qui eut le mérite de lui sauver la vie.

Ariel avait été élevé dans une famille non pratiquante, dans laquelle on ne récitait pas la prière du Chemoné Essré. Plus tard, il était monté en Israël pour y faire du volontariat. En 1967, au quinzième anniversaire de la Révolution russe, sa jambe se prit dans un broyeur industriel qu’il opérait au kibboutz, menaçant d’happer le reste de son corps. Mu par une présence d’esprit inimaginable, Ariel entreprit d’amputer sa propre jambe, un geste extrêmement douloureux mais qui eut le mérite de lui sauver la vie. Dix ans et quelques plus tard, il devint pratiquant. À ce stade, il se déplaçait en alternant entre une chaise roulante, des béquilles et des jambes artificielles, ce qui ne pouvait néanmoins pas lui permettre de rester debout assez longtemps pour prier la Chemoné Essré.

Mais ce fameux vendredi, il put enfin réaliser son vieux rêve. Après avoir parcouru les quelques pâtés de maisons qui séparaient la synagogue de son domicile, il ajouta d’une voix étranglée par l’émotion : « C’est la plus longue distance que je n'aie jamais parcouru à pied depuis 22 ans. »

Cela faisait peu de temps qu’on l’avait équipé de cette nouvelle jambe – le jour où le Mur de Berlin s’était effondré. Et c’était presque par hasard qu’il avait entendu parler de cette technologie novatrice en matière de prothèses. Ariel se trouvait aux États-Unis au début de l’année 1989 dans le cadre d’un voyage d’affaire. C'est alors qu'il aperçut une publicité vantant les mérites d’un nouveau type de plastique développé pour les voyages dans l’espace, mais employé également pour la confection de membres artificiels. L’affiche mettait en scène des personnes amputées engagées dans une partie de basketball animée, non pas confinées dans une chaise roulante, mais se tenant debout, courant, ou même sautant en l’air. Bref, disputant un match comme les autres.

Et ce qui surprit le plus Ariel, c’est que, comme lui, ces joueurs n’étaient pas amputés au-dessous du genou mais bien au-dessus.

Aux yeux émerveillés d’Ariel, cette scène lui faisait penser à celle d’une grand-mère décédée il y a bien longtemps que l’on verrait subitement déambuler dans la rue. Quand il avait perdu sa jambe 22 ans plus tôt, il n’avait jamais imaginé pouvoir retrouver une vie normale. Et voici qu’il apercevait des personnes souffrant du même handicap que lui jouer librement au basketball.

Ariel se renseigna et fut dirigé vers une clinique spécialisée en pose de prothèse située dans la ville d’Oklahoma. La méthode traditionnelle utilisée jusque là ne favorisait pas les personnes amputées au-dessus du genou car elle faisait reposer le moignon sur la prothèse, ce qui générait des douleurs et autres problèmes circulatoires rédhibitoires. Mais grâce à l’utilisation de ce nouveau plastique, flexible et semblable à du caoutchouc, la nouvelle prothèse adhérait fermement au moignon, soulageant les désagréments habituels et lui offrant une grande liberté de mouvement.

Avant même d’avoir reçu sa propre prothèse, Ariel se mit en devoir de mettre cette technologie révolutionnaire aux services de tous ses compagnons d’infortune en Israël. Pour ce faire, il s’entretint longuement avec les prothésistes de la clinique d’Oklahoma et obtint gain de cause. Ces derniers acceptèrent de former des prothésistes israéliens dans leur propre établissement, mais aussi de voyager en terre sainte pour y instruire les spécialistes locaux, à la seule condition qu’Ariel finance les frais de voyage.

Non content d’avoir importé ce savoir-faire médical en Israël, Ariel voulut également fonder la Hebrew Free Limb Society, un organisme caritatif permettant aux nécessiteux d’acheter une prothèse à crédit, et de rembourser leur prêt seulement une fois « remis sur pieds » – un jeu de mots que seul Ariel peut se permettre de faire…

Et pourtant, à l’en croire, ce n’est pas l’idéalisme qui poussa Ariel à l’action. C’est un sentiment bien plus puissant, celui d’avoir été jadis investi par Dieu d’une mission salvatrice. Et qui le porta à croire que, cette fois encore, toutes ces années de souffrance qu’il avait subies par le passé faisaient de lui un porte-parole privilégie de ceux que le monde délaisse.

Quel est donc l’évènement qui forgea sa vocation de messager de Dieu ?

***

Ariel avait fait du volontariat dans deux kibboutzim différents. Celui où il avait perdu sa jambe préférait le voir quitter le pays, car sa présence portait ombrage à la réputation du kibboutz. Mais Ariel ne voulait en aucun cas quitter Israël. Après cinq ans d’acharnement pour entrer dans diverses écoles de tourisme ; et se débrouillant tant bien que mal pour se déplacer à l’aide de véhicules, béquilles ou jambes artificielles qui le faisaient continuellement souffrir, Ariel devint guide touristique, poste qu’il occupa pendant 15 ans.

Au tout début de sa carrière, quand il était encore au bas de l’échelle, on le chargea d’accueillir des touristes à l’aéroport international de Lod pour les conduire au bureau principal, là où un guide expérimenté les prendrait en charge.

Le touriste enroula la manche de sa chemise et dévoila un nombre tatoué sur son bras.

Un beau jour, il conduisit un touriste américain visiblement fortuné, à l’accoutrement et au comportement ostentatoires. Voire frustes. Incapable de se montrer cordial avec lui, Ariel s’en tint à une conversation formelle. Mais à mi-chemin entre Lod et Jérusalem, le touriste, qui n’était pas dupe, cria : « Arrête-toi immédiatement ! » Ariel s’exécuta, et le voyageur aboya : « Tu crois avoir affaire à un touriste américain matérialiste, n’est-ce pas ? Eh bien, détrompe-toi, j’ai déjà payé mon tribut. »

À ces mots, il enroula la manche de sa chemise et dévoila un nombre tatoué sur son bras. Et d’ajouter : « J’ai perdu toute ma famille… un frère derrière moi dans la file, un frère devant. » Ariel eut l’impression que sa tête allait exploser.

S’efforçant de calmer ses esprits, Ariel se contenta de dire : « Votre frère s’appelait-il Chimon ? » Le visage rougeaud du touriste devint livide.

« Changement de direction ! s’exclama Ariel. Nous n’allons pas à Jérusalem. »

Ariel fit un demi-tour et roula pendant une heure et demie en direction du kibboutz où il avait travaillé avec ce charpentier taciturne, près d’Afoula. Un silence presque palpable régnait dans la voiture. Finalement, Ariel arriva au kibboutz et se gara devant l’atelier du charpentier. Cela faisait dix ans qu’il n’avait pas vu son ancien maître d’apprentissage. Sans ambages, il le questionna : « Votre frère s’appelait-il Réouven ? »

Le visage du charpentier se vida de se couleurs.

Ariel regagna son taxi et déclara au touriste américain : « Suivez-moi, je vais vous conduire chez votre frère. »

Sans dire mot, il accompagna le voyageur jusqu’à l’atelier du charpentier mais n’entra pas. Il ne voulait pas violer l’intimité de leurs retrouvailles. Il fit demi-tour et regagna l’entrée du kibboutz. Puis il sortit de son véhicule et fondit en larmes.

Mais comment Ariel avait-il deviné que ces deux hommes étaient bel et bien des frères ?

Très simple. Quand le touriste américain lui avait montré le numéro tatoué sur son bras, il n’avait pas pu s’empêcher de remarquer qu’il se terminait par… 7-4-0-2.

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