Spiritualité

Le paradis peut attendre

04/05/2014 | par Sara Yoheved Rigler

Nous sommes convaincus que la félicité nous attend dans l’au-delà, mais alors, pourquoi la mort nous cause-t-elle tant de chagrin ?

Au cours de la dernière guerre du Liban, 118 soldats et 52 civils israéliens ont été tués. Chacune de ces morts a été ressentie comme une véritable tragédie. Tous les journaux, toutes les chaînes de télévision ont publié des photos de chacune des victimes, complétées par une biographie plus ou moins longue où l’on apprenait quels étaient leurs goûts, leurs passe-temps favoris, ainsi que les dernières conversations qu’ils avaient eues avec leurs parents ou amis. La télévision a filmé les enterrements, pénétré dans la maison des endeuillés pour nous livrer les images de la mère en pleurs, du père accablé de douleur, de la veuve éplorée, du frère ou de la sœur effondrés.

Ces morts n’étaient pas seulement des tragédies sur le plan personnel, elles atteignaient le peuple tout entier.

Ces morts n’étaient pas seulement des tragédies sur le plan personnel; elles atteignaient le peuple tout entier. Israël est certainement le seul pays au monde où, lorsque la radio annonce qu’un soldat ou un civil ont été tués, elle diffuse également le lieu et l’heure de l’enterrement, car on sait que de nombreux auditeurs, bien que ne connaissant pas personnellement la victime voudront assister à ses obsèques.

Michaël Levine, 21 ans, était un jeune Juif américain idéaliste qui avait fait son aliyah il y a 3 ans et avait rejoint les rangs de l’armée israélienne. Il se trouvait en permission chez ses parents, à Philadelphie, lorsque la guerre a éclaté. Il aurait pu rester sur place quelques semaines encore, mais il choisit de rentrer immédiatement en Israël pour faire son devoir.

Il est mort au combat au Liban. Il y avait des centaines de personnes à son enterrement au cimetière militaire du Mont Herzl. Ils venaient de tous les horizons religieux et politiques. Les deux choses que la plupart d’entre eux avaient en commun étaient le fait qu’ils n’avaient jamais rencontré Michaël et qu’ils pleuraient à chaudes larmes à son enterrement.

Je n’avais, moi non plus, pas connu Michaël, mais le chagrin que j’éprouvai à l’annonce de sa mort me rappela une histoire que j’avais lue voici quelques années. Le fils d’un missionnaire chrétien qui travaillait dans ce qui était alors le Congo belge évoquait avec émotion le souvenir de son père. Lorsque les rebelles congolais s’emparèrent de la capitale, ils mirent en prison son père ainsi que d’autres missionnaires. La Mère supérieure d’un couvent catholique de la région était la seule personne blanche autorisée à rendre visite aux missionnaires. Chaque matin, elle répondait aux coups de téléphone des familles des prisonniers qui venaient prendre des nouvelles de leurs maris ou de leurs pères.

Une nuit, les rebelles armés de machettes firent irruption dans la prison et massacrèrent tous les missionnaires. Le lendemain matin, le fils, ignorant tout de ce carnage, téléphona à la Mère supérieure pour demander des nouvelles de son père.

— Tout va bien, lui répondit-elle. Il est au ciel.

Lorsque j’avais lu cette histoire, ma première réaction avait été : « Un Juif n’aurait jamais répondu ça ». Mais pourquoi ? me demandai-je ensuite.

A l’époque, je n’avais jamais étudié la Torah et n’avais qu’une très vague idée de la manière dont le Judaïsme envisage l’au-delà. Certes, j’avais entendu au Talmud Torah des histoires hassidiques dans lesquelles « le tribunal céleste » décrétait que certaines âmes iraient au paradis et d’autres en enfer, et je pensais, par conséquent, que les Juifs croyaient au paradis, mais je n’avais jamais entendu un seul Juif en parler. Je n’étais encore qu’une enfant lorsque mon oncle Harry mourut à l’âge de quarante-deux ans. A voir le désespoir et les larmes de mes parents, je me disais que la mort mettait un terrible point final à une histoire sans qu’aucun épilogue consolateur ne vienne l’adoucir.

Des années plus tard, en entendant la réponse pleine de sérénité de la Mère supérieure après le massacre des missionnaires, je me demandai pourquoi nous autres Juifs étions accablés par le chagrin devant la mort, au lieu de réagir avec un noble stoïcisme. Ne croyions-nous pas nous aussi au paradis ?

AU PLUS HAUT DES CIEUX

A présent, j’ai suffisamment étudié le Judaïsme pour avoir la certitude que Michaël Levine se trouve au paradis. Pour le Judaïsme, le paradis est une dimension totalement spirituelle de la réalité où les âmes reçoivent une récompense totalement spirituelle : jouir du rayonnement de la Présence Divine. Les différents « cieux » correspondent à des degrés plus ou moins proches de la Divine Lumière.

Michaël Levine se trouve au plus haut de ces degrés, en compagnie des Patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Le Talmud nous raconte l’épisode des « Tsadikim (des Justes) de Lod ». Un officier romain avait été assassiné près du village de Lod. Les Romains avaient déclaré que si les assassins ne se livraient pas, tous les Juifs du village seraient exécutés. Deux frères, qui n’étaient pour rien dans ce meurtre, s’accusèrent du forfait et se laissèrent mettre à mort pour que les autres Juifs de Lod soient épargnés. Le Talmud affirme que ces deux « Tsadikim de Lod », qui n’étaient connus auparavant ni pour leur piété ni pour leur sagesse, acquirent ainsi une place aux côtés des Patriarches dans le monde futur. On peut en déduire que tout Juif qui donne sa vie pour protéger d’autres Juifs acquiert lui aussi une place au plus haut des cieux.

Et pourtant, je suis certaine que pas une des personnes présentes pendant qu’on descendait le cercueil de Michaël recouvert du drapeau israélien dans la tombe n’a pensé: « Il est bien maintenant, il est au paradis ». Pourquoi ?

POUR TROIS FOIS RIEN

« Les Maximes des Pères » (Pirkei Avoth), ce recueil d’aphorismes de nos Sages, vieux de 2000 ans, définissent ainsi la différence entre ce monde-ci et le monde futur : « Mieux vaut une heure de techouva (repentir) et de bonnes actions dans ce monde-ci qu’une vie entière dans le monde à venir; et mieux vaut une heure de bonheur dans le monde à venir que toute une vie dans ce monde-ci (ch.4 v18) ».

Autrement dit, le monde futur est le lieu où l’on est récompensé, et aucun des plaisirs de ce monde-ci ne peut se comparer aux félicités du monde futur. En revanche, ce monde-ci est le lieu où l’on peut choisir de bien se conduire, ce qui est finalement bien plus souhaitable que de recevoir la plus douce des récompenses dans le monde futur.

Pour le Juif, c’est ce monde-ci qui est le plus important, car c’est là, et uniquement là, que l’âme peut choisir de se tourner vers le bien

Le Gaon de Vilna fut l’un des plus grands sages de la Torah de ces deux derniers siècles. Alors qu’il était sur son lit de mort, après une longue vie de sainteté, il se mit à pleurer. Lorsque ses proches lui demandèrent pourquoi il pleurait, il répondit : « Dans ce monde-ci, pour trois fois rien, je peux acheter des tsitith (franges rituelles que l’on attache aux quatre coins d’un talith ou d’un vêtement) ». Toutes les félicités du paradis ne suffisaient pas à consoler le sage de ne plus avoir la possibilité d’accomplir une mitsva.

Pour le Juif, c’est ce monde-ci qui est le plus important, car c’est là, et uniquement là, que l’âme peut choisir de se tourner vers le bien. C’est uniquement là qu’on peut choisir d’accomplir la volonté divine. C’est uniquement là qu’on peut faire à Dieu le « plaisir » d’obéir à Sa parole. Dans le monde à venir, on reçoit, mais ce monde-ci est fait pour donner. Lorsque nous donnons, nous agissons à l’image de Dieu, le Dispensateur Suprême. Il est donc normal que le Judaïsme accorde une valeur essentielle à ce monde-ci.

Bien que le fait d’accomplir une mitsva entraîne automatiquement une récompense dans le monde futur, les Sages insistent sur le fait que la récompense n’est pas le but recherché. La valeur de la mitsva est inhérente au fait d’avoir choisi de faire le bien, indépendamment de toute récompense. Le rosh yeshiva d’Aish HaTorah, le rabbin Noah Weinberg illustre ce concept par la métaphore suivante :

« Supposons que vous accomplissiez la mitsva d’honorer vos parents en apportant à votre mère un verre d’eau. Quelqu’un vous a observé et vous dit : « C’est formidable, ce que vous venez de faire ! Vous avez honoré votre mère ! Voici 100 000 dollars de récompense ».

« Il est probable que vous diriez à cet homme que vous n’ avez pas agi en vue de recevoir une récompense, mais que, puis qu’il vous le propose, vous acceptez volontiers ses 100 000 dollars. La fois suivante, vous offrez à nouveau un verre d’eau à votre mère, et la même scène se répète. Vous redites que vous n’avez pas agi en vue d’être récompensé, mais vous empochez cependant les 100 000 dollars. Et il va en être ainsi dix fois de suite.

« Lorsque vous allez servir pour la onzième fois un verre d’eau à votre mère, vous allez voir du coin de l’œil la liasse de billets dans la main de l’homme. Et là, à quoi penserez-vous ? Certainement pas à la mitsva d’honorer votre mère ! Vous penserez aux 100 000 dollars !

« C’est à ceci que ressemble le fait d’accomplir des mitsvoth et des bonnes actions en vue de recevoir une récompense céleste ».

Le rabbin Weinberg donne également un autre exemple : « Imaginons que vous êtes au bord d’une piscine avec votre petit garçon de deux ans et que celui-ci tombe à l’eau. Vous allez , bien sûr, sauter tout habillé dans la piscine pour sauver votre enfant. Un homme qui a assisté à la scène vous dit : « C’est extraordinaire, ce que vous venez de faire ! Voici 1 000 000 de dollars de récompense. »

« Vous direz certainement à cet homme que vous n’avez pas agi en pensant recevoir une récompense, mais puisqu’il vous le propose, vous acceptez volontiers le million de dollars qu’il vous offre. A peu de temps de là, la scène se répète. Vous sautez à nouveau dans la piscine et sauvez votre enfant. L’homme vous offre à nouveau la même récompense et, bien que vous n’ayez pas agi pour l’argent, vous empochez néanmoins à nouveau le million de dollars. Le même scénario va se répéter dix fois de suite.

« Lorsque votre enfant tombe pour la onzième fois dans la piscine, vous allez voir la liasse de billets dans la main de l’homme. Mais à quoi allez-vous penser à ce moment-là? A SAUVER VOTRE ENFANT !

Les sages savent que chaque mitsva est porteuse d’une valeur supérieure à sa récompense.

« Certaines actions possèdent une telle valeur intrinsèque, évidente même pour notre perception humaine limitée, qu’aucune récompense ne peut nous distraire de l’importance d’accomplir cette action. »

Les sages savent que chaque mitsva est porteuse d’une valeur supérieure à sa récompense. « Accomplir la volonté du Tout-Puissant », dit le rabbin Weinberg, « est une fin en soi. Nous autres Juifs n’aspirons pas à aller au paradis, mais plutôt à faire de cette terre un paradis. Chaque mort est considérée comme un échec. »

C’est pour cela que nous avons tant pleuré à la mort de Michaël Levine. Certes, il méritait d’être au plus haut des cieux. Certes, il jouit du rayonnement de la Présence Divine. Certes, eût-il vécu 60 ans de plus il n’aurait pas mérité une récompense plus grande que celle que lui a valu le fait de mourir pour protéger la vie d’autres Juifs. Mais s’il avait vécu, il aurait pu apporter un verre d’eau à sa mère. Il aurait pu faire Kiddouch à Chabbath. Il aurait pu aider les malheureux. Et tous ces actes, que l’on ne peut accomplir que dans ce monde matériel, ont un sens et une valeur au-delà de toute récompense.

«Mieux vaut une heure de techouva et de bonnes actions dans ce monde-ci qu’une vie entière dans le monde à venir ». Les Juifs croient au paradis. Mais notre tâche consiste à faire de ce monde-ci un paradis. Et ce paradis, qui est la somme de tous les choix que nous faisons à chaque minute, de notre lutte de chaque heure, de nos efforts quotidiens, est infiniment précieux. Et l’anéantissement de ces jours, de ces heures, de ces minutes, lorsque la vie s’arrête est infiniment tragique.

Il est bien naturel que nous pleurions.

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