Spiritualité

Le bac de philo 2014 à l'épreuve du judaïsme !

23/06/2014 | par Yehuda Israël Rück

Plancher sur un sujet du bac de philo au regard de la Torah, tel est le défi auquel s'est livré un talmudiste et ancien prof de philo. À vous de découvrir sa copie !

Épreuves de philosophie/Baccalauréat 2014

Sujet 1 pour les Terminales ES

« Suffit-il d'avoir le choix pour être libre ? »

Nous revoilà donc pour répondre à l’un des sujets du baccalauréat de philosophie au regard de la Torah. Et cette année, nous avons choisi le premier sujet des classes de Terminales ES : « Suffit-il d'avoir le choix pour être libre ? »

1ère partie

La liberté est l’état d’un être qui n’obéit qu’à sa seule volonté, indépendamment de toute contrainte extérieure, c’est-à-dire qui peut choisir en toute indépendance. Le fait de pouvoir choisir constitue ainsi l’expression même de la liberté : il suffit effectivement d’avoir le choix pour être considéré comme un être libre. Puisqu’inversement, l’homme auquel on a retiré la possibilité de choisir, c’est-à-dire de faire ce qu’il veut, ou celui qu’on a contraint, qu’on a forcé à choisir ceci ou cela, n’est pas libre.

Pour la Torah la liberté se définit donc bien comme un pouvoir d’agir. Puisque face à un tribunal rabbinique, quiconque a agi sous la contrainte est appelé « anous », il n’est pas tenu responsable d’un acte qu’il a été forcé d’accomplir. Car, qui dit liberté, dit forcément se trouver en pleine possession de ses facultés mentales et physiques. Et, de même que déterminer sa conscience à agir de telle ou telle manière (comme pour lever le bras par exemple) c’est exprimer sa liberté, ce qui fait la spécificité de l’homme et qui le différencie de tout le règne animal, c’est bien le fait de pouvoir inscrire ses choix vis-à-vis d’un certain système de valeurs. Car un même acte peut avoir des conséquences radicalement différentes selon le but auquel il répond : je peux déplacer mon bras pour mettre les téfilin ou pour avaler de la nourriture qui n’est pas cachère, pour aider quelqu’un à se lever ou pour cambrioler une banque, etc.

Choisir c’est prendre position vis-à-vis de ce qui est appelé le bien et le mal. Et être libre cela signifie pouvoir être tenu responsable des conséquences de ses actes.

Ainsi, pour la Torah – comme pour la philosophie ou les droits de l’homme –, choisir au sens fort du terme c’est prendre position vis-à-vis de ce qui est appelé le bien et le mal. Et être libre cela signifie pouvoir être tenu responsable des conséquences de ses actes. Tout l’édifice du salaire et de la punition (sakhar véOnech) semble même fondé sur l’existence du libre-arbitre, c’est-à-dire du libre choix de respecter ou non les commandements négatifs (mitsvot lo taassé) et d’accomplir les commandements positifs (mitsvot assé). La liberté est aussi en ce sens la condition de vie en société : elle permet la réalisation et la perfection de l’homme qui s’expriment précisément par les actes qu’il fera tout au long de son existence. Ainsi, on peut lire dans le verset : « Vois !... J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction, tu choisiras la vie afin que tu vives, toi et ta descendance » (Devarim 30, 15-19). Car c'est en choisissant entre le bien et le mal que l’homme, lui qui est le seul être au monde à posséder la liberté, réalise sa vocation d’être à l’image d’Hachem (tsélem Elokim). C’est même dès l’œuvre de la Création qu’Adam haRichon, le premier homme, est enjoint par l’Eternel en ces termes : « De tous les arbres du jardin tu peux te nourrir, mais de l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras pas… » (Béréchit 2, 16-17).

2ème partie

Pourtant, pour la Torah, la liberté semble ne pas se limiter au simple fait de pouvoir choisir. « Avoir le choix » est certes une condition suffisante à la liberté, mais elle n’est pas une condition nécessaire. Car tout dépend de ce qu’on choisit. Décider de faire le bien constitue la véritable expression de la liberté mais cela ne donne pas encore de mérite. Tout dépend dans quel but on le fait, et de la part d’engagement de l’homme. Tout dépend de la valeur du choix. Nous sommes donc bien obligés de reconnaître que la liberté précède les choix, elle ne saurait donc pas se limiter à eux.

« L’Eternel, écrit le Rambam, punit parfois un homme en l’empêchant de se repentir et en le privant de la liberté de s’amender » (Huit Chapitres, 8). Ce fut le cas de Paro pendant les dix plaies d’Egypte jusqu’à la traversée de la Mer Rouge lorsqu’il se jette, lui et toute son armée dans les flots, et ce, malgré le miracle qui se dévoile sous ses yeux et auquel il ne soumet pas. Mais aussi de Si’hon, roi de ‘Hechbon qui, parce qu’il s’était rebellé contre D.ieu, l’Eternel l’a châtié en lui retirant sa liberté de choix, c’est-à-dire en l’empêchant de répondre favorablement à Israël et finalement, de trouver la mort à cause de cela. Comme il est dit : « Si’hon, roi de ‘Hechbon ne voulut pas nous laisser passer parce que D.ieu avait raidi son esprit et endurci son cœur » (Devarim 2, 30).

On voit donc que Paro ou Si’hon ont donc agi sans choisir. Et ils ont malgré tout été tenus responsables de leurs actes ! Il ne suffit donc pas de choisir pour être considéré comme un homme libre. Ou, pour le dire autrement : la liberté ne se saurait se réduire au simple fait de pouvoir choisir. Elle implique autre chose…

On le voit encore, léhavdil, avec Moché Rabbénou qui se trouve comme prédestiné pour accomplir l’ordre divin de sortir les Juifs d’Egypte et qui exprime ses doutes devant la mission qui lui est fixée par Hachem (Chémot 4, 1). Au point qu’il est dit juste ensuite : « La colère de l’Eternel s’enflamma contre Moché » (Ibid., 14), Hachem imposant sa décision au prophète. Ce fut le cas aussi de Yona, forcé d’accepter sa mission, le sauvetage des habitants de Ninevé, après avoir été avalé par un poisson à la suite d’une tempête. Dira-t-on de Moché et de Yona qu’ils n’étaient pas libres de réaliser ce qu’ils ont fait ? Et qu’ils n’en ont pas tiré du mérite ?

Prenons un autre exemple : il existe un passage étonnant du Talmud commenté par le Rambam dans ses « Hilkhot Guérouchin 2, 20). Il y est question d’un homme qui refuse d’accorder le divorce à son épouse, et qui est battu par le tribunal rabbinique jusqu’à ce qu’il dise : « Je le veux ». Maïmonide demande : « En quoi l’acte de divorce ainsi obtenu sera-t-il valable, si cet homme l’a donné sous la contrainte ? » Puis il répond : « Quiconque se trouve sous l’emprise de son mauvais penchant qui le pousse à refuser d’accomplir un commandement positif ou à commettre une faute, et qu’on frappe jusqu’à ce qu’il agisse conformément à ses obligations, n’est pas considéré comme « contraint ». Etant donné qu’il veut faire partie du peuple juif et qu’il désire accomplir tous les commandements positifs et s’éloigner de toutes les transgressions, on sait que c’est son mauvais penchant qui l’a dominé. Ainsi, dès qu’il s’écrie : "Je le veux" lorsqu'on le frappe et que son penchant s’affaiblit, c’est en toute liberté qu’il accorde le divorce à son épouse ».

Aux antipodes de la philosophie, la « bé’hira » authentique, c’est le fait de soumettre son choix à la loi et à la Providence divine.

Les Sages ont donc estimé pouvoir retirer la possibilité de choisir à un homme afin qu’il puisse exprimer sa liberté, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il reconnaisse par lui-même devoir agir conformément à la loi. Car, pour le judaïsme, est appelé libre l’homme qui se soumet à la Loi et à la Providence, et non celui qui se donne à soi-même sa propre loi (même si celle-ci est une maxime d’action universelle) afin de déterminer le monde.

Comme il est dit : « « "Ces Tables étaient l’œuvre de l’Eternel, et les caractères gravés sur les Tables, des caractères divins". Que signifie le mot "gravés" ? Rabbi Yehouda a dit : Ne lis pas "gravés" - ‘harout, mais "libérés" » (Midrach Chémot Raba, 32) Voir aussi : Pirké Avot 6, 2, où on ajoute : « L’homme libre (ben ‘horin) c’est celui qui étudie la Torah ». Pour la Torah, c’est l’obéissance qui fait l’homme libre.

Ce fut le cas lors du « Naassé véNichma », sous-entendu : « Nous nous soumettons à la loi, nous aliénons notre liberté de choisir comme étant la condition de l’apprentissage, de la connaissance de la Torah, c’est-à-dire de la loi, du bien et du mal ». Ce que l’hébreu nomme en réalité le réchout (le pouvoir de faire quelque chose) c’est le fait d’accéder à la liberté (‘hérout). Aux antipodes de la philosophie qui définit la liberté comme l’état d’un être qui n’obéit qu’à sa seule volonté, indépendamment de toute contrainte extérieure, la « bé’hira » authentique, c’est le fait de soumettre son choix à la loi et à la Providence divine.

3ème partie

Même lorsqu’il est prisonnier, un homme reste a priori libre, c’est-à-dire indépendant absolument des causes extérieures, et dira-t-on naturelles, qui limitent et déterminent son existence. Car, même s’il ne peut agir à son gré, il reste libre de donner une valeur à la situation qu’il est en train de vivre. Il peut par exemple estimer qu’il vit une injustice, ou bien se soumettre à la loi, comme ce fut le cas de Socrate. La liberté en ce sens relève davantage de la volonté, ou d’un droit abstrait, que d’un acte à proprement parler.

Prenons un autre exemple : à cause de nos fautes, le Bet-haMikdach, le Temple, a été détruit. Comment réagir ? Trois cas de figure se présentent à nous : le tsadik (le juste) se soumettra à la justice divine punissant les fautes d’Israël. Le racha (le méchant) se révoltera et prétendra que ce qui arrive n'est pas juste. Et pour cause : le Bet-haMikdach était là pour expier nos fautes, pourquoi D.ieu l’a-t-il détruit ?) Mais le racha a au moins le mérite de désigner Le « coupable », en reconnaissant de la sorte, même s’il se révolte contre Lui, la présence de D.ieu dans l’Histoire. Car, il y a pire : c’est celui que tout cela laisse indifférent, et qui se dit qu’après tout, le sort des armes c’est d'être un vainqueur ou un vaincu. Cette indifférence est la négation même de la liberté puisqu’elle laisse l’homme en proie au hasard et à l’absurde.

Pour le judaïsme, même lorsque les évènements extérieurs ne nous laissent plus le choix, même lorsque notre situation semble inexorablement déterminée et sans issue, l’homme reste libre d’y voir au non la présence de la hachga'ha, le sens que D.ieu met dans le monde. L’oublier est impardonnable. Car c’est justement se défaire de sa liberté au sens fort du terme, la bé’hira.

Dans le Traité Berakhot, p.60/b, on peut lire à ce sujet : « Rav a dit au nom de rabbi Méïr, ce qui a par ailleurs été enseigné au nom de rabbi Akiva : "Que tout homme prenne l’habitude de dire que tout ce que fait le Saint béni soit-Il vise le bien" ».

Puis, dans ce passage de la Guémara, on relate une histoire à propos de rabbi Akiva qui se trouvait en chemin avec ses élèves. La nuit était déjà tombée lorsqu’ils arrivèrent aux portes d’une ville où ils désiraient prendre du repos. Mais, lorsqu’ils demandèrent aux résidants de leur offrir un gîte pour la nuit, ils essuyèrent un refus. Rabbi Akiva déclara alors : « Tout ce que fait le Saint béni soit-Il vise le bien ! ». Lui et ses élèves s’installèrent donc dans les campagnes environnantes pour la nuit. Or, ils avaient en leur possession un coq pour qu’il les réveille le matin, un âne qu’ils chevauchaient, et une lampe pour s’éclairer pendant la nuit. Mais le vent se leva et il éteignit la lampe. Un chat pénétra dans le campement et dévora le coq. Puis un lion surgit et se jeta sur l’âne. Mais rabbi Akiva déclarait à chaque fois : « Tout ce que fait le Saint béni soit-Il vise le bien ! ». Au petit matin, il s’avéra que cette nuit là, une bande de brigands avaient pénétré dans la ville, kidnappant tous ses habitants pour les vendre comme esclaves. Rabbi Akiva enseigna alors à ses élèves : « Vous le voyez maintenant : tous les évènements de cette nuit qui vous semblaient négatifs (râïm) se sont en réalité avérés positifs (tovim). Si nous avions dormi dans cette ville, nous serions aujourd’hui enchaînés. Et si le coq avait chanté, si l’âne avait braillé, ou si la lampe leur avait indiqué notre présence, les brigands nous auraient remarqués et emmenés avec eux comme esclaves ».

Il s’agit en réalité d’une Halakha fixée par le Rif et le Roch sur cette page du Traité Berakhot, ainsi que dans le Tour et le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm, 230) : face aux évènements qu’il traverse, tout homme a l’obligation de reconnaître et d’affirmer que « tout ce que fait le Saint béni soit-Il vise le bien ».

Ainsi, même si l’on ne peut agir, on devra tout d’abord prier pour que le Saint béni soit-Il améliore notre situation. Mais si l’on a prié et qu’en dépit de cela les choses n’ont pas changé, il faudra garder à l’esprit que tout ce qui nous arrive vise toujours leu bien, même si l’on ne comprend pas tout de suite quel genre de « bien » pourrait sortir de telle ou telle situation.

La liberté n’est donc jamais donnée, elle s’acquiert à chaque instant.

Car, même lorsqu’on n’a plus le choix, on conserve toujours la liberté de se mettre ou non au service de la destinée divine. On pourrait dire en ce sens que, pour le judaïsme, la liberté n’est pas une notion absolue. Elle est elle-même tributaire de la responsabilité, c’est pourquoi on ne doit pas s’étonner de voir un homme perdre sa liberté de choisir à cause de sa responsabilité, comme ce fut le cas de Paro. Ou, léhavdil, de Moché Rabbénou se devant de sortir les Juifs d’Egypte malgré lui, du prophète Yona forcé d’accepter sa mission : le sauvetage des habitants de Ninevé. Même lorsqu’on n’a plus le choix, on conserve toujours la liberté de se mettre ou non au service de la destinée divine.

La liberté n’est donc jamais donnée, elle s’acquiert à chaque instant. Elle est l’expression même de l’épreuve (nissayon) et de la réalisation du destin de l’homme. Car, faire le bien exige des efforts, agir contre sa nature et découvrir lentement qu'on sert l’Eternel par sa volonté de se soumettre à Lui et à la providence jusqu'à ce qu'on devienne cette créature qui, naturellement, aime D.ieu. C'est alors que l'on peut juger de la sincérité d’un acte. Le libre arbitre donne la possibilité de dévoiler et de valoriser le choix du bien. D.ieu l'a crée pour conférer à l'homme sa dignité. Se construire dans l'effort.

En conclusion :

Si un Juif craque une allumette Chabbat, faisait remarquer le rav Y. Poultorak zatsal, Hachem la fait brûler. Est-ce pourtant Sa volonté ? Certainement pas. Alors pourquoi nous laisse-t-Il ce choix ? Cela signifie-t-il que l’Eternel aurait donné à l'homme la faculté de Lui désobéir en lui laissant la possibilité de faire le mal ?…

La réponse à cette question est déposée dans la Michna des « Pirké Avot » : « haKol tsafouï véhaRéchout nétouna », « Tout est dévoilé [aux yeux d’Hachem] et le droit (ou ce qui revient au même, le choix) est donné ».

Pour le judaïsme, la liberté c’est le fait d’accomplir la loi. Ce n’est pas le fait de pouvoir choisir entre le bien et le mal qui constitue la liberté, mais uniquement le fait de choisir le bien parce qu’on a reconnu qu’au fond c’est elle, la loi, qui gouverne mon choix. Voilà pourquoi Hachem nous laisse la possibilité de désobéir : si faire le choix du mal ce n’est pas être libre, la vraie liberté, c’est de choisir le bien. Et c’est effectivement de cette manière que la révélation de la Torah au peuple juif a eu lieu au Mont Sinaï. Comme l’enseigne le Talmud : « Si vous l’acceptez, tant mieux ; sinon, que ce soit là votre tombeau ! » (Traité talmudique Chabbat, p.88/a). Notre seule liberté, c’est d’accepter ou non les règles qu’Hachem a imposées à la création. Choisir, c’est nécessairement d’abord s’inscrire dans le projet divin.

© Y.I. RÜCK

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram