Monde Juif

« Maman, tu me manques »

06/09/2016 | par Slovie Jungreis-Wolff

Pour le monde entier, elle était une survivante et une pionnière visionnaire. Pour mes frères et sœurs et moi, elle était notre mère toujours présente.

L’auteur avec sa mère

Ces mots sont difficiles à écrire. Aujourd’hui, je me suis levée des chiva (7 jours de deuil, ndlr), deuil de ma mère bien-aimée, la Rabbanith Esther Jungreis. Pendant sept jours, j’ai ouvert la porte de son appartement en espérant revoir son beau sourire. Je suis entrée dans la cuisine où figurent les photos de tous ses enfants, petits et arrières petits enfants. Je regardais autour de moi mais sa chaise était vide. La douleur est intense. Où est tu ma belle ima ?

Pour le monde entier, elle était la Rabbanith Jungreis. L'âme juive incandescente. Visionnaire, survivante de Bergen-Belsen, fondatrice de l’Association Hineni, oratrice charismatique qui a envouté Madison Square Garden, pionnière du kirouv, rapprochant les Juifs de leurs sources, femme courageuse qui voyagea au quatre coins du monde afin de rallumer l'étincelle qui sommeille en chaque Juif.

Alors que nous étions assis pour les chiva, nous avons rencontré des personnes venues de loin pour partager leurs histoires et leur lien retrouvé. Certains ont parlé de ses bénédictions qui ont amené des enfants et des guérisons. D'autres ont rapporté certains de ses enseignements de Torah qui ont aidé à ramener la paix dans leurs foyers divisées. Des couples ont témoignés avoir été formés grâce à son aide, eux qui réjouissent aujourd’hui notre peuple. Des hommes et des femmes ont raconté des histoires incroyables à son sujet, elle qui leur a permis de découvrir le judaïsme et de laisser l'assimilation derrière eux.

Mes larmes se sont jointes à celles de ceux venus nous consoler. Ils ont essayé de s’exprimer mais beaucoup ne pouvaient tout simplement pas parler. La douleur était écrasante. Maintes et maintes fois, j'ai entendu, « Nous avons perdu notre Bubby » « Nous avons perdu notre ima de Thora. »

Une grande lumière s’est éteinte. Notre monde s’est assombri.

Pour mes frères et sœurs et moi, la Rabbanith était notre ima. Elle était ma maman toujours présente à mes côtés, qui m'a aimé, m'a guidé et m'a donné la vie. Après la naissance de chaque bébé, je rentrais à la maison où ma mère berçait mes nouveau-nés en leur chantant le chema Israël.

Pour nos enfants et petits-enfants, elle était « Bubby ». Elle nous a choyés et fait sentir que nous étions tous ses préférés.

Chaque fois que nous repartions de chez elle, Bubby insistait pour nous raccompagner à la porte. Nous nous embrassions et Bubby nous disait au revoir. Elle posait ses mains sur nos têtes et nous donnait sa bénédiction. Elle versait toujours des larmes. Une fois dehors, elle nous rappelait. « Encore une bénédiction », disait-elle. « Tant que je suis vivante, n’hésitez jamais à revenir pour une bénédiction. »

Vers le bas de l'allée nous nous retournions et Bubby était encore là. Ses lèvres bougeaient. Elle chuchotait ses bénédictions. Elle nous faisait signe et nous continuions à nous éloigner. Alors que sa silhouette n’était plus qu’un point, nous savions qu'elle n’avait pas bougé. Elle nous observait encore, ne nous lâchait pas du regard, une prière constante aux lèvres.

Quand ma mère était petite fille, avant la déportation vers les camps de concentration, de jeunes Juifs hongrois avaient été désignés pour le travail forcé. Szeged, la ville natale de ma mère, était leur escale. Zaydah, mon grand-père, était le Rabbin de la ville, et la maison de mes grands-parents était devenue leur refuge. Peu après, ils ont été déportés. Ces jeunes hommes étaient contraints de porter des brassards jaunes qui les identifiaient en tant que Juifs honnis. Mais à la table de mes grands-parents, ils étaient transformés. Ils étudiaient les livres saints et étaient enveloppés d'amour. Les brassards jaunes de la honte devenaient des insignes honorifiques. Quand l'heure venait pour eux de prendre congé, Zayda plaçait ses mains sur la tête de chaque jeune homme. Il pleurait et donnait sa bénédiction. Puis il les accompagnait à la porte et chuchotait ses bénédictions jusqu'à ce qu'ils soient hors de vue.

Ma mère a posé les bénédictions de la maison de Zayda sur les cendres, pour nous, la nouvelle génération.

Le Livre des Psaumes de ma mère est usé, les pages en sont craquelées, mouillées de ses larmes. Combien de fois nous l'appelions pour qu’elle allège nos fardeaux, lui demandant de faire vibrer les cieux par ses prières. Chaque fois qu'un petit-enfant allait venir au monde, nous composions le numéro de téléphone de Bubby. « Ima, s'il te plait, prie pour moi ! » lui demandions-nous, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit.

Qui va prier pour nous maintenant? Qui va nous bénir ? Qui va voir le miracle caché qui se trouve en chacun de nous ?

Quand ma mère regardait un être humain, elle voyait bien au-delà de son apparence physique. Elle voyait son âme, le « pintele Yid » qui résidait en lui. Alors que je n’étais qu’une petite fille, je me souviens encore de son allocution au Madison Square Garden à laquelle assistèrent des milliers de Juifs venus de tous les horizons. Ma mère proclama passionnément que « dans chaque Juif se trouve une étincelle, une lueur, une petite flamme. Si vous le souhaitez, cette petite flamme peut devenir un grand feu à partir de laquelle les mots Hineni, « Me voici, mon Dieu », doivent émerger. Mes enfants, shuvu banim, revenez à la maison. »

Ma mère a permis le rapprochement de la nation juive grâce à son amour et à sa foi inébranlable. Les flammes de l'Holocauste qui anéantirent nos arrière grands-parents, nos grands-parents, nos tantes, oncles, cousins ​​en bas âge, ne firent que renforcer sa conviction.

Alors que nos enfants grandissaient, tous les cousins ​​dormaient chez mes parents pour Chabbat. Vendredi soir, après le repas, ils couraient dans les escaliers avant de mettre leurs pyjamas. « Bubby va nous raconter une histoire d’elle quand elle était petite ». Ma mère expliquait comment elle se tenait dans le froid glacial de Bergen Belsen, effrayée, les yeux rivés au sol. Un jour, elle mit la main dans sa poche et sentit un morceau de papier froissé. Son père avait placé le Chema Israël dans sa poche. « C’était seulement un morceau de papier, mais il m'indiquait que je n’étais pas seule, que D.ieu était là. Lentement, je relevais les yeux. »

Ma mère nous permis de nous reconnecter à nos racines. Elle nous fit comprendre que si nous ne savons pas d’où nous venons, nous ne pouvons pas savoir où nous allons. Elle nous a appris à bâtir nos existences grâce à l’espoir. Elle a nous a laissés un héritage de Emouna, la foi pure. Elle a ancré en moi la certitude que quel que soi l’épaisseur des ténèbres, nous sommes la nation du miracle. D.ieu veille sur nous. Nous ne devons jamais cesser de croire. Nous ne devons jamais avoir peur. Peu importe notre chute, il n'y a pas de barrière entre nous et Dieu.

Ima, mon cœur est plein. Ta voix me manque. Ta place à la table de Chabbat t’attend. Nous avons soif de tes bénédictions.

Je te remercie, Ima, d’avoir tracé le chemin. Nous allons tenter de garder ta lumière et de continuer ta mission.

Et s'il te plaît, ima, prie pour nous dans les cieux. Parce que nous sommes tous tes enfants.

La Rabbanith au Madison Square Gardens

La Rabbanith en 1973

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