Société

La mort de Phillip Seymour Hoffman

06/02/2014 | par Aish.fr

La dépendance est une maladie redoutable. Et je suis malheureusement bien placée pour le savoir...

Lorsque j’ai lu que Phillip Seymour Hoffman, un acteur qui avait remporté un jour un Oscar, était mort d’une overdose de drogue, j’en ai eu le souffle coupé, comme si l’on m’avait donné un coup de poing dans le ventre. 

Je n’ai jamais rencontré M. Hoffman, et mis à part qu’il était un acteur très talentueux, je ne sais rien de plus. Mais lorsque j’ai compris que la toxicomanie lui avait fait perdre la vie, j’ai tout de suite pensé : ça aurait pu m’arriver à moi.

Vous ne le devinerez pas en me regardant, avec mes longues jupes, ma tête enveloppée d’un foulard et la petite troupe d’enfants au fond de mon break, mais je suis une accro. Je crois que je le suis depuis ma naissance, et je le resterai jusqu’au jour de ma mort. Bien qu’étant clean, sobre et « abstinente » (je reprends les termes du programme auquel j’appartiens) depuis presque dix ans, je ne suis pas guérie de la maladie de l’addiction. J’ai simplement un sursis, un jour à chaque fois.

Nombreux sont ceux qui, y compris des membres des établissements médicaux, ne seraient pas d’accord de qualifier, comme moi, l’addiction comme une « maladie. » Pour ceux qui ne sont pas touchés, ceux qui peuvent laisser un demi-verre de vin sur la table sans y toucher, il peut sembler que n’est qu’une question de volonté : si quelqu’un a un problème de drogues, il n’a qu’à s’abstenir. A plus B égal C.

Mais moi qui suis remontée péniblement des profondeurs, je peux vous assurer que l’addiction, ce n’est pas une question de volonté. Lorsqu’on en vient à cela, à boire, à fumer, ou à prendre une dose de drogue, on n’a pas le choix. Je peux peut-être m’agripper pendant quelques jours sans eux, en restant effrayée et faible, mais sans l’aide d’une structure de soutien, je retournerai toujours à l’usage de ces substances. Encore. Et encore. Jusqu’à ce que cela me tue.

Permettez-moi d’illustrer par un exemple.

Ma drogue préférée, c’est la nourriture. Du plus loin que je m’en souvienne, je mangeais différemment de tout le monde. Je mangeais des quantités copieuses. Je dénichais de la nourriture dans les boîtes jetées à la poubelle. Je volais à d’autres personnes. Je m’approchais de l’objet convoité, je le subtilisais et le cachais. Je volais de l’argent pour en acheter. Bien entendu, j’étais obèse dès l’âge de dix ans. Je ne voulais pas être grosse, et les moqueries de mes camarades de classe me déchiraient le cœur. Je décidais, à plusieurs reprises, de perdre du poids. Je tentais presque chaque régime possible. Et pourtant, je n’arrivais pas à me distancer de la nourriture. Je ne savais pas comment gérer les myriades de sentiments que j’éprouvais, la douleur, l’anxiété ; je n’avais aucun outil pour m’en sortir dans la vie. Au bout du compte, je trouvais une boîte de glace dans le congélateur ou je commençais à mettre des billets dans le distributeur automatique, désespérée de trouver quelque chose pour masquer ma douleur. Avec la première bouchée, j’avais une bouffée de soulagement alors que mes sentiments disparaissaient. Dès l’âge de 16 ans, je pesais 113 kilos. 

Souhaitant désespérément réduire l’énorme hausse de poids, je commençais à purger. J’avais l’impression « d’avoir le contrôle », bien que je fusse incapable d’arrêter de manger tout ce qui s’offrait à ma vue. Mais une nuit, pendant une purge, la nourriture se coinça bien au fond de la gorge et je commençais à étouffer. Je ne pouvais pas respirer, je ne pouvais pas même émettre un son. Pendant un très long moment, j’étais sûre que j’allais mourir. 

S’il te plait, Dieu, priais-je en silence. Ne me laisse pas mourir comme ça. Je promets de ne plus jamais faire ça.

Miraculeusement, la nourriture se décoinça. Je pouvais à nouveau respirer.

Cinq minutes plus tard, je descendais pour chercher de la nourriture.

J’allais à l’université, où pour la première fois de ma vie, je jouissais de la liberté : personne ne me demandait ce que je mangeais, buvais ou fumais. J’allais vivre en Europe pendant une période, une expérience qu’on ne fait qu’une fois dans la vie. Je voulais en profiter au maximum. En réalité, je passais le plus clair de mon temps à chercher des épiceries et des restaurants, je buvais ou je m’adonnais aux drogues. Une nuit, à Paris (où j’avais rêvé de me rendre depuis des années), un groupe d’amis m’invita à aller danser avec eux. Je choisis plutôt de regagner ma chambre d’hôtel et de commander un service en chambre. La crainte de me retrouver seule dans un endroit où je n’avais jamais été était trop intense. Tout en moi voulait s’emparer de ce moment unique dans la vie, mais il fila dans le brouillard.  

Ensuite, je réalisais un rêve de toujours : je travaillais dans deux des meilleures sociétés de production de films au monde. Je voulais m’y faire un nom, monter les échelons, obtenir le succès que je savais qu’il était en mon pouvoir d’obtenir si j’y mettais tout mon être. Toutes les opportunités s’offraient à moi. Mais au bout de quelques mois, je me déclarais malade chaque jour pour pouvoir rester à la maison et prendre une cuite. Je mangeais jusqu’à me rendre malade, résolue à ne plus recommencer, puis je sortais, parfois seulement quelques minutes plus tard, pour acheter encore de la nourriture.

Je me douchais à peine, et restais presque tout le temps en pyjama. J’étais obèse, seule, isolée, honteuse. Tout ce que je touchais finissait par devenir hors de contrôle. Si je dépensais de l’argent, c’était de suite des milliers. Si je buvais, c’était neuf verres de vin en 20 minutes. Je me levais et pleurais de m’être réveillée, épuisée à l’idée d’avoir à lutter encore un jour. Je savais, quelque part, que j’étais la source du problème, mais je n’arrivais pas plus à me contrôler moi-même qu’un tsunami. Je voulais désespérément sauver ma vie, être un être humain fonctionnel. Je voulais désespérément arrêter. Mais je n’avais pas le choix.

J’espérais désespérément pouvoir trouver une pilule magique qui me donnerait le pouvoir de me contrôler. Je consultais des experts en médecine, je supposais qu’ils trouveraient la racine du problème. La médecine moderne a anéanti des maladies mortelles ; elle devait bien avoir une solution à mon problème.

« Comment faire », demandais-je un jour à un médecin appartenant à un centre d’amincissement mondialement connu, « s’il y a un gâteau au chocolat dans la cuisine en bas, qui m’attire, et tout simplement, je ne peux pas ne pas le manger ? »

Elle me lança un regard vide. « Ne le mange pas, c’est tout. »

Elle aurait tout aussi bien pu me dire de ne pas respirer.

Une fois, alors que je vivais en Europe, je rencontrais un homme appelé Nate. Il était étudiant à l’université, comme moi, il était beau et très intelligent. Il était aussi alcoolique. Presque chaque soir, il était ivre au café du coin, déblatérant des bêtises aux personnes autour, ses yeux vitreux et mélancoliques.

Un soir, Nate tituba vers moi, me regarda droit dans les yeux et me dit : « Je te connais. »

Je tournais la chose en plaisanterie. « Je te connais aussi, Nate… »

Mais je savais que ce n’est pas ce qu’il voulait me dire. Il avait décelé en moi la même bête qui le tourmentait. Je regardais ses yeux tristes et je fus transie jusqu’aux os : j’avais l’impression de me voir.

C’est exactement ce que j’ai ressenti, lorsque j’ai vu le visage de Phillip Seymour Hoffman à côté du titre annonçant sa mort. D’après la presse, il avait été clean et sobre pendant 23 ans avant de rechuter. Il vécut pendant 23 ans sans boire ni toucher à la drogue, il devint alors l’un des acteurs les plus célèbres et respectés au monde. Il avait une compagne et trois enfants, et une carrière réussie. Il avait tous les avantages pour pouvoir lutter. Mais il n’a pas réussi.  

J’ai eu la chance de trouver la guérison il y a dix ans grâce à un « programme en douze étapes », qui a littéralement sauvé ma vie. J’ai développé une structure de soutien qui m’a aidé à traverser certaines des transitions de la vie les plus intenses : le mariage, la naissance de mes enfants et la mort, sans avoir besoin de manger de manière compulsive ou de prendre de la drogue. Mais la mort de Hoffman me rappelle que je peux retourner exactement d’où je viens. Ce ne fut jamais la nourriture ou la drogue qui furent mon problème ; le problème, c’est moi. Une fois que j’en ai fini avec la drogue, je dois encore combattre une maladie qui peut me tuer, chaque jour, jusqu’à la fin de mes jours.

La guérison, c’est être présente totalement pour chaque expérience unique de la vie, de la plus sublime à la plus éprouvante, sans avoir rien pour me calmer. (Comme une bonne amie m’a confié : « Je suis une femme sans drogue »). Et je peux vous le dire, la vie dans ces conditions est drôlement difficile. Non seulement, en période de redressement, il faut affronter les défis quotidiens de l’existence, mais nous le faisons avec une main sur la cage qui retient nos démons. Même lorsque la compulsion d’avoir recours à telle substance passe, il y a toujours cette impulsion - lorsque nous sommes malmenés par la vie, et même lorsque tout va bien - de recommencer. Si je ne suis pas vigilante, je vais vraiment oublier. Je vais oublier le désespoir, la peur et l’horreur, et je réussirai à me convaincre qu’il n’y a pas de problème à en prendre une fois. Une seule fois.  

L’un des aspects les plus douloureux de ma maladie, c’est l’isolement que je ressentais en tant qu’accro dans un monde qui ne comprend pas l’addiction, qui nous considère comme des personnes faibles qui font des choix minables. Je ne suis pas corrompue moralement, ni fainéante, je ne manque pas non plus de volonté. Je suis imparfaite, c’est clair, mais je suis tout aussi brave et ambitieuse que tout le monde. Je suis une épouse, une mère, et l’écriture est mon métier. Je suis capable, honnête et travailleuse. Si, que Dieu préserve, je choisissais de revenir à mon addiction, ce n’est pas parce que je suis mauvaise, mais bien parce que je suis malade.

L’addiction n’est pas discriminatoire ; elle touche des gens de tout âge, race, couleur et religion. Et comme nous le voyons avec M. Hoffman, elle ne fait pas de quartier. Si nous voulons aider ceux qui luttent pour surmonter l’accoutumance - et nous sommes nombreux dans le monde juif - notre perspective sur l’addiction doit changer. Lorsque nous entendons que quelqu’un lutte contre le cancer, que Dieu préserve, la communauté se mobilise pour offrir son aide, son soutien, ses encouragements et offre des congélateurs remplis de repas. Lorsque nous entendons que la fille d’untel vient d’aller en centre de réhabilitation, dans ce cas, ce sont des chuchotements, des spéculations pour savoir qui est à blâmer, et on évite de regarder ses parents dans les yeux lorsqu’on les croise à la synagogue. Mais l’addiction est une maladie aussi grave et mortelle que les autres. Et, surtout, le plus important : ce n’est la faute de personne.

Je n’accuse pas Phillip Seymour Hoffman de sa mort. Comme moi, il a dû combattre une maladie incurable pendant toute sa vie. Je peux uniquement espérer que d’autres dans notre cas trouveront l’aide dont ils ont besoin, et qu’ils rencontrent des gens qui les comprennent et éprouvent de la compassion pour eux, pour avoir une chance de se rétablir.

Pour plus d'information sur la dépendance, rendez-vous sur:

http://francais.oa.org/
http://www.aa.org/lang/fr/subpage.cfm?page=1
http://www.inserm.fr/thematiques/neurosciences-sciences-cognitives-neurologie-psychiatrie/dossiers-d-information/alcool-et-sante-bilan-et-perspectives

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