Société

Le "selfie" élu mot de l'année 2013

19/12/2013 | par rabbin Benjamin Blech

2013 restera dans les annales comme l'année du "selfie" cet autoportrait pris avec un smartphone à bout de bras. Simple effet de mode ou symptôme du narcissisme de notre génération?

C'est officiel. Le prestigieux dictionnaire britannique Oxford vient d'annoncer qu'il a sacré le néologisme selfie "Mot de l'Année 2013" !

Ce titre vient couronner le nouveau mot  – ou expression – le plus usité pendant l'année écoulée. Judy Pearsall, directrice éditoriale des Dictionnaires Oxford, a commenté ce choix : "Nous avons utilisé le programme de recherche linguistique des éditions Oxford, qui collecte chaque moi près de 150 millions de mots anglais parmi les plus employés. La présence du mot selfie a connu une hausse exponentielle en 2013. Sa fréquence d'utilisation dans le monde anglophone a augmenté de 17 000% lors de ces douze derniers mois".

Mais le phénomène ne se limite pas à une mode lexicale. Le terme selfie désigne ce qui est devenu une véritable obsession dans le monde entier !

Au cas où vous ne le sauriez pas, un selfie est un autoportrait pris à l'aide d'un smartphone tenu à bout de bras et posté ensuite sur les réseaux sociaux. Plus de 53 millions de ces auto-clichés ont été postés sur le site dédié Instagram avec le tag #selfie, ils occupent une partie de plus en plus importante du contenu d'Internet, et 93% des ados annoncent fièrement qu'ils en font beaucoup. Les téléphones portables sont même désormais équipés de cellules photographiques spécialement adaptées à la longueur du bras. Et le message est toujours le même: moi, moi, moi.

Facebook et Twitter sont devenus les grands manitous du narcissisme. Ces réseaux ne servent plus du tout au partage d'idées ; ils nous permettent tout simplement d'afficher notre image. A l'image de l'égocentrique qui s'obstine à changer une ampoule pour s'attirer l'attention du monde entier, les adorateurs de selfies donnent une nouvelle nuance au mot "égotisme" : ils ignorent totalement ce qui se passe autour d'eux, si ce n'est pour être le faire-valoir de leur propre personne.

Le passé récent nous en a offert de singuliers exemples. Lisez plutôt (âmes sensibles s'abstenir) :

Parmi les dizaines de spectateurs qui observaient avec horreur un homme suicidaire prêt à sauter du pont de Brooklyn, une jeune fille tourna le dos à la scène, orienta son téléphone en direction du pont, et prit un cliché qui devait tout d'abord présenter son profil de façon primordiale, même si cela masquait presque entièrement le pénible spectacle qui se déroulait au second plan. Pour compléter le tableau, la jolie blonde à l'écharpe se fendit d'un sourire mutin, histoire d'offrir au monde le meilleur d'elle-même.

Il est désormais courant que des visiteurs du camp d'extermination d'Auschwitz, en pleine visite du site qui est censé rappeler le crime inégalé du XXe siècle, s'auto-photographient en faisant des grimaces d'horreur, donnant ainsi priorité à leur présence dans le camp au détriment d'une prise de conscience du Mal absolu qui y sévit.

Le selfie le plus célèbre de l'année dernière a été décroché par une lycéenne de Floride qui a posté sur un site web un auto-cliché sur lequel on voyait en arrière-plan son professeur en plein cours. Il est talonné par les selfies de jeunes terriblement ignorants de l'inadaptation de leur égocentrisme, puisque les autoportraits ont été photographiés… pendant des enterrements ! "J'adore ma coiffure aujourd'hui. Mais je déteste mes fringues !" Voila le Twitt qu'une adolescente a intitulé #Enterrement, et qu'elle a illustré d'une photo d'elle au premier plan, avec en arrière-plan… la dépouille de sa grand-mère dans son cercueil ouvert.

Mais le selfie le plus déplacé, en raison de l'identité de ses auteurs, est sans conteste celui qui vient de faire le tour de la planète ; y figurent un trio de personnalités politiques, parmi les plus importantes au monde, lesquelles assistent aux funérailles de l'ancien président sud-africain Nelson Mandela. En effet, le Président des États-Unis d'Amerique Barack Obama, le Premier ministre britannique David Cameron et le Premier ministre danois Helle Thorning-Schmidt, ont laissé libre cours à une joyeuse séance de selfies, au beau milieu d'une cérémonie solennelle destinée à saluer les réalisations de l'homme qui a pacifiquement mis fin à l'apartheid.

Dans la foulée de cet "évènement", le fondateur du site "Selfies à des funérailles" a annoncé que son site n'avais plus de raison d'être : "Obama lui-même a pris un selfie lors des funérailles, de sorte que notre mission est accomplie." Quand la réalité rattrape la parodie, il n'y a plus de place pour la satire.

Quand la réalité rattrape la parodie, il n'ya plus de place pour la satire.

Il y a déjà fort longtemps de cela, le judaïsme a posé que la menace la plus définitive au service de Dieu était l'idolâtrie de l'ego. Le premier des 10 Commandements commence par le verset : "Je suis le Seigneur ton Dieu, qui vous a fait sortir du pays d'Egypte, d'une maison d'esclavage". Le premier mot est donc le mot "Je", et il réfère au Tout-Puissant. Nous sommes ainsi invités à remplacer l'obsession égotiste que nous nous portons par la prise de conscience qu'un pouvoir supérieur à nos chères petites personnes contrôle le monde. Philosophiquement parlant, nous sommes au cœur d'un véritable "enjeu du Je", le Je de l'Eternel contre le Je de l'homme ; il s'agit pour nous de substituer la suprématie du Créateur au sentiment de notre propre prééminence.

Mon père, de mémoire bénie, m'a enseigné une compréhension profonde de la prière que les Juifs pratiquants récitent dès leur réveil chaque jour. En hébreu, nous récitons les mots "Modeh ani". C'est une prière de reconnaissance pour le retour de notre âme dans notre corps après notre sommeil, une bénédiction de gratitude pour le premier des dons de Dieu que nous recevrons ensuite tout au long de notre journée. En français, la phrase liminaire se traduit par "Je rends grâce". Quand j'étais assez grand pour comprendre l'hébreu, j'ai demandé à mon père pourquoi cette première phrase semblait être écrite d'une manière grammaticalement incorrecte ; en effet, le mot modeh signifie "remercie", et le mot ani est le pronom "je". Je lui demandais si nous ne devions pas plutôt lire "ani modeh", c'est-à-dire utiliser la tournure classique "je remercie"?

Mon me père répondit très clairement "non". Il m'expliqua qu'il était impensable que le premier mot que l'on prononce chaque matin soit le mot "Je" – ani. Et cela parce qu'un Juif ne peut pas penser avant tout à lui-même. Il doit prononcer chaque matin le mot remercie en premier et montrer ainsi que la gratitude est plus importante que notre ego. Que tout ce que nous avons vient de Dieu. C'est de cela qu'il faut nous souvenir chaque jour de notre vie. Retournons l’objectif de notre appareil photo du bon côté et servons l'Eternel, au lieu de nous adorer nous-mêmes.

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