Société

Les Revenants de l'Inquisition

02/05/2011 | par Michael Freund


La reine Isabelle la Catholique doit se retourner dans sa tombe. Cinq siècles après que cette souveraine despotique ait décidé d'effacer tout vestige de vie juive dans la Péninsule ibérique, un nombre grandissant de descendants de ses victimes commencent à sortir de l'ombre et à revendiquer l'héritage dont ils avaient été dépossédés.


 

C'est le cas de Nuria Guasch Vidal, dont les ancêtres avaient été convertis de force au catholicisme en Espagne. Au péril de leur vie, ses aïeux avaient réussi secrètement à préserver une identité juive, qu'ils n'avaient cessé de chérir clandestinement, et qu'ils avaient transmise de génération en génération, au mépris de l'Inquisition et de ses sbires. Nuria, qui avait passé son enfance aux alentours de Barcelone, n'avait jamais vraiment compris pourquoi sa famille ne fêtait pas Noël, n'allait pas à l'église comme les voisins, et faisait tous les vendredis soirs un repas de fête qui commençait par du pain trempé dans le sel.

Ce n'est que lorsque son grand-père âgé de 88 ans, sur son lit de mort , l'eut prise à part que Nuria commença à apprendre la vérité sur sa famille et sur son passé

Ce n'est que lorsque son grand-père âgé de 88 ans, sur son lit de mort , l'eut prise à part que Nuria commença à apprendre la vérité sur sa famille et sur son passé. Après lui avoir fermement interdit de laisser entrer un curé dans sa chambre, lorsqu'il serait mort, le grand-père de Nuria lui dit de manière assez énigmatique : "Je voudrais que tu réfléchisses par toi-même à ton héritage. Alors, tu trouveras toutes les réponses aux questions que tu te poses. Tu dois reprendre le flambeau." Ces paroles influencèrent de manière décisive la vie de Nuria et la poussèrent à entreprendre une enquête à la recherche d'elle-même. Les réponses qu'elle obtint des autres membres de sa famille ne laissèrent pas subsister le moindre doute: ses ancêtres étaient juifs. Et s'ils n'avaient pas été persécutés par l'Inquisition, ils le seraient restés.

Comment imaginer le traumatisme et la souffrance qu'ils avaient dû subir, vivant extérieurement comme des Catholiques mais secrètement comme des Juifs, environnés d’hostilité, d'inimitié et de haine non dissimulée. Nous connaissons, d'après les archives de l'Inquisition, l'ensemble des mesures qui étaient prévues pour traquer et écraser ce qui pouvait rester de juif en Espagne. La torture, la délation et les exécutions publiques étaient de pratique courante dans cette politique de terreur qui frappait quiconque étant suspect de "retomber" dans le judaïsme. D'après l'historien Cecil Roth, plus de 30 000 prétendus "judaïsants" furent mis à mort par les zélateurs de l'Inquisition en Espagne et au Portugal, la plupart brûlés vifs sur le bûcher, devant des foules de spectateurs enthousiastes, tandis que des centaines de milliers d'autres étaient jugés et condamnés par ses tribunaux pour poursuite de pratiques juives. On sait moins que l'Inquisition continua à sévir pendant plusieurs siècles, traquant des "Juifs cachés" aussi loin qu'en Angola et en Amérique du Sud. Ce n'est qu'au 19ème siècle que les persécutions cessèrent officiellement. "Depuis les premiers temps de l'Histoire," écrit Cecil Roth dans son ouvrage de référence Histoire des Marranes,

"Il n'y eut probablement jamais un autre endroit au monde où une persécution aussi systématique et aussi longue ait été perpétrée au nom d'une cause aussi innocente"

"il n'y eut probablement jamais un autre endroit au monde où une persécution aussi systématique et aussi longue ait été perpétrée au nom d'une cause aussi innocente". La triste et tragique histoire des ancêtres de Nuria a cependant trouvé, très récemment, un heureux épilogue. Elle et son mari Edward se sont convertis à Jérusalem, devant un tribunal rabbinique qui les a accueillis et réintégrés officiellement au sein du peuple d'Israël. Ce qu'au XVème siècle, les souverains espagnols Ferdinand et Isabelle avaient tenté de détruire au moyen de l'Inquisition et de l'expulsion, Nuria était bien déterminée  à le faire revivre. Son retour au Judaïsme marquait l'aboutissement d'une quête spirituelle qui les avait conduits, elle et son mari, à étudier avec un rabbin orthodoxe de Barcelone qui les avait accueillis à bras ouverts et entourés de chaleur et de compréhension. Petit à petit, ils avaient fait du Judaïsme le centre de leur vie, adoptant les rites et le style de vie des Juifs traditionnels. Ils allaient maintenant régulièrement à la synagogue, observaient le Chabbath et la cacherout. Nuria avait même créé un groupe de militants qui s'étaient donné pour but la tâche ingrate de défendre Israël auprès des médias locaux espagnols dans lesquels l'Etat juif faisait l'objet de critiques fréquentes et féroces.

Après que le tribunal rabbinique les eut convertis, Nuria décida de devenir "Nurit", et Edward prit, fort à propos, le nom d'"Itzhak", en souvenir du patriarche qui, sur le point d'être sacrifié sur l'autel ne dut son salut, in extremis, qu'à l'intervention divine. Lorsque je vis Nurit le lendemain, elle se trouvait au Kotel (le Mur occidental) , et ses yeux étaient pleins de larmes. Elle me raconta que la première chose qu'elle avait faite en s'approchant de cet antique vestige du Temple, ç'avait été d'en caresser les pierres. Puis, levant les yeux vers les cieux, elle s'était écriée :

"Ça y est, je l'ai fait, grand-père! Je sui revenue."

"Ça y est, je l'ai fait, grand-père ! Je suis revenue, je suis juive !" En entendant cette histoire, je fus gagné par l'émotion. Comment pouvait-on mieux témoigner de la puissance de l'âme juive, de cette résistance qui perdure chez le plus simple des Juifs, de la petite étincelle juive qu'on n'est jamais parvenu à éteindre ? En Espagne et dans le monde hispanique en général, il y a des milliers, peut-être davantage, d'individus qui portent en eux cette étincelle et qui voudraient revenir au sein de leur peuple, retrouver la foi et les coutumes dont ils ont été si cruellement coupés depuis des siècles.

Le Peuple Juif doit reconnaître la douleur et les souffrances que ces hommes et leurs ancêtres ont enduré

Le Peuple Juif doit reconnaître la douleur et les souffrances que ces hommes et leurs ancêtres ont enduré, et doit les aider à revenir vers leurs sources. Les descendants des "anoussim" (mot hébreu signifiant "ceux qui ont été forcés") sont confrontés à de graves problèmes concernant leur identité, leur histoire, leur foi. Ils ne devraient pas se retrouver seuls face à ces problèmes. Il existe déjà un certain nombre d'aides concrètes qui pourraient leur être apportées, telles que la publication, en espagnol, d'un plus grand nombre d'ouvrages portant sur des sujets juifs, l'ouverture de petites bibliothèques facilement accessibles dans toute l'Espagne, et une prise de conscience plus aigüe de leur existence auprès des rabbins et des chefs de communautés pour faciliter leur réintégration au sein de la communauté juive Israël devrait également envisager la construction d'un monument aux victimes de l'Inquisition, et insister pour que le gouvernement espagnol fasse de même. Ceci serait une démarche hautement symbolique, mais importante pour enseigner aux générations futures ce drame que fut l'Inquisition, et aussi pour accorder à ses victimes une reconnaissance justement méritée. En un temps où de nombreux jeunes Juifs quittent le bercail, ce serait une chance pour Israël de retrouver d'innombrables frères perdus depuis longtemps. Un nombre croissant d' "Anoussim", venant d'Espagne, du Brésil et d'Amérique du Sud, commence à sortir de l'ombre. Il est temps que nous les encouragions à revenir chez eux.

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