Société

L'interdiction de la circoncision: Là où le bât blesse...

06/10/2013 | par Nathan Lopes Cardozo

La résolution anti-circoncision adoptée par le Conseil de l’Europe repose sur un grave malentendu sur la nature humaine et le sens de la vie.

Coup de tonnerre en Europe après l’adoption par le Conseil de l’Europe mardi 2 octobre d’une résolution anti-circoncision.

Décriée comme une « violation de l’intégrité physique des enfants », cette résolution appelle les gouvernements à « lancer un débat public, y compris le dialogue interculturel et interreligieux pour parvenir à un large consensus sur les droits des enfants à la protection contre les atteintes à leur intégrité physique selon les normes des droits de l’homme» et à « adopter des dispositions juridiques spécifiques pour veiller à ce que certaines opérations et les pratiques ne soient pas effectuées avant que l’enfant ne soit assez vieux pour être consulté. »

Alors que le débat autour de la circoncision prend de l’ampleur et que de plus en plus de personnalités, y compris des médecins et des philosophes en Europe, publient leur opinion, il est temps d'introduire un certain équilibre dans le débat. Cette démarche est de la plus haute importance, étant donné qu’une interdiction de la circoncision est non seulement profondément blessante pour les Juifs et les musulmans, mais repose également sur un raisonnement erroné et sur un profond malentendu de la nature humaine, ce qui émeut l’homme et qui confère un sens à son existence.

Être réellement vivant n’est possible que si l’on vit pour un objectif suprême. La question suprême est de savoir s’il existe une chose pour laquelle il vaut la peine de mourir. Si la réponse est négative, nous devons alors nous interroger s’il existe une chose pour laquelle il vaut la peine de vivre. Pour la plupart des hommes de pensée, la vie représente davantage qu’une simple survie physique ou le fait de passer du bon temps. Il est question de l’exaltation de l’existence, et l’aptitude à entendre un murmure perpétuel émis par les vagues, au-delà du rivage de l’attachement aux biens de ce monde, qui nous donne le sentiment que la vie a une importance capitale. Sans cela, nous pourrions tomber d’accord avec le philosophe et auteur de nouvelles, Albert Camus, qui a soutenu que le seul problème philosophique sérieux était de savoir s’il fallait ou non se suicider.

Certaines valeurs dépassent nos préoccupations matérielles et nombreux sont ceux qui, parmi nous, sont prêts à effectuer des sacrifices très pénibles et même douloureux. Ce sont ces sacrifices qui donnent un sens à notre vie, le sentiment de faire partie d’une entité bien plus élevée que la somme des composants qui forment notre existence matérielle.

Quel droit avons-nous de mettre un enfant au monde sans lui confier une mission suprême ?

La question se pose : qu’est-ce qui nous donne le droit d’introduire un enfant dans une alliance religieuse sans son accord ? Comment pouvons-nous engager un enfant dans une mission de toute une vie qu’il ne souhaite peut-être pas accomplir ? Ce sont là des questions légitimes. Mais à la réflexion, ne devrions-nous pas poser une question différente, que nous sommes nombreux à ne pas vouloir affronter ? Quel droit avons-nous d’amener un enfant au monde sans lui confier une mission suprême?

Y a-t-il quelque chose de plus cruel que de donner naissance à un enfant et de ne pas lui faire savoir pourquoi il vit ? Quel droit avons-nous de lâcher un enfant dans cette jungle tumultueuse, le remplissant d’anxiétés et d’incertitudes, sans lui donner aucun indice quant à son but suprême? Tandis que Socrate explique que la vie sans pensée ne vaut pas la peine de vivre, le judaïsme nous enseigne que la vie sans engagement n’est pas du tout une vie. La dignité de l’homme est en commune mesure avec ses obligations. Tous les êtres humains, Juifs et non-juifs confondus, doivent pousser leurs enfants à s’engager de tout cœur dans une mission pleine de sens, dépassant la simple banalité, et située au-delà de la simple recherche de plaisir

Priver nos enfants de cette opportunité revient à leur retirer une vraie joie, ainsi que la capacité à relever des défis majeurs et l’occasion de mener une existence possédant une dimension de hauteur et de vérité. La joie est « le passage d’une perfection moindre à une plus grande perfection », a dit Spinoza.

Mais ce n’est seulement à travers les difficultés et la douleur que l’on peut accéder à une telle perfection.

De toute évidence, l’enfant aura toujours l’occasion de rejeter la mission choisie pour lui par ses parents et de la remplacer par une autre vocation. Toutefois, le fait même que ses parents lui aient fait prendre conscience que sans mission, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue est d’une importance inestimable.

Lorsque nous nous opposons à la circoncision en invoquant une mutilation de l’enfant (une explication tout à fait disproportionnée lorsqu’on sait que la petite incision, qui guérit en quelques heures, prend quelques secondes et n’a aucune conséquence grave), ou renier le droit de l’autonomie de l’enfant sur son corps, il semblerait que notre argument soit valable. En effet, à quel titre sommes-nous autorisés, nous les parents, à ce faire ? Mais, de même, ne devrions-nous pas nous interroger, avec honnêteté, sur le droit même de mettre un enfant au monde ? N’est-ce pas là une plus grande injustice que la circoncision ? Sans aucun doute, en dépit du savoir médical avancé d’aujourd’hui, de nombreux enfants naissent tragiquement avec toutes sortes de malformations ou de maladies, souvent infirmes et handicapés pour la vie. D’autres souffriront à d’autres stades de la vie, contractant des maladies, subissant la violence et devenant des victimes de guerre et d’autres atrocités.

A-t-on déjà vu un parent demander à son futur enfant son accord avant de venir au monde ? Ou peut-être devrions-nous en effet condamner toute grossesse et naissance à l’avenir, comme certains le veulent à présent pour la circoncision ? Inconsciemment, nous savons tous que nous avons le droit de mettre un enfant au monde, car la vie possède quelque chose qui balaie toutes les objections soulevées contre elle. Si nous ne croyions pas à ce principe, il serait tout à fait interdit de risquer de mettre un enfant au monde, sachant comme nous le savons à quel point il risque de rencontrer des souffrances et de la douleur.

« Vivre est comme aimer : toute raison est contre, et tout instinct robuste est pour », disait avec humour Samuel Butler. Ce n'est que si nous comprenons que la vie possède une valeur inestimable - et n'est pas une simple question de survie matérielle – que nous pouvons mener une existence d'une importante teneur spirituelle . L’une des plus grandes tragédies des temps modernes tient à ce que des millions de personnes vivent et meurent sans n’avoir jamais été conscientes du sens suprême de leur existence.

Ce sujet est étroitement lié à la question des droits et des devoirs.

La société occidentale est orientée sur les droits et la morale laïque est profondément ancrée dans ce principe. Le judaïsme et, dans une certaine mesure, d’autres confessions religieuses sont orientées sur les devoirs. C’est une distinction essentielle qui recoupe de nombreux sujets. Le judaïsme ne croit pas que les hommes possèdent leur propre corps et qu’ils sont par conséquent libres d’en disposer à leur guise.

Le judaïsme et la plupart des religions monothéistes pensent que le corps humain est un prêt accordé par D.ieu qui en en le Propriétaire ultime. Les parents, par conséquent, ont la responsabilité de donner à leurs enfants un but à leur existence, qui doit refléter la notion d’obligation. Pour la même raison, ce n’est pas un droit humain de mettre des enfants au monde, mais un devoir religieux.

Si cela est considéré purement comme un droit, que se passe-t-il si les droits des parents entrent en conflit avec ceux de l’enfant ? Lorsque des parents avortent d’un fœtus en bonne santé, car ils en ont le droit, ne violent-ils pas le droit de l’enfant à naître ? Le rite de la circoncision est la manière juive de transmettre le sens de la vie à leurs enfants en les obligeant à accomplir l’alliance passée par le peuple juif avec D.ieu, il y a des milliers d’années. Nous parlons de devoir, et il n’y a pas de progrès possible si ce n’est dans l’accomplissement de ses devoirs.

Pour les Juifs, la circoncision - la promesse de mener une existence guidée par une mission élevée - est le sceau de D.ieu imprimé sur la chair humaine.

Pour les Juifs, la circoncision - la promesse de mener une existence guidée par une mission élevée - est le sceau de D.ieu imprimé sur la chair humaine. Et il convient tout à fait que ce signe d’allégeance soit imposé sur le corps, car après tout, ce n'est pas à l’âme de prendre cet engagement. L’âme est dédiée à son Créateur. C’est le corps - l’instrument même par lequel l’homme porte son âme, son compagnon constant qui lui permet de vivre une existence de noblesse - qui fait le vœu de se soumettre au service divin.

À l’instar d’un morceau de papier qui porte le pouvoir d’achat d’un certain montant d’euros, le corps sert de récipient contenant l’âme. Tout comme les écritures symboliques sur le billet nous informent de la valeur qui lui est assignée par le ministère des Finances, ainsi le « signe » que les parents inscrivent sur le corps de leurs enfants révèle la grandeur de l’âme qu’ils abritent.

Étant donné que le judaïsme croit fermement à l’acte et au matériel - et non seulement à la foi et la spiritualité - l’acte passager du baptême d’eau est insuffisant. Le judaïsme veut que le corps soit transformé. Et si le corps manque de répondre à l’attente de ses responsabilités suprêmes, l’empreinte physique de la circoncision sert de rappel constant du sens d’une vie marquée par la présence de D.ieu ; c’est un témoignage de ses obligations spirituelles et de son potentiel.

L’argument d’une douleur passagère et d’une interférence avec la détermination propre de l’enfant est totalement disproportionné en regard de sa valeur spirituelle infinie. On rappelle à l’enfant, depuis le tout début de son existence, aussi bien sur le plan physique que symbolique, que mener une vie avec un sens élevé requiert un sacrifice.

Ce qui est très surprenant, aussi bien que très révélateur, c’est la pérennité de la circoncision parmi ces Juifs pour lesquels la tradition ne joue désormais plus un rôle principal. Ils se sont défaits du Chabbat, des lois de la cacherout, de la prière quotidienne, etc., mais la circoncision a perduré.

C’est comme s’ils étaient d’accord avec le célèbre détracteur du judaïsme, Baroukh Spinoza, qui a écrit : « Le signe de la circoncision est, selon moi, si important que je pourrais me persuader qu’il pourrait à lui seul préserver le peuple pour toujours. »

Des Juifs rejettent peut-être le judaïsme, mais le fait qu’ils soient circoncis leur rappelle constamment qu’il existe des valeurs pour lesquelles nous vivons bien au-delà de la banalité. Cela représente beaucoup plus qu’un simple rite religieux.

Une circoncision est un événement qui existe comme un moment du passé, mais se prolonge dans le présent. Du point de vue de l’homme, la circoncision ne se produit qu’une seule fois ; mais du point de vue de D.ieu, le message véhiculé par cet acte - l’engagement inébranlable du peuple juif envers D.ieu - retentit pour l'éternité. Des monuments de pierre peuvent disparaître ; des actes spirituels ne disparaîtront jamais.

Au moment de la circoncision, les parents impriment le sceau de D.ieu sur le corps de leur enfant, l’introduisant ainsi dans l’alliance avec D.ieu. À partir de ce moment-là, l’enfant commence son périple sur la route de l’engagement envers la sainteté qui, encore inconnue de lui, est la mission la plus stimulante et la plus satisfaisante que la vie peut nous offrir - devenir un serviteur de D.ieu et une bénédiction pour toutes les nations.

Elle ne prend que quelques secondes, mais elle crée l’éternité.

Il peut être difficile pour certains de comprendre ce principe, mais le cœur du débat sur la circoncision consiste à déterminer si nous sommes motivés par les droits humains ou par les devoirs moraux de l’homme. Il est encore plus difficile de saisir que la circoncision est le secret du miracle de la survie juive. Ce que les détracteurs de la circoncision ne doivent jamais oublier est que la tentative de proscrire ce rite pourrait non seulement rendre la vie juive quasiment impossible, mais mettrait probablement un terme à toute existence juive et à ses contributions à la civilisation.

Ceci serait tragique, étant donné que ces contributions sont extrêmement disproportionnées par rapport à la population mondiale. L’aptitude remarquable de la nation juive de survivre à tous ses ennemis, depuis les Égyptiens jusqu’aux Grecs, aux Romains, aux Perses… jusqu’aux Nazis, est peut-être bien le résultat de cette petite intervention physique. Elle prend quelques secondes, mais elle crée l’éternité.

Comme Winston Churchill l’a une fois remarqué : « Certains aiment les Juifs et d’autres non ; mais aucun homme réfléchi ne peut remettre en cause le fait, qu’ils sont, sans l’ombre d’un doute, la race la plus imposante et la plus remarquable ayant apparu sur cette terre. »

Cet article est apparu à l’origine sur le site Internet du Rabbin Cardozo: www.cardozoschool.org

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