Société

Saint-Valentin : et l’amour dans tout ça ?

14/02/2017 | par rabbin Benjamin Blech

Ce qui me chiffonne le plus le jour de la Saint Valentin, c'est que le mot "amour" semble avoir perdu sa signification, victime de ce que j’appellerais l’inflation des mots.

Êtes-vous amoureux ?

Des millions de personnes profitent du jour de la Saint Valentin pour faire part de leur profond sentiment d'attachement, en prononçant ces trois mots : "Je t'aime". Cette courte phrase est souvent célébrée comme la plus belle de la langue française.

Il est vrai que l'amour est considéré comme le lien le plus fort qui puisse unir deux individus. Le Zohar lui-même l'élève à un niveau suprême, le comparant au "secret de l'unité divine".

Le mot amour semble avoir perdu sa signification, victime de ce que je qualifierais d'inflation verbale

Ce qui me chiffonne le plus le jour de la St Valentin, c'est que le mot "amour" semble avoir perdu sa signification, car il est victime de ce que je qualifierais d'inflation verbale.

On sait ce qu'est l'inflation en termes monétaires. Si le gouvernement émet trop de devises, cela réduit la valeur de l'argent déjà en circulation. L'inflation verbale est la conséquence de l'utilisation inappropriée d'un terme pour désigner des situations qui ne sont pas en rapport avec son sens profond, et qui déprécie sa signification propre. On peut ainsi repérer un tas de mots de grande valeur qui sombrent dans l'inflation verbale. Ils désignent des objets sans valeur comme un héritage sans prix. Par leur emploi, ils font passer des rebuts pour des bijoux, et des futilités comme d'importants trésors.

Un linguiste anglophone, Stan Carey, a récemment souligné ce phénomène d'inflation du langage qui entraine à terme une dévaluation du sens premier. Aujourd'hui, on dit facilement d'un individu qu'il est brillant, alors qu'il est d'une intelligence commune. Tout film que l'on peut regarder jusqu'à la fin sans quitter la salle est forcément un chef d'œuvre. Quant au premier venu doté d'un tant soit peu de talent, il est salué comme un génie (voir notamment tous les "génies comiques" qui fleurissent à l'envi).

Carey écrit notamment : "On ressent tellement le besoin d'imprégner nos mots de force et de sens que nous usons d'hyperboles pour attirer l'attention de nos interlocuteurs, et que les termes hyperboliques deviennent progressivement la norme".

Un autre linguiste, C.S. Lewis, met sagement en garde contre ce phénomène d'inflation linguistique : "N'utilisons pas de mots trop forts pour qualifier un sujet. N'utilisons pas l'adverbe "infiniment" quand on veut simplement exprimer la notion moindre de "très" ; sinon, nous n'aurons pas de mots disponibles pour qualifier un ressenti réellement fort."

Et bien nous sommes très exactement rendus à ce point : nous n'avons plus de mots pour distinguer entre une chose particulièrement remarquable (le fameux "mortel !") et la dangerosité d'un champignon des bois ("mortel" lui aussi…).

Dans le même esprit, depuis l'avènement de Facebook, personne ne s'étonne plus qu'une personne ait des centaines d'amis. Montaigne, de son temps, pensait qu'une personne qui pouvait s'enorgueillir d'avoir eu un seul véritable ami durant toute son existence devait s'estimer particulièrement chanceuse. Le décalage vient de ce que le mot "ami" – et non pas connaissance, collègue, partenaire commercial, membre du même club, collaborateur ou voisin – était auparavant porteur d'un sens profond qui a été galvaudé par un abus d'utilisation, la fameuse inflation évoquée plus haut. Il est assez tragique qu'aucun autre mot n'ait été trouve pour le replacer à sa juste valeur.

Et l'amour dans tout ça ?

Dans notre monde actuel, le mot "aimer" est devenu tellement courant qu'il sert à décrire notre attirance pour un plat cuisiné, nos préférences en terme de mode vestimentaire, ou notre fascination envers le dernier gadget électronique produit par Apple. L'écrivain américain George Englund a déclaré récemment que le mot "amour" est devenu tellement vide de sens qu'il faudrait le passer par les armes…

Dans la Bible, le mot "amour" est sacré. Il apparait à chaque fois dans un verset présentant un commandement divin.

On nous enjoint d'aimer Dieu. Mais la Thora ne se contente pas de lancer une injonction ; elle liste précisément les détails afférents à cette obligation. "Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces" ; l'amour de Dieu requiert un engagement total. L'amour exige fidélité. L'amour signifie mettre notre propre existence au service de Celui (ou de ceux) que l'on aime.

On nous enjoint d'aimer notre prochain. Jusque-là rien d'exceptionnel. Mais si on lit le verset jusqu'au bout, il est précisé "Aime ton prochain comme toi-même". L'Autre est lui aussi créé à l'image de Dieu, ce qui le rend unique. Lui comme moi-même sommes les enfants de Dieu. Voilà pourquoi, je dois me soucier du bien-être de mon prochain autant que du mien.

L'amour pour Dieu décrit dans la Bible est donc à des années lumière de l'amour qu'un fana de chocolat peut porter aux productions du renommé Godiva… Qu'il est triste de constater qu'aujourd'hui, on "aime" tout et n'importe quoi, n'importe qui, n'importe comment, en omettant complètement la seule véritable raison d'amour.

J'ai lu quelque part que les Esquimaux disposent de 52 mots différents pour qualifier la neige, car elle leur est vitale. Ils ont besoin de chacune de ces nuances descriptives pour distinguer les différentes formes de bénédiction qu'ils reçoivent du Ciel. Quel dommage qu'il n'y ait pas au moins autant de mots pour définir l'amour ; cela permettrait aux amoureux de préciser encore plus finement la profondeur de leur sentiments envers l'autre.

Mais pour l'heure, quoi qu'il en soit, je me permets de faire une modeste proposition en cette veille de St Valentin : quand vous allez prononcer ces trois mots "Je t'aime", faites-le en y mettant l'intention initiale de la Thora, avant que ces mots ne soient galvaudés – avec tout votre cœur, toute votre âme, et tous vos moyens.

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