Réflexions

Alexandre et les Juifs

04/12/2012 | par le Rabbin Ken Spiro

La scène que vous ne verrez dans aucun film à grand spectacle.

Lors de la sortie du film truffé de stars, mettant en scène Colin Farrel, Alexandre le Grand a fait fureur. Dans la pure tradition hollywoodienne, le film se concentre surtout sur la carrière militaire d’Alexandre, ses batailles colossales contre l’Empire perse et sa vie personnelle sordide. Ce qui reste ignoré, ce sont les interactions fascinantes d’Alexandre avec le peuple juif. La relation complexe qui s’est développée entre les Grecs et les Juifs, sert de toile de fond à l’histoire de Hanouka.

UN PEU D’HISTOIRE

Né en 356 avant l’ère commune, Alexandre est le fils de Philippe II (382-336 av.EC), Roi de Macédoine en Grèce du Nord (considéré comme un barbare par les villes-états du Sud de la Grèce). Philippe crée une armée puissante et professionnelle qui unit par la force les villes-états grecques jusque lors fractionnées, en un seul empire.

Dès son plus jeune âge, Alexandre fait preuve d’un talent militaire exceptionnel, il est nommé commandant dans l’armée de son père à l’âge de 18 ans. Ayant conquis toute la Grèce, Philippe veut s’engager dans une campagne d’invasion du pire ennemi de la Grèce, l’Empire perse. Avant de pouvoir envahir la Perse, Philippe est assassiné, probablement par Alexandre, qui devient ensuite roi en -336. Deux ans plus tard, en -334, il franchit l’Hellespont (qui correspond aujourd’hui au détroit des Dardanelles) avec 45.000 hommes et envahit l’Empire perse.

En trois batailles colossales – le Granique, Issos et Gaugamèles – qui se déroulent entre -334 et -331, Alexandre mène brillamment (et souvent impitoyablement) son armée à la victoire contre les perses qui les dépassent probablement en nombre par dix contre un. En -331, l’Empire perse est vaincu, l’empereur Darius mort et Alexandre est le dirigeant incontesté de toute la Méditerranée. Sa campagne militaire a duré 12 ans et conduit Alexandre et son armée à 16.000 km, jusqu’aux rives de l’Indus.

Ce n’est que la fatigue de ses hommes et la mort prématurée d’Alexandre à 32 ans, en -323, qui met un terme à la conquête grecque du monde civilisé. On rapporte que, quand Alexandre contemplait son empire, il pleurait car il n’avait plus rien à conquérir. Son vaste empire ne lui a pas survécu, il a été fragmenté en trois provinces contrôlées par ses généraux : en Grèce, en Egypte et en Turquie.

A son apogée, l’empire d’Alexandre s’étendait de l’Egypte à l’Inde. Dans cet empire, il a construit six villes, toutes nommées Alexandrie (seule l’Alexandrie égyptienne subsiste aujourd’hui). Ces villes et les Grecs qui y habitaient, ont apporté la culture grecque au centre des plus vieilles civilisations de Mésopotamie.

Les Grecs n’étaient pas seulement impérialistes en terme militaire, mais également en terme culturel. Les soldats Grecs et les colonisateurs ont importé leur façon de vivre – leur langue, leur art, leur architecture, leur littérature et leur philosophie – au Moyen Orient. Quand la culture grecque a fusionné avec la culture du moyen Orient, elle a créé une nouvelle culture hybride – l’hellénisme (Hellas signifie Grèce en grec), qui a surpassé par son impact la brève existence de l’empire d’Alexandre. Que ce soit par sa conception de la bataille rangée, de l’art, de l’architecture ou de la philosophie, l’influence de l’hellénisme sur l’Empire romain, la Chrétienté et l’Occident a été monumentale. Mais c’est l’interaction entre les Juifs et les Grecs et l’impact de l’hellénisme sur le Judaïsme que nous aimerions examiner plus en détails.

DETOUR EN ISRAEL

Pendant sa campagne militaire contre la Perse, Alexandre a fait un détour par le sud, conquérant Tyr et l’Egypte, en passant par ce qui est aujourd’hui Israël. On trouve une histoire fascinante en ce qui concerne la première rencontre d’Alexandre avec les Juifs d’Israël, sujets de l’Empire perse.

L’épisode relatant cette rencontre est rapporté par le Talmud (Yoma 69a) et par l’historien Flavius Josèphe dans son Livre des Antiquités (XI, 321-47). Dans ces deux récits, le Grand Prêtre du Temple, craignant qu’Alexandre ne détruise Jérusalem, sort à sa rencontre avant qu’il n’atteigne la ville. L’épisode décrit comment Alexandre descend de son cheval et s’incline à la vue du Grand Prêtre (Alexandre s’inclinait rarement, voire même jamais). Dans le récit de Flavius Josèphe, quand son général Parmerio le questionne, Alexandre explique son geste ainsi : « Je ne me suis pas incliné devant lui, mais devant D.ieu qui l’a honoré de la haute prêtrise ; car cette même personne m’est apparue en rêve dans cette tenue. »

Alexandre interprète la vision du Grand Prêtre comme un signe favorable, il épargne donc Jérusalem, annexant pacifiquement la Terre d’Israël à son empire grandissant. En tribu à sa conquête bénigne, les Sages décrétent que les premiers nés de cette période seront nommés Alexandre – qui demeure un nom juif jusqu’à ce jour. La date de leur rencontre, le 25 Tevet, est aussi déclarée jour de fête mineur.

LES JUIFS ET LES GRECS

Ainsi commence l’une des relations les plus intéressantes et les plus complexes de l’Ancien monde. Les Grecs n’avaient jamais rencontré de peuple comme les Juifs et les Juifs n’avaient jamais rencontré de peuple comme les Grecs. A l’origine, la rencontre semblait prometteuse. Pour les Juifs, les Grecs étaient porteurs d’une culture nouvelle et exotique venant d’Occident. Ils avaient une tradition intellectuelle profonde, ayant produit des philosophes comme Socrate, Platon et Aristote (qui fut le précepteur d’Alexandre pendant deux ans). Leur amour de la sagesse, de la science, de l’art et de l’architecture les distinguait des autres cultures auxquelles les Juifs avaient eu à faire. La langue grecque était si belle que le Talmud l’appelle, en certains endroits, la plus belle des langues et les Sages décrétèrent qu’un séfer Torah pouvait même être écrit en grec.

Les Grecs n’avaient jamais rencontré quiconque ressemblant aux Juifs – le seul peuple monothéiste du monde ayant le concept d’un D.ieu aimant, infini qui se soucie de la Création et agit dans l’Histoire. Les Juifs avaient des traditions incroyablement profondes et complexes sur le plan légal et philosophique. Leur taux d’alphabétisation et leurs infrastructures sociales étaient inégalés dans l’Ancien monde. Les Grecs étaient tellement fascinés par les Juifs qu’ils furent le premier peuple à faire traduire la Bible, quand le Roi Ptolémée II (-250) contraignit 70 Sages (connus sous le nom de Septante) à traduire la Bible en grec.

Deux empires Grecs ont émergé au Moyen Orient après la mort d’Alexandre : les Ptolémées en Egypte et les Séleucides en Syrie. La Terre d’Israël se situait à la frontière de ces deux empires. Initialement, les Juifs se trouvaient sous le contrôle des Ptolémées, mais après la bataille de Panyas en -198, Israël s’est retrouvée sous la coupe des Séleucides et de leur roi, Antioche.

Si la plupart de la haute société juive, tout comme le reste de la population du bassin méditerranéen, a embrassé d’emblée la culture helléniste (certains au point de renoncer à leur identité juive), la grande majorité des Juifs sont demeurés fidèles au judaïsme. Ce rejet du mode de vie helléniste était considéré avec une grande d’hostilité par de nombreux Grecs et vu comme une forme de rébellion. Les différences éclectiques qui avaient d’abord servit de pôle d’attraction entre les deux cultures, représentaient maintenant l’élément déclencheur d’une guerre des cultures. Pour compliquer les choses, Israël était l’état frontière entre ces deux empires Grecs rivaux, et les Juifs, en refusant de s’assimiler, étaient considérés comme la population déloyale d’une province vitale de l’Empire séleucide.

Il serait faux d’envisager le conflit comme opposant uniquement les Grecs aux Juifs. La tension interne au sein de la communauté juive a contribué significativement au conflit. De nombreux Juifs hellénistes ont pris l’initiative d’« aider » leurs frères plus traditionnels, en les écartant de ce qu’ils percevaient comme des croyances primitives et en les attirant dans l’univers moderne de la culture grecque. (Ce schéma s’est répété maintes et maintes fois au cours de l’histoire juive – en Russie du 19ème siècle et en Allemagne, pour ne citer que quelques exemples). Pour favoriser leur entreprise, ces Juifs hellénistes ont cherché l’aide de leurs alliés Grecs, amenant finalement le roi Antioche IV Epiphane lui-même au cœur du conflit.

LE MIRACLE DE HANOUKA

Au milieu du deuxième siècle avant l’ère commune, Antioche a promulgué un décret qui était jusqu’alors sans précédent dans cet Ancien monde, multiculturel et tolérant des religions : il a déclaré le judaïsme hors-la-loi, interdisant son enseignement et sa pratique. Le livre des Maccabées (probablement écrit par un chroniqueur juif au cours du premier siècle avant l’ère commune) décrit comme suit : « Peu après cela, le roi envoya un sénateur athénien pour contraindre les Juifs à abandonner les lois de leurs pères et cesser de vivre d’après les lois divines et également pour polluer le Temple de Jérusalem et le rebaptiser Temple du Zeus olympien » (Maccabéen II 6 :1-2).

Les persécutions grecques brutales contre les Juifs ont déclenché la première guerre de religion de l’histoire – la révolte maccabéenne. La révolte a été conduite par la famille de prêtres de Mattathias et ses cinq fils, le plus connu d’entre eux étant Judah. Contre toute attente, la poignée de combattants maccabéens a défait les armées grecques, pourtant professionnelles, mieux équipées et plus nombreuses. Au terme de trois années de combat, Jérusalem est libérée. Le Temple qui a été profané, est nettoyé et reconsacré à D.ieu. C’est à cette période de nettoyage et de réinauguration du Temple que s’est produit le miracle de Hanouka. Une petite fiole d’huile, scellée par le grand prêtre pour allumer la ménorah du Temple, qui ne devait brûler qu’un seul jour, a miraculeusement brûlé pendant huit jours.

Le conflit a duré encore de nombreuses années, coûtant la vie à de nombreux Juifs, parmi eux Judah le Maccabéen et plusieurs de ses frères. Au bout du compte, les Grecs ont été vaincus et le judaïsme a prévalu.

On peut arguer que la victoire militaire sur l’Empire grec est un bien plus grand miracle que le fait que l’huile ait brûlé pendant huit jours, mais la lumière de Hanouka symbolise la véritable victoire – la survie de la lumière spirituelle du judaïsme. La survie miraculeuse du judaïsme a permis aux Juifs d’avoir une influence considérable sur le monde, dépassant de loin la taille minuscule du Peuple juif, Ils ont apporté au monde le concept d’un D.ieu unique et les valeurs de la sainteté de la vie, de justice, de paix et de responsabilité sociale qui sont les fondements moraux et spirituels de la civilisation occidentale.

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