L’attentat contre « Charlie Hebdo »
Chronique d’un carnage annoncé.
12 morts, 11 blessés et 66 millions de Français sous le choc. C’est le bilan de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo, le plus meurtrier que la France n’ait connu depuis 1961.
Le 7 janvier 2015, en fin de matinée, trois hommes lourdement armés font irruption devant le siège de l’hebdomadaire satyrique, en plein cœur de Paris. Ils abattent l’officier de police armé en garde devant l’immeuble, forcent une employée terrifiée qui vient juste de chercher sa fille à la garderie à taper le code d’entrée, et ouvrent le feu en rafales, tuant 10 employés avec une précision militaire. Quelques minutes plus tard, et après avoir abattu un deuxième policier qui tente de s'interposer devant eux, les assaillants prennent la fuite.
« Des gens pénètrent dans la rédaction d’un journal, tirent, abattent froidement des personne. Il est inqualifiable que l’on attaque un journal avec des armes de guerre » a déclaré Gérard Biard, le rédacteur en chef atterré qui, en raison d’un déplacement professionnel à Londres, a échappé au massacre. Une stupéfaction partagée par Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris : « Nous sommes profondément choqués par ce que nous avons vu et ressenti au siège de Charlie Hebdo, les témoignages d’horreur, la douleur, l’innommable : c’était une manifestation de guerre avec kalachnikovs et lance-flammes en plein Paris ». Et tandis que la nuit tombait sur la capitale en deuil, des milliers de personne se sont rassemblées pour exprimer leur solidarité après l’attaque sanglante contre l’hebdomadaire.
Charlie Hebdo semble pourtant un symbole unificateur plutôt improbable. Du ton mordant qui le caractérisait, le journal satirique revendiquait haut et fort le droit de se moquer de tout et de tous : hommes politiques, dirigeants, stars et religion. Catholiques, Juifs ou Musulmans, toutes les communautés furent, un jour ou l’autre, ciblées par son humour corrosif. Quand, en 2006, le journal danois Jyllands-Posten avait publié des caricatures du prophète Mahomet, déclenchant émeutes et protestations dans le monde entier, Charlie Hebdo les avait reproduites – et accompagnées d’autres de son cru. En 2011, Charlie avait prévu un numéro spécial « Charia Hebdo, Mahomet rédacteur en chef ». Quand à la Une du dernier numéro en date, elle portait sur l’écrivain Michel Houellebeck et son roman présumé islamophobe Soumission.
Mais cette verve sans retenue contre l’Islam lui avait valu de nombreuses menaces et parfois même des violences avérées. Le 2 novembre 2011, juste après l’annonce de la publication de son Charia Hebdo, les locaux du magazine sont victimes d’un incendie criminel, sans pour autant causer de victimes. En 2012, certains hommes politiques français prient la rédaction de s’abstenir de caricatures offensives sur Mahomet. Devant l’insistance du journal, la France ferme plusieurs ambassades, consulats, écoles et centres culturels dans plus de dix pays musulmans par crainte d’attaques. « Nous voulons rire au nez des extrémistes, avait déclaré un journaliste pour expliquer l’indifférence du journal face aux éventuelles représailles auxquelles l’exposait son humour offensant.
Stéphane Charbonnier, le directeur de Charlie Hebdo, avait essuyé de nombreuses menaces de morts et avait même été placé sur la liste des personnalités les plus détestées et ciblées par Al-Qaïda dans la revue de l’organisation en 2013. Il était d’ailleurs placé sous protection policière au moment de son meurtre. Par ailleurs, le siège du journal était protégé en permanence par un policier armé, une situation qui avait fait d’ailleurs l’objet d’une récente caricature tristement prémonitoire représentant un djihadiste armé déclarer qu’il avait encore jusqu’à la fin janvier pour faire un attentat en France.
Visiblement, ces menaces n’étaient pas, elles, à prendre sur le ton de la plaisanterie. Un peu comme dans le roman de Gabriel Marcia Márquez, Chronique d’une mort annoncée, elles annonçaient, haut et fort, des intentions meurtrières à qui voulait bien l’entendre.
Elles sont d’ailleurs à rapprocher des récentes vidéos signées par l’État Islamique exhortant ses sympathisants du monde entier à s’en prendre aux « infidèles ». Dans un message audio diffusé en septembre 2014, le porte-parole de l’organisation déclare : « Si vous ne pouvez pas trouver d'engin explosif ou de munitions, alors isolez l'Américain infidèle, le Français infidèle ou n'importe lequel de ses alliés. Écrasez-lui la tête à coup de pierre, tuez-le avec un couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez-le ». Le 19 novembre, trois jeunes combattants de l’EI appellent, cette fois en français, les fidèles à « terroriser la France » : « Empêchez-les de dormir. Laissez-les dans le stress, dans l’insécurité. Il y a des armes, il y a des voitures, il y a des cibles prêtes, il y a même du poison. Tuez-les, crachez-leur au visage et écrasez-les avec vos voitures. »
Vraisemblablement, ces conseils ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd. Car à peine un mois plus tard, le 21 décembre 2014, 11 piétons sont blessés par un automobiliste qui fonce sur la foule dans une rue de Dijon au cri d’ « Allahou Akbar ». Deux jours plus tard, c’est le marché de Nantes qui est le théâtre d’une nouvelle attaque à la voiture-bélier, fauchant dix personnes. Ce n’était pas des évènements imprévus ; mais des actes calmement planifiés, annoncés et, trop souvent, ignorés.
Les actes de violence sont rarement imprévisibles. Trop souvent, ils ne sont pas pris assez au sérieux par les gens civilisés. Il peut paraître étrange voire farfelu d’imaginer que certains individus puissent être capables de perpétrer des actes de violence monstrueux ; il est bien plus rassurant de se convaincre que les gens ne sont pas capables de porter leurs menaces à exécutions, que ceux qui promettent de tuer et de semer la terreur doivent exagérer leurs funestes intentions. Mais comme le prouve l’attentat au Charlie Hebdo, c’est à notre péril que nous ignorons ces menaces.
Israël, lui aussi, connait son lot de menaces de mort. À commencer par l’Iran qui appelle à « rayer Israël de la carte ». Ou le chef du gouvernement du Hamas, Ismaïl Haniyeh, qui en janvier 2015 a confié à ses proches ses projets d’attaquer Israël : « Nous développerons nos armes afin que nos missiles atteignent aussi loin que possible et frappent des cibles dans la mer, sur la terre et dans l’air. » Ou encore, le chef du Hezbollah, Hassan Nassralah, qui en novembre 2014 a fait clairement connaître ses intentions : « Le Hezbollah est entièrement prêt au Sud-Liban à combattre [Israël]… Nous ne craignons pas la guerre… Nous posons une menace à Israël. » Même la prétendument modérée Autorité palestinienne a adressé son propre message à Israël en juillet 2014, quand elle a pris possession d’un nouveau type d’équipement militaire. Sur fond d’images montrant un homme manipulant une rampe de lancement, une voix menace : « Message à l’attention du gouvernement israélien et du peuple israélien : la mort vous atteindra du sud au nord. La roquette KN-103 est en route vers vous. »
Il serait tentant de prendre ces menaces à la légère. Mais le carnage qui s’est déroulé à Paris nous rappelle malheureusement que lorsque des individus mal intentionnés annoncent qu'ils projètent de tuer et de semer la terreur, nous devons prendre leurs menaces au pied de la lettre.
Basé sur un article d’Yvette Alt Miller.