« Avant toi », la comédie sur l’euthanasie qui mérite ses critiques assassines
Le nouveau mélo à l’affiche déforme le vécu des personnes en situation de handicap et va à l’encontre de la valeur sacrée que le judaïsme accorde à la vie.
La question de l’euthanasie, ou du suicide assisté, fait l’objet de bien des débats dans les gouvernements et services médicaux du monde entier, ainsi qu’à travers des représentations à l’écran. Le « droit de mourir en toute dignité » se confronte à la valeur et à la sainteté de la vie. L’un de ces films est la comédie romantique récemment sortie en salle et adaptée du roman anglais à succès de Jojo Moyes du même nom. Elle raconte l’histoire de Will, un jeune homme insouciant dont la vie est transformée irrévocablement à la suite d’un accident de moto qui le rend quadriplégique. Ayant perdu l’usage de ses bras et ses jambes, il devient totalement dépendant d’une assistance extérieure pour assurer les tâches de sa vie quotidienne.
Fidèle adaptation du roman éponyme, le film décrit la douloureuse descente dans la dépression de l’accidenté. Les relations sociales ou romantiques qui auparavant le comblaient se brisent sous ses yeux et il sent que le suicide est le seul et unique moyen lui permettant d’échapper à son calvaire. Il accorde finalement un délai de six mois à sa mère avant de quitter ce monde. Cette dernière embauche une jeune femme pour tenir compagnie à son fils et bien que les deux protagonistes s’entichent l’un de l’autre, [alerte spoilers] Will décide finalement qu’il est préférable de mettre fin à ses jours plutôt de continuer à vivre dans cet état diminué qui est le sien.
Le message omniprésent de ce film est que la vie en situation de handicap suppose une forme d’existence inférieure, offrant moins de plaisirs et moins de sens. Et c’est là un message que je trouve détestable. J’ai, moi aussi, vu le cours de ma vie se transformer en un clin d’œil à la suite d’un accident. J’ai dû subir de douloureux mois de rétablissement ainsi que la perte d’usage de mes deux jambes. J’ai dû, moi aussi, affronter la perspective d’une vie désormais dépourvue des nombreux plaisirs et facilités auxquels je m’étais habituée, une vie dans laquelle les tâches quotidiennes sont accomplies avec une difficulté et un désagrément considérables.
Sans prétendre me mettre à la place de qui que ce soit ni comprendre la souffrance mentale et physique subie par certains, je me sens contrainte d’expliquer ce pourquoi le film déforme le vécu des personnes en situation de handicap et va à l’encontre de la valeur sacrée accordée par le judaïsme à la vie.
Les expériences du handicap sont aussi variées que les expériences humaines mêmes. Le mouvement de soutien aux personnes handicapées s’est positionné très fermement contre la légalisation du suicide assisté en raison de la possibilité très avérée que celle-ci perpétue les stéréotypes présentant la vie en situation de handicap comme ne valant pas la peine d’être vécue, et supposant la dépendance totale des personnes en situation de handicap. Selon ces associations, la législation du suicide assisté ne protègera pas suffisamment l’autonomie du procédé de prise de décision des personnes en situation de handicap, et elle accordera un encouragement tacite aux personnes atteintes de problèmes de santé de longue durée de mettre fin à leurs jours « comme elles l’entendent. »
Le judaïsme soutient que chaque vie humaine revêt une valeur infinie, y compris celles des paraplégiques et des quadriplégiques.
Le judaïsme soutient que chaque vie humaine revêt une valeur infinie. Le Talmud (Sanhédrin 37 a) nous informe que quiconque sauve une vie est considéré comme s’il avait sauvé un univers entier. Le potentiel de progrès et de sainteté contenu dans une seule vie est comparable à celui du monde entier réuni. Tous les êtres humains sont créés à l’image de Dieu, même les paraplégiques et les quadriplégiques.
Il y a environ dix ans, j’ai été renversée par une voiture alors que je faisais du roller, et j’en ai perdu l’usage de mes jambes jusqu’à ce jour. Je me suis retrouvée dans la situation peu enviable de devoir m’ajuster à une vie très différente de celle à laquelle j’étais si habituée. Avec cet ajustement, s’est posé un choix fondamental, un choix auquel je reste confrontée en permanence : vais-je percevoir mes épreuves comme un catalyseur de progrès, comme une opportunité de me rapprocher de mon Créateur et de Le servir en mettant à profit toutes mes ressources, ou vais-je traverser mon existence en ruminant les scénarios déprimants du type « si seulement… » ou « pourvu que » qui refont surface pendant les moments difficiles ?
Assise à la table de ma salle à manger, entourée des portraits de mon mari et mes deux enfants, je sais que j’ai fait le bon choix. Le commandement d’aimer Dieu avec tout ce dont nous disposons ne concerne pas uniquement les situations de vue idéales. La vie et les capacités qui nous sont accordées par Dieu sont de précieux cadeaux, mais, par-dessus tout, ce sont des moyens de nous rapprocher de lui. Être créé à l’image de Dieu signifie que nous sommes dignes de forger une relation de proximité avec Lui, et ce, en dépit des discours sociétaux qui suggèrent le contraire.
L’érosion de la valeur accordée aux vies des personnes en situation de handicap ou souffrant d’autres maladies chroniques ne constitue pas seulement un affront aux valeurs juives, mais aussi un affront à la valeur de l’ensemble de l’expérience humaine. En revendiquant la supériorité de certains types de vie sur d’autres, notre société risque de créer une hiérarchie irrévocable de maladies et de capacités, avec toutes les conséquences catastrophiques que cela implique.
Examinez, par exemple, le dilemme moral auquel seront confrontés des médecins se trouvant dans le devoir de conseiller leurs patients en matière de suicide assisté. La légalisation de cette pratique va peut-être exiger d’eux qu’ils renoncent à leurs objectifs traditionnels d’aider et de soigner afin de faciliter la mort « en toute dignité » de leurs patients.
Examinez aussi le dilemme légal consistant à déterminer si un médecin a commis ou non un homicide dans une certaine situation. Le fait que la « victime » soit atteinte ou non d’une infirmité deviendrait-il le détail décisif permettant de juger de sa culpabilité ou de son innocence ? Si toutes les vies sont égales, alors tous les actes de suppression de la vie sont également immoraux.
Le livre de Jojo Moyes et son adaptation au cinéma dépeignent la question du suicide assisté comme un choix personnel, affectant uniquement l’entourage proche du protagoniste. Ils occultent les problèmes sociétaux plus vastes impliqués par ce phénomène.
La mise en scène de personnes en situation de handicap pourrait être l’occasion de diffuser des messages positifs affirmant la suprématie de la vie, sans pour autant avoir recours à des déformations ni des décisions extrêmes. Pour moi, le message le plus inspirant n’émane pas forcément d’un individu qui surmonte ses épreuves en « se battant contre le monde entier » ou en « surpassant toutes les attentes ».
J’aurais été nettement plus touchée par cette comédie si le personnage principal s’était accommodé à sa nouvelle vie en s’efforçant de s’accepter comme il était, même si son existence était restée en définitive jalonnée de demi-victoires et de déceptions fréquentes. C’aurait été une véritable preuve de courage de sa part. Un tel film aurait permis d’affirmer de plus belle la valeur de toutes les vies humaines, et d’exhorter chacun d’entre nous à apporter sa propre pierre à l’édifice du monde, indépendamment des circonstances.