Souccot

Des Sifré Torah aux destins exceptionnels

16/09/2013 | par Laly Derai

D'Auschwitz à Israël, d'Union Soviétique aux Etats-Unis, découvrez les pérégrinations hors du commun de quatre rouleaux sacrés.

Chaque Séfer Torah est unique. Chacun a une histoire. Chacun a son identité propre, sorte d'empreinte digitale qui ne ressemble à aucune autre. Mais il est des Sifré Torah dont le parcours est vraiment hors-norme. Certains ont traversé les siècles, d'autres ont franchi des milliers de kilomètres. Certains ont été témoins des heures les plus tragiques de l'histoire du peuple juif, d'autres ont assisté aux joies les plus intenses. À l'occasion de Sim'hat Torah, découvrez quelques histoires de Sifré Torah pas comme les autres…

D'Auschwitz à Israël

Tout au long de l'Histoire, des Juifs ont été prêts à risquer leur vie pour préserver les rouleaux de la Torah, véritable symbole de l'éternité du peuple juif.

L'histoire du Séfer Torah de la famille Helman fait partie de ces récits qui font réfléchir sur la propension divine à jouer avec les destins et les faire se rencontrer.

Yaacov Helman zal, le grand-père de Yaakov Maor, a été assassiné par les nazis durant la « marche de la mort » après avoir survécu aux affres d’Auschwitz. Durant toute sa captivité, Yaacov Helman a réussi à dissimuler un petit Séfer Torah dans lequel il a pu lire régulièrement malgré les dangers que cela pouvait représenter pour lui. Ce Séfer Torah, l’un des deux qui ont été utilisés à Auschwitz, avait été écrit sur une peau de cerf et pour le faire pénétrer dans le camp de la mort à l’insu des nazis, Yaacov avait cousu une troisième manche à son manteau dans laquelle il l’avait glissé. Ainsi pendant presque un an, les Juifs du camp vont lire dans ce Séfer Torah dans l'obscurité, en cachette. Jusqu'à la marche de la mort.

Durant cette marche tragique, Yaacov s'arrête pour lacer ses chaussures. Ce sera le dernier geste qu'il accomplira. Les bourreaux nazis l'assassinent à bout portant…

Son ami, qui se tient quelques mètres derrière lui, ne peut rien faire pour le sauver, ni pour sauver le Séfer Torah. Plus tard, après avoir échappé à la mort, il racontera à la famille Helman l'histoire de ces rouleaux.

En 1975, Yaacov Maor, qui porte le nom de son grand-père, et a grandi bercé par son histoire, se rend souvent à Vienne, dans le cadre de son travail. La communauté juive locale, qui le connaît bien, souhaite faire don de deux Sifré Torah à une communauté en Israël. Maor se retrouve dans les caves de la communauté, où il découvre émerveillé quelques 200 Sifré Torah antiques. Le bedeau de la synagogue lui pose alors une question qui fera battre son cœur beaucoup plus vite : « Avez-vous déjà vu un rouleau de la Torah en peau de cerf ? »

Maor a la chair de poule. Il se rappelle l'histoire de son grand-père et décide de vérifier s'il s'agit du même rouleau.

Il sait que son grand-père a été tué d'une balle alors qu'il portait son Séfer Torah sous son aisselle. Il est donc plus que probable que le rouleau porte un signe quelconque de poudre.

Et c'est exactement ce qu'il constate en tenant entre ses mains le Séfer Torah minuscule en peau de cerf qui a attendu son propriétaire patiemment dans une cave de Vienne…

Aujourd'hui, le Séfer Torah de Yaacov Helman-Maor est en Israël. Il a survécu à la Shoah…

Le Séfer Torah revenu à la maison

Tout commence lorsque le fils de Ménaché Chorka, un homme d'affaires de New York, atteint l'âge de la Bar-mitsva. Le jeune garçon ne manque de rien et c'est pourquoi son père veut lui offrir un cadeau particulier : un Séfer Torah ancien qui, il l'espère, renforcera ses liens avec D.ieu et le judaïsme.

Ménaché prend donc contact avec un ami israélien, M. Madmoni, spécialisé dans la vente de Sifré Torah antiques. Il lui demande de lui trouver un Séfer Torah écrit selon la tradition yéménite, car la famille de son épouse, les Klazin, est originaire du Yémen.

L'ami entame ses recherches puis lui propose un Séfer Torah vieux de 120 ans, sans étui. Malgré les décennies, le Séfer Torah est en bon état.

Ménaché se met alors à la recherche de l'histoire de ces rouleaux.

Son ami le met en contact avec la famille Ezra, les derniers propriétaires du Séfer Torah, qui le dirigent vers la famille Radi, à qui il appartenait auparavant.

M. Radi ne sait pas grand-chose du Sefer Torah mis à part le fait qu'il a été envoyé en Israël dans les années 50 par un cho'het (abatteur rituel) du nom de Zé'haria Cohen.

Ménaché retrouve la trace du fils de Cohen, et il découvre que les Cohen étaient les amis intimes des grands-parents de son épouse, les Klazin.

Ménaché demande alors au rav Klazan, un cousin éloigné de son épouse expert en Sifré Torah de vérifier le Séfer Torah et c'est là que les surprises commencent : « Ce Séfer a été écrit par deux personnes différentes car l’écriture change au milieu. Celui qui a écrit la première partie n'était pas yéménite, mais perse ou séfarade. Ce n’est que le second scribe qui est visiblement yéménite » lui apprend-il, avant de le rassurer quant à la cacherout du Séfer Torah.

Un peu plus tard, Ménaché rencontre à nouveau le rav Klazan, pour lui parler cette fois d'un Sidour, appartenant à la famille de son épouse et sur lequel sont écrites quelques lignes qui relieraient une famille Achwal à la famille Klazin. Les Klazin connaissaient-ils les Achwal ?

« Bien sûr, lui répond le rav. Ils étaient amis. Aujourd'hui, cette branche de la famille Achwal se fait appeler Madmoni ».

La surprise est de taille : l'ami qui a vendu le Séfer Torah à Ménaché s'appelait Madmoni ! Leurs familles étaient donc liées voici déjà plusieurs dizaines d'années !

Mais l'histoire ne s'arrête pas là…

Lorsque le Séfer Torah arrive à New York, il n'a pas d'étui. Ménaché, soucieux du moindre détail, commande un merveilleux étui en argent pur, vieux de 400 ans. Mais lorsque l'étui arrive, il est impossible de faire entrer le Séfer Torah à l'intérieur : il est trop épais. Ménaché est contraint d'ouvrir le Séfer Torah et de le rouler à nouveau, pour que le parchemin soit plus « serré ».

Mais ce qu'il découvre dans le dernier parchemin le laisse sans voix. Quelques lignes écrites à la main qu'il lit et relit sans en croire ses yeux : « Cette sainte Torah a été écrite par le rav David Ben Yossef Klazin », l'arrière-arrière-arrière-grand-père du Bar-mitsva !

Après 120 ans de pérégrinations, le Séfer Torah de la famille Klazin était revenu à la maison…

Quand la boucle est bouclée

Ceci est l'histoire d'un Séfer Torah unique en son genre. Elle débute juste après la Seconde Guerre mondiale alors que le rav Pin’has Soudak et sa famille fuient l'Union soviétique avec 46 autres Juifs. Ils traversent clandestinement la frontière entre la Russie et la Pologne et se préparent à franchir la frontière avec la Tchécoslovaquie.

Le groupe attend à Cracovie. Le rav Soudak, qui n'a pas pu prendre avec lui de Séfer Torah, n'est pas tranquille. Comment une cinquantaine de Juifs pourraient-ils poursuivre leur route alors qu'ils n'ont pas de Séfer Torah avec eux ? C'est pourquoi, lorsqu'il entend qu'un Séfer Torah est à vendre, il n'hésite pas une minute et l'achète contre monnaie sonnante et trébuchante puis le dépose dans une belle caisse de bois.

L'heure de traverser la frontière arrive. Nous sommes en plein cœur d'un hiver glacial. Il fait nuit noire lorsque les passeurs annoncent au groupe que c'est pour tout de suite. Pas une minute à perdre. On emporte le minimum. Il leur fait prendre la route, à pied, pour atteindre enfin, au bout de longues heures de marche, la liberté.

Le rav Pin’has, son épouse et leurs trois enfants tiennent bien fort une longue corde pour ne pas se perdre en chemin. Le rav tient son Séfer Torah, sa femme, Batya, le bébé.

Mais le chemin est très long, et Batya est très fatiguée. Elle fait signe à son mari qu'elle ne peut plus tenir le bébé. Le rav Pinhas comprend qu'il n'a pas le choix. Il doit abandonner son cher rouleau de la Torah. « Pardonne-moi, Torah, chuchote-t-il, en larmes, mais je dois choisir entre toi et mes enfants… Je suis contraint de te laisser ici, pour que mes enfants et mes petits-enfants puissent continuer à t'étudier… »

Il dépose la caisse de bois sous un arbre et s'en va, la douleur au cœur.

Mais la liberté l'attend : la famille Soudak et les autres membres du groupe atteignent leur but et montent finalement en Israël.

Les années passent et la fille du rav Soudak, Batchéva Roth, se rend en Californie pour rendre visite à une amie, Feigi Estolin. Elles parlent ensemble de leur passé commun et Feigi raconte comment sa famille à elle aussi a fui l'URSS après la guerre.

« Notre histoire est incroyable, raconte Feigi. Lorsque mes parents ont traversé la sombre forêt, ma grande sœur, qui était alors âgée de 5 ans, a soudain disparu. Fous d'inquiétude, mes parents l'ont cherchée sous chaque arbuste. Soudain, mon père a touché quelque chose de bizarre. Ce n'était pas une branche, mais une sorte de boîte en bois. Lorsqu'il a ouvert cette boîte, mon père y a découvert… un Séfer Torah ! Et juste à côté de cette boîte était assise ma sœur… »

Feigi continue de raconter son histoire, sans se rendre compte que son interlocutrice a pâli : « Mon père a pris le rouleau et s'est entouré le corps avec. Il a ensuite utilisé son gartel (ceinture hassidique NDLR) pour le faire tenir en place et a porté le Séfer Torah de cette manière durant tout notre périple. Aujourd'hui, ce Séfer Torah se trouve dans une synagogue de New York… »

Batchéva entend cette histoire et les larmes coulent d'elles-mêmes. Le Séfer Torah de son père est entre de bonnes mains. La boucle est bouclée.

Le Séfer Torah de l'unité du peuple juif

Chaque année, des groupes de jeunes Juifs américains se rendent en Israël pour quelques semaines pour apprendre à connaître le pays, sa réalité et son histoire, avant de repartir aux États-Unis et servir « d'ambassadeurs » d'Israël dans les campus.

L'histoire débute il y a un an et demi, lors des dernières heures d'un de ces séjours en Israël. Le guide du groupe, Yotav Élia'h, fait visiter aux lycéens le cimetière militaire du mont Herzl. Il leur raconte l'histoire de ses héros jusqu'au moment où il aperçoit un couple, en larmes, penché sur un tombeau. Il s'approche d'eux et leur demande qui ils sont. Nous sommes les parents d'Érez Déry, tué juste après l'opération Remparts, expliquent-ils. « J'aurais tellement voulu conduire mon fils sous la ‘houpa, mais je n'en ai pas eu le mérite. Et voici qu'il y a quelques semaines, Érez m'est venu en rêve. Il m'a dit que les Sifré Torah étaient aussi conduits sous la ‘houpa et qu'il fallait que nous écrivions un Séfer Torah en sa mémoire », raconte la mère qui porte son deuil sur son visage.

Les parents d'Érez expliquent que malheureusement, ils n'ont pas les moyens financiers nécessaires pour acheter un Séfer Torah.

Yotav réfléchit et leur demande d'attendre. Il se tourne vers le groupe et leur raconte ce qu'il vient d'entendre. « Pensez-vous pouvoir récolter auprès de vos familles 120 000 shekels, la somme nécessaire pour faire l'acquisition d'un Séfer Torah ? » Les lycéens, émus, appellent tout de suite leurs familles de l'autre côté du globe. En quelques minutes - il faut faire vite, ils doivent prendre l'avion dans quelques heures ! - ils récoltent l'argent nécessaire pour l'achat d'un Séfer Torah dédié à la mémoire d'un soldat qu'ils n'ont jamais vu !

Ce Séfer Torah, celui de l'unité du peuple juif, a été intronisé il y a quelques mois dans la synagogue de Maalé Adoumim où prient les parents d'Érez…

Cet article a paru dans l’hebdomadaire Hamodia.

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