Témoignages Shoah

Dieu n'est pas une nounou!

27/04/2014 | par Sara Mayer

Croire en Dieu après la Shoah.

J'ai grandi en regardant les interviews qu’Oma ("mamie" en allemand) donnait à la télévision. Elle n'était peut-être pas aussi connue qu'Elie Wiesel, mais à mes yeux, elle était exceptionnelle. Ecrivaine, elle fit une apparition dans un documentaire qui remporta un trophée Emmy, l’équivalent d’un Oscar au cinéma. C’était la personne la plus célèbre que je connaissais. Et puis c’était ma Oma à moi

"Croyez-vous toujours en Dieu après la Shoah ?" La réponse d'Oma est gravée dans mon cœur.

Chaque conférence, chaque interview, chaque interrogation et chaque réponse soulevaient la sempiternelle question. Et je connaissais bien la réponse d'Oma car elle était gravée dans mon cœur et mon esprit :

"Croyez-vous encore en Dieu après la Shoah ?"

Pour beaucoup cette question semblait trop controversée, trop douloureuse. Mais pour Oma, la réponse était simple. Mes lèvres remuaient à l’unisson avec les siennes : "Dieu n'est pas une nounou."

Dans mon esprit, je pouvais entendre les questions silencieuses de ses auditeurs qui hurlaient pour des réponses. "Mais où était Dieu lorsque Adolf Hitler (que son nom soit effacé) a mis en place la solution finale ?" "Et où était Dieu lorsque vos parents ont été conduits dans les chambres à gaz ?" "Où était Dieu lorsque votre frère s'est fait tiré dessus sauvagement lors d’une marche de la mort, à quelques jours de la libération ?"

Mais la réponse était également présente, inculquée par ma grand-mère. "Dieu regardait et pleurait. Il pleurait pour tous ses enfants. Pour ceux qui avaient mal agi et pour ceux envers qui on avait mal agi. Dieu contrôle le monde, mais Il a octroyé à ses enfants le libre arbitre. C'est à eux de décider comment l'utiliser. Une nounou remplace le rôle du parent. Son rôle est de veiller à ce qu’au départ des parents, l'enfant reste exactement le même jusqu'à leur retour. L'enfant n'a donc pas de place pour grandir car tout danger est écarté à la base. Dieu aurait-il dû foudroyer chaque nazi ? Non, pour la bonne raison que Dieu n'est pas une nounou." 

Alors que son audience interloquée se remettait de sa réponse, Oma continuait. "Ce n'est pas Dieu qui m'a blessée. Ce sont les hommes. Et j'en ai vu des miracles. Laissez-moi vous lire un passage de mon livre..." Je souriais alors qu'Oma fouinait les pages de son livre tout corné, intitulé One who came back (Celle qui en est revenue). Je connaissais par cœur  la majeure partie du livre et je savais quelle histoire arrivait ensuite.

"Un jour lorsque quatre d'entre nous étions en train de déterrer les pierres d'un fossé à mains nues, ma patience fut à nouveau mise à l'épreuve. Les pierres devaient être chargées dans un chariot tiré par un cheval. L'ouvrier allemand à qui le cheval appartenait me prit en grippe immédiatement. Il me harcela toute la journée. J'essayais de lui prêter le moins d'attention possible, mais cela semblait le provoquer encore plus. Il finit par ordonner à son cheval, qui se tenait au dessus de moi, de me frapper et de m'achever. Je ne pouvais pas bouger, alors je me suis mise à parler au cheval d'une voix très douce. Je lui dis, en hollandais bien sûr, que c'était un animal gentil et que je savais qu'il ne me ferait aucun mal. Je continuais à parler et à parler. Quelque soit l'ordre que l'allemand hurlait, le cheval s'entêtait à rester sur ses positions."  

Oma leva la tête et abaissa ses lunettes de lecture. "Pourquoi un cheval a préféré m'écouter lui parler dans une langue étrangère plutôt que d'écouter son maître ? J'ai vu plein de miracles comme celui là. Dieu veille sur nous. Il permet au bien comme au mal de se produire. Dieu n'est pas une nounou."

Visite à Treblinka

Dès que j'ai entendu parler de la Marche des Vivants, j'ai immédiatement voulu y participer. Ce qu'avait vécu Oma faisait partie intégrante ma vie et j'avais besoin de comprendre, du moins en partie, ce qu’elle avait traversé. Je ne savais pas à quoi m'attendre en faisant ce voyage, mais à travers les camps de Maïdanek, d'Auschwitz et de Birkenau, je tenais serré fort contre moi le livre d'Oma, espérant que ses écrits me donneraient de la force. Même les personnes religieuses de notre groupe pleuraient de douleur, "Comment Dieu a-t-Il pu laisser faire ça ?" La phrase sacrée que je me répétais à voix basse me protégeait contre toutes ces pensées. Je savais que Dieu n'était pas une nounou.

Notre voyage se termina par la visite de Treblinka. Les nazis ont entièrement détruit le camp avant que la zone ne soit libérée. Lorsque les forces alliées sont arrivées, une ferme entourée d'arbres avait été construite au dessus du carré de terre où se trouvaient les chambres à gaz. La ferme n'existe plus depuis, et des monuments délimitent désormais les emplacements des rails de train, des barrières et des bâtiments. Quant aux résidents locaux, ils profitent maintenant du "parc". Une famille était en train de faire un barbecue lorsque nous sommes arrivés. De loin, on avait l'impression que la fumée s'échappait du monument du crématorium.

La faune et la flore recouvraient ces lieux. Le doux pépiement des oiseaux se mêlait à l'air frais et à l'odeur boisée qui nous chatouillaient le nez. Les papillons virevoltaient à travers les arbres en quête de nectar. "Les papillons sont les âmes des enfants que nous avons perdus ici", nous dit la monitrice. J'esquissais un sourire en pensant au poème I Never Saw Another Butterfly (Je n'ai jamais vu un autre papillon). Alors qu'on s'apprêtait à entrer dans la forêt, un papillon vint se poser sur la joue de ma monitrice.

Elle fut prise au dépourvu, et je ne pus m'empêcher de rire. "Et celui là vous a donné un baiser", murmurai-je.

J'étais complètement vidée. J'avais perdu toute confiance, non pas en Dieu mais en l'homme.

Je fis une pause au kiosque du parking où je pris une brochure explicative. A l’entrée, figuraient les statistiques les statistiques : "874 000 juifs furent assassinés à Treblinka et il n'y avait quasiment pas de survivant." Je fus sous le choc en voyant ce nombre ahurissant : Presque un million de juifs et aucune trace ? Nous atteignîmes une rangée de blocs de pierre qui démarquait la barrière du camp, et je me suis arrêtée. 

Paralysée par cette beauté qui masquait l'horreur infiltrée dans le sol, je me suis laissée tomber à terre. Je me suis recroquevillée derrière la pierre la plus proche. J'étais complètement vidée. J'avais perdu toute confiance, non pas en Dieu mais en l'homme.

Comment ont-ils pu nous faire ça ? Comment est-ce arrivé dans un monde qui se dit civilisé ? Comment des "spectateurs innocents" ont été les témoins du meurtre systématique et de sang froid de presque 900 000 personnes et n'ont-ils rien dit ou fait ? Où était l'Homme quand c'est arrivé ? Où suis-je quand d'autres souffrent ?

Mon esprit ressassait ces questions sans pouvoir trouver de réponse. Heureusement, Oma m'avait laissé un autre héritage auquel je me suis raccrochée lorsque ma phrase sacrée me fit défaut. Je pris un stylo et du papier, et je me mis à écrire. Assise immobile, je me fondais parfaitement dans de le paysage environnant. Seul mon stylo se déplaçait sur le papier sur lequel mon cœur saignait comme une blessure à vif. Serais-je capable de surmonter ces sentiments de désespoir ?

Mon stylo s'immobilisa lorsque mon esprit engourdi fut complètement épuisé. En levant le nez de ma feuille, je fus surprise par la forme délicate d'un papillon qui battait des ailes lentement sur mon genou. Je me rappelais alors les paroles de ma monitrice : "Les papillons sont les âmes des enfants que nous avons perdus ici." Oui, nous avions perdu cet enfant, mais tant d'autres ont vu le jour. Ma sœur, mes cousins et moi-même n'étions-nous pas la preuve vivante que les nazis avaient échoué ?

Soudain, un sentiment nouveau, plus fort et plus intense que le dernier, tentait de jaillir du plus profond de moi. Tandis que je regardais les mouvements délicats de ce papillon, je ne ressentais plus qu’une seule chose : de l'espoir.

Pourquoi les gens bien souffrent-ils ? Je ne puis répondre à cette question. Depuis que Moïse interrogea Dieu dans le désert, nous n'avons cessé de demander pourquoi. Et les réponses restent incompréhensibles. Tout ce que je peux faire, c'est de me rappeler qu’il y a une raison pour tout, que je comprenne cette dernière ou non, et espérer que les enfants des générations futures tireront les leçons du passé.

Survivre

À la suite de notre semaine en Pologne, nous avons voyagé en Israël. Chacun de nous dut mettre ses sentiments de côté afin d'être joyeux à nouveau. On aurait tout le temps de repenser à tout ce qui s'était passé une fois rentrés chez nous. L'une de mes amis eut pourtant du mal à contrôler ce tourbillon d'émotions. Elle s'effondra complètement quelques jours après notre arrivée en Israël.

"Est-ce que je peux simplement faire abstraction de ce que je ressens ?", demanda-t-elle au moniteur qui tentait de la faire participer aux activités. "Après tout ce qu'on a vu et vécu, je devrais faire comme si de rien n'était et agir de manière superficielle et insouciante ?"

La réponse de mon moniteur me marqua profondément bien qu'elle laissa mes amis indifférents.

"Est-ce que les survivants ont survécu pour qu'on sombre dans le désespoir ou bien pour qu'on vive ?"

Survivre signifiait mettre un terme à son expérience passée et construire une nouvelle vie.

Toutes mes pensées négatives quant aux incohérences de ce voyage à double face se sont évaporées. Je repensais à la photo de ma grand-mère après la guerre, lorsque de retour en Hollande elle découvrit qu'elle était la seule survivante. Elle souriait dans chacune de ces photos.

Fut-il facile pour elle de revenir ? Je suis sûre que non. Même après la guerre, des difficultés restaient à surmonter. Mais être un survivant signifiait bien plus qu'être un cœur qui bat lorsque les alliés vinrent nous libérer. Ça signifiait tourner la page et construire une nouvelle vie.

Aujourd'hui, je ne compte plus les six millions de juifs qu'on a perdus dans la Shoah. Je préfère compter les six millions de juifs qui vivent à mes côtés en Israël. Je ne m’attarde plus sur ce qui s'est passé en Europe. Je préfère vivre dans le présent en regardant ce qui se passe en Israël. Mon mari et moi sommes tous les deux des petits-enfants de survivants de la Shoah. Ensemble, nous commémorons les vies de ceux qui sont partis en construisant nos vies et celles de notre futur, nos enfants. La seule chose pour laquelle je prie, c'est de pouvoir leur inculquer la même foi qu'Oma m'a transmise.

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