Odyssées Spirituelles

Double identité

28/05/2013 | par Yakov Halu

Mon père est arabe, ma mère juive. Et moi dans tout ça?

Mon père était un arabe chrétien de Rameh, une petite ville au nord d’Israël.Il rencontra ma mère, juive Américaine qui fit son alyah dans les années 80. Mon père désirait follement l’épouser, mais ma mère elle n’était pas convaincue. Lorsqu’elle tomba malade et dut être hospitalisée, il lui rendit visite tous les jours, en dépit des longs trajets en bus.

Elle n’eut alors plus aucun doute. 

Ils se marièrent et s’installèrent dans le Sud d’Israël.

La tante arabe de mon père vint vivre auprès d’eux avec pour mission d’apprendre à cuisiner à ma mère. Puis arrivèrent les naissances de mon frère et de ma sœur.
Notre famille déménagea dans le Colorado alors que ma mère était enceinte de moi. Il était difficile pour mon père ingénieur de trouver du travail en Israël. 

Bien qu’il fût élevé dans le christianisme (Eglise Grecque Orthodoxe), mon père se prit d’intérêt pour le judaïsme après avoir rencontré ma mère. C’est en Amérique, loin de sa famille arabe et des liens étroits qu’il avait avec ses six frères et sœurs, qu’il se sentit libre de poursuivre plus sérieusement cette quête spirituelle.

Israélien, il n’avait aucun problème à lire l’hébreu, ce qui lui permit de lire la Bible dans sa version originale. Il découvrit ainsi les erreurs importantes d’interprétations de la version chrétienne. C’était un homme épris de vérité. Aussi contacta t-il le tribunal rabbinique le plus proche pour entamer une procédure de conversion.

Un an plus tard, mon père devenait Juif. Ma famille se mit donc à observer le Chabbat, manger Cacher, et tout ce qui s’ensuit.
Mon père maintint un contact étroit avec sa famille arabe. Lorsque j’eus trois ans, je partis avec lui  en Israël pour le mariage de sa jeune sœur, ma tante.
Cette visite lui fut très pénible. Il était à cheval sur deux mondes, Juif religieux en Amérique d’un coté, et Arabe profondément attaché à sa famille en Israël de l’autre.

Le fait qu’il n’avait jamais évoqué sa conversion avec sa famille ne faisait qu’empirer son malaise.

Mon père est mort peu après le mariage de sa sœur, à notre retour au Colorado. Il n’avait pu, nous dit-on, supporter la tension énorme à laquelle il avait été soumis.

 

Partir à la découverte de moi-même

Mes nouveaux amis regardaient des dessins animés le samedi matin et mangeaient des pizzas au jambon

Ma mère se remaria quelques années plus tard. Notre niveau religieux commença alors à subir des changements. Je dus quitter l’ecole juive pour l’ecole publique. Mes nouveaux amis regardaient des dessins animés le samedi matin et mangeaient des pizzas au jambon (pepperoni). Notre famille devint, en très peu de temps, moins rigoureuse dans son respect du Chabbat et nos standards de Cacherout se dégradèrent rapidement. 

Je fis ma Bar-Mitzvah et ne remis plus les pieds dans une synagogue pendant cinq ans.

Après mes études au lycée, j’ai traversé des crises, j'ai dû prendre des décisions et faire des choix. Je me suis vraiment égaré en chemin. Je me suis même fait tatouer mon nom en arabe sur l’avant-bras.

Je tentais bien de poursuivre mes études mais je n’avais vraiment aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie. Je pris de mauvais tournants, me mis dans de sales histoires et passai huit mois de ma vie vautré sur le sofa d’un ami, mangeant des conserves à même la boite.

Pendant ce temps, ma sœur devint membre de la communauté d’Aish HaTorah à Los Angeles. Redécouvrant le monde religieux, elle se mit de nouveau à respecter les Mitzvots.

Je me mis doucement à remonter la pente. Je louais une chambre chez une famille Juive. Je partageais avec eux les repas de Shabbat et suivais les offices de Aish à Denver.

Après quelques mois, je me sentis prêt à découvrir qui j’étais réellement. Pour cela, j’étais convaincu qu’il fallait me rendre en Israël. J’ai donc appelé ma sœur qui me mit en contact avec un bienfaiteur à Los Angeles. Il fut d’accord pour financer mon voyage. 

Je compris que, pour avancer, il me fallait avant tout me débarrasser de cette colère.

Quelques semaines après mon arrivée en Israël, au cours d’une longue promenade un Chabbat après-midi, je pensais à combien la vie avait été dure avec moi. Je pris alors conscience  de l’intense colère que j’avais en moi et qui me suivait partout. Je compris que, pour avancer, il me fallait avant tout me débarrasser de cette colère. 

Les cours que je suivis à Aish à Jérusalem me firent comprendre que ce sont les épreuves auxquelles j’ai été confronté qui m’ont conduit jusqu’ici.

Rien n'arrive sans raison.

Le désir ardent de renforcer les liens

Aujourd’hui, j’étudie dans une Yéshiva, je déborde d’énergie et d’enthousiasme. C’est une expérience incroyable de pouvoir étudier en face du Kotel, au cœur de l’Histoire. L’étude de la Torah s’avère fascinante, intellectuellement mais aussi émotionnellement, de par l’équilibre qu’elle procure. Et les gens y sont la crème de la crème. Brillants, idéalistes, prêts à relever les défis, à assumer pleinement les responsabilités, les leurs et celles du monde entier.

Et pourtant…une part de moi reste insatisfaite.

J’éprouve plus que jamais  le profond désir d’établir un lien avec mon père, de me sentir connecté avec lui.  Je n’ai pas eu le temps de le connaître et je voudrais tant en savoir davantage. 

Ma famille arabe est très pro-Israëlienne.

Je passe désormais du temps dans son village du Nord d’Israël, apprenant à mieux connaitre mes tantes, mes oncles et ma multitude de cousins. Ce sont des gens étonnants. D’une grande gentillesse, ils sont  attentionnés et font tout pour s’entre-aider et s’épauler. Ils me donnent sans compter, m’entourant d’amour et feraient n’importe quoi pour moi. 

Ils sont ma famille.

Je leur pose des questions sur mon père et regarde des photos de famille, je vais marcher sur les sentiers empruntés jadis par mon père.Le simple fait de me trouver là-bas me permet d’établir ce lien que je n’ai jamais eu avec lui.Et moi aussi, d’une certaine façon, je concrétise pour eux un lien avec mon père. D’autant plus que je lui ressemble énormément.

Ma famille arabe est très pro-Israëlienne. Mon oncle est à la tête d’une organisation de services sociaux qui s’occupe indifféremment d’Arabes et de Juifs. Ma tante fut la première femme arabe chrétienne élue à la Knesset.

Selon eux, leur apport à la société n’est pas estimé  à sa juste valeur, et ils le perçoivent comme une injustice. Les aides municipales et les allocations du gouvernement semblent être moins élevées pour la communauté arabe. La société israélienne est sensible, de par son histoire, aux détresses des minorités mais la réalité est que les arabes israeliens sont traités comme une minorité. C’est particulièrement difficile pour les arabes chrétiens, qui se sentent rejetés par les Musulmans du fait qu’ils sont chrétiens et par les Juifs du fait qu’ils sont arabes.

Et pourtant ils se sentent à 100% israéliens. Mes cousins se sont bien intégrés sur le marché de l’emploi et s’identifient avant tout comme israéliens. Chrétiens, ils se sentent plus d’affinités avec le judaïsme qu’avec l’Islam.   En fait, un de mes cousins arabes  a même épousé une Juive.

Je ressens jusqu'à aujourd'hui un malaise à pratiquer mon judaïsme lorsque je leur rends visite, comme prier ou porter la kippa.  Avec une culture aussi hospitalière que la culture arabe, respecter les règles de Cacheroute n’est pas une mince affaire.

Comme chez tout  Israélien, les notions de Chabbat et des Fêtes Juives ne leur sont pas étrangères. Mais ils ont toujours du mal à me considérer comme Juif. Dans leur culture, l’héritage religieux se transmet par le père. Or, comme ils ignorent tout de la conversion de mon père, une question latente subsiste chez eux, à savoir pourquoi ai-je choisi la religion de ma mère plutôt que celle de mon père ?

Je marche, là aussi, dans les traces de mon père, tiraillé entre sa loyauté envers sa famille arabe et la vie juive qu’il embrassa totalement.

J’ai l’espoir d’avoir, avec le temps, suffisamment confiance en moi, pour que mon judaïsme ne soit pas un obstacle mais au contraire permette l’enrichissement de nos bonnes relations. Je me vois comme un pont qui réduirait le fossé entre des groupes différents. Car je sais, après tout, de quoi je parle ; qu’il s’agisse de Juifs, d’Arabes, de religieux, de laïcs, d’Américains ou d’Israéliens.

D’après l’enseignement de la Torah, je me dois d'assumer mes responsabilités au lieu de m’apitoyer sur mon sort. Je dois résoudre mes problèmes et faire ce qui est en mon pouvoir pour changer ce qui me dérange. Le plus grand défi qu’il me faudra relever, sera celui de réussir à réconcilier ces deux vies, d’un Arabe et d’un Juif, d’un père et d’un fils.    
 

 

Related Articles

Donnez du pouvoir à votre voyage juif

Inscrivez-vous à l'e-mail hebdomadaire d'Aish.com

Error: Contact form not found.

linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram