Réflexions

Les guerres du paraître

28/11/2011 | par Sara Yoheved Rigler

Les guerres de Hanouka ne sont pas terminées

À quinze ans, Monica était déjà une poétesse et une musicienne accomplie, pleine de vie, et possédant un QI de 165. Elle était la fille unique de parents, tous les deux professeurs, qui l’aimaient comme on peut aimer sa fille unique. Pourtant, Monica était tellement dépressive qu’elle du suivre une psychothérapie. 

Qu’est-ce qui la déprimait tant ? Son apparence. « Je suis une baleine pleine de boutons » disait-elle d’elle-même. « Quand je marche dans les couloirs de l’école, j’ai l’impression d’être un monstre. »  

Même les autres filles, obsédées par la ligne, ne voulaient pas être vues en sa compagnie.

Tous les enfants l’évitaient parce qu’elle était grosse. « D’accord, je suis une bonne musicienne, mais rares sont les garçons qui recherchent une fille qui joue du Bach » déclarait-elle avec une pointe d’humour. Même les autres filles, obsédées par la ligne, ne voulaient pas être vues en sa compagnie. « Je vois bien qu’on me jette un regard, on me trouve moche et on détourne le regard », racontait-elle à son médecin traitant. « Ils ne me regardent même pas comme une personne ». 

Monica est un cas d’école dans le dernier best-seller de Mary Pipher Faire revivre Ophélia. Elle décrit dans ses termes les épreuves auxquelles sont confrontées la plupart des jeunes filles de notre époque : 

Ce qui m’a fait écrire ce livre, c’est ce que j’ai vu ces dernières années dans mon cabinet : une multitude de filles boulimiques, ou alcooliques, ou bien en plein stress post-traumatique après une agression physique, voire sexuelle. Des filles qui se sont infligé des mutilations, en prise à des phobies étranges, qui ont essayé de se suicider ou de s’enfuir. Une étude du Ministère de la Santé a montré que 40 % des jeunes filles de ma ville ont pensé au suicide l’année écoulée. (p27)  

Leur beauté est une condition à la fois nécessaire et suffisante à leur réussite.

Selon le Dr. Pipher, l’une des causes principales de cette catastrophe qui se déroule sous nos yeux est la pression de paraître belle. Elle a appelé cela le ‘syndrome du paraître’, qu’elle définit comme étant ‘‘l’évaluation d’une personne sur la seule base de son apparence’’. Elle écrit : « C’est au début de l’adolescence que les jeunes filles prennent conscience de l’importance de leur apparence pour déterminer leur degré d’acceptation sociale. Leur beauté est une condition à la fois nécessaire et suffisante à leur réussite. C’est un vieux problème. Ce n’est pas par ses qualités de travailleur acharné qu’Hélène de Troyes a réussi à envoyer mille navires. » (p40) 

LA BATAILLE DE ‘HANOUCCAH 

Le Dr. Pipher a raison. La beauté  érigée en valeur suprême est un ‘’très vieux problème’’. On peut même le faire remonter à la culture grecque de l’antiquité, qui avait apporté au monde le concept d’idéal esthétique.  Là où les autres cultures se contentaient d’embellir leurs édifices et leurs objets en terre cuite, les Grecs inventaient l’idée de la beauté ‘pour la beauté’, comme on dit aujourd’hui : ’’l’art pour l’art’’. 

Dans son livre : La vie de la Grèce, l’historien Will Durant rapproche la ‘’passion de la Grèce antique pour la beauté physique et la santé’’ de son rejet de ‘’ l’étude du caractère et de l’âme’’. 

En réalité,  la Torah considère que l’ancêtre des Grecs était Japhet, fils de Noé. ‘’Japhet’’ en Hébreu veut dire : beauté. 

‘Hanouccah vient célébrer la victoire remportée par les Juifs sur les Grecs. Plus qu’une bataille militaire, il s’agissait d’un ‘’choc des cultures’’ entre deux systèmes de valeurs opposés. Les Grecs tenaient la beauté pour la valeur suprême, et les Juifs la sainteté. Il suffit d’un regard, même superficiel, sur la société occidentale moderne pour se rendre compte que ce conflit n’est toujours pas résolu.  

Le Judaïsme ne rejette pas la beauté, mais il la place à un rang secondaire.

Le Judaïsme ne rejette pas la beauté, mais il la place à un rang secondaire. La beauté n’a d’intérêt que si elle vient embellir ce qui est saint. C’est ainsi que nos sages vantaient le Temple de Jérusalem pour sa beauté en clamant : ‘’celui qui n’a jamais vu le Temple, n’a jamais vu un bel édifice’’. L’art juif est composé de parterres antiques en mosaïques et d’anciens chandeliers polonais. On retrouve l’embellissement jusque dans l’accomplissement des Mistvot, à travers le concept de Hidour Mistva, ‘embellir une Mitsva’. C’est une des raisons pour lesquelles on ne se contente pas d’allumer une bougie pour toute la famille les soirs de ‘Hanouccah, mais plutôt de demander à chaque membre de la famille d’en allumer une de plus que la veille. 

On retrouve dans la bénédiction donnée par Noé à son fils Japhet l’idée que la beauté  doit être secondaire à la sainteté : ‘’Tu résideras dans les tentes de Shem’’. Shem, lui aussi fils de Noé, était l’ancêtre du peuple juif. La beauté au service de la sainteté est utile. Quand elle ne sert qu’elle même, elle devient un tyran. 

Quand une personne ne se préoccupe que de son aspect, un seul petit bouton peut déclencher chez elle une crise d’identité.  

C’est là que réside le drame de Monica et des jeunes filles dont parle le Dr. Pipher. Si leur vision d’elles-mêmes se réduit à leur apparence, leur minceur ou leurs cheveux, alors elle peut voler en éclats comme une vulgaire statuette de plâtre. Un petit bouton va déclencher une crise d’identité, un kilo pris va la dévaster. Le Dr. Pipher cite même le triste cas d’une gentille fille aux cheveux trop frisés qui disait d’elle-même qu’elle est ‘’un chien’’. 

La réponse du judaïsme à ce ‘syndrome du paraître’ consiste à leur dire : tu es une âme. La valeur de ton être est immuable et intrinsèque à ta personne. Tu as été créée à l’image de Dieu, ce qui signifie que ton essence est sainte. Plus tu t’identifieras avec ton essence spirituelle, plus tu t’affranchiras de la tyrannie des Dieux grecs de l’apparence physique. 

Obéir au superficiel est un esclavage parce qu’il n’est jamais satisfait. Une fille anorexique ne se trouve jamais assez maigre. Une femme ne pourra jamais rivaliser avec la perfection des tops modèles, même si elle passe une heure à se maquiller consciencieusement. 

Ceux à l’inverse qui recherchent la sainteté parviennent toujours à se  satisfaire, parce que comme tout être humain ils portent en eux cette qualité  immuable. Il se peut qu’elle soit momentanément atténuée, mais elle n’est jamais absente. La sainteté est en outre l’apanage de tout un chacun. Peu d’entre nous naissent beaux, mais nos sommes tous nés saints.  

On y rencontrerait des hommes qui ne craignent pas les rides et les cheveux gris

À quoi ressemblerait notre monde s’il était géré par les valeurs humaines du Judaïsme ? On y rencontrerait des hommes qui ne craignent pas les rides et les cheveux gris, parce qu’ils savent qu’en vieillissant ils deviendront plus sages. On y verrait des jeunes filles décentes plus occupées à prier qu’à se pomponner, des maris amoureux de leur femme à cause de ses qualités et non à cause de son tour de taille. Et on rencontrerait des épouses qui ne s’inquiètent pas que leur mari les quitte un jour pour une autre plus jeune et plus mince. C’est à cela qu’aurait ressemblé une victoire sur les Grecs.

HUILE PURE OU MENORAH EN OR ?

Le Rabbin de la Vieille Ville de Jérusalem, le rabbin Avigdor Nebenzahl nous enseigne la leçon suivant e à propos de ‘Hanouccah. L’allumage de la Ménorah dépendait de deux conditions : d’une part qu’on dispose d’huile pure, et d’autre part qu’on ait une Ménorah en or. Or la magnifique Ménorah du Temple avait été pillée par les Grecs. Lorsqu’ils eurent reconquis le Temple, les Maccabéens avaient dû en improviser une nouvelle avec les moyens du bord. Ils l’avaient reconstruite avec leurs lances, faites de fer recouvert d’étain. Ce n’est que années plus tard que les Juifs purent refaire une Ménorah d’argent, sans parler d’une Ménorah en or qui ne fut fabriquée qu’après plusieurs dizaines d’années.

Si Dieu avait pu fournir de l’huile pure, pourquoi n’avait-il fourni également une Ménorah en or ?

Le Rav Nebenzahl répond en expliquant que l’huile, dont la pureté relève du domaine spirituel plus que du matériel, symbolise l’intériorité. La superbe Ménorah en or représente l’extériorité. La miraculeuse découverte de l’huile pure, mais pas de la Ménorah, est une sorte de déclaration aux Maccabéens de la part de Dieu que l’intériorité prime sur l’extériorité. Là réside la véritable victoire sur les Grecs.

L’HÉLLÉNISANT TAPI EN CHACUN DE NOUS

D’un point de vue historique, ‘Hanouccah fut une guerre civile. La plupart des Juifs citadins étaient devenus hellénisants et supportaient la culture grecque. Les Maccabéens ont bien dû combattre les soldats Grecs, mais leurs ennemis réels étaient les Juifs hellénisants qui se trouvaient dans leurs rangs.

Mary Pipher prétend que les responsables de la propagation d’une fausse image de la femme sont la culture, les médias et l’industrie de la publicité. Elle a raison bien sûr, mais l’ennemi réel est l’hellénisant qui se tapit en chacun de nous, cette partie de nous-mêmes qui s’émerveille devant l’apparence extérieure et s’y soumet. L’homme qui recherche la beauté d’une femme plutôt que ses qualités, la femme qui veut parfaire son corps plutôt que son âme. Celui qui dépense une fortune pour s’habiller mais qui hésite à donner 100 Euros à un pauvre. Les parents qui inculquent de fausses valeurs à leurs enfants, et ceux d’entre nous qui jugent quelqu’un sur son aspect et non sur ses actes.

Le Roi Salomon a résumé le système de valeurs juif il y a 2900 ans par cette phrase : ‘’La grâce est mensonge et la beauté est vaine ; seule la femme qui craint Dieu mérite d’être louée.’’

C’est à cela que nous devons réfléchir quand nous allumons la Ménorah en souvenir du miracle de l’huile, cette huile qui représente la prééminence de l’intériorité.

 

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