Spiritualité

Réflexion maïmonidenne sur l'attentat de Nice

28/07/2016 | par Yona Ghertman

Habitant à Cagnes-sur-Mer, où j’exerce en tant que rabbin, je vais toute la semaine sur Nice. Comment dois-je réagir lorsque mon cadre de vie devient la cible de cette violence terroriste à laquelle nous nous habituons douloureusement ?

Habitant à Cagnes-sur-Mer, où j’exerce dans la communauté juive locale en tant que rabbin, je vais toute la semaine sur Nice. J’y amène mes enfants à l’école après l’office du matin dans ma Synagogue, puis je me rends au Collel où j’étudie. Tous les jours, j’ai le privilège d’effectuer ce trajet avec la mer à ma droite et les montagnes en face. Je connais bien cette ville, où j’ai même habité durant une partie de mes études universitaires, ses recoins, ses chemins, ses paysages… Je m’y sens apaisé. Je n’oublie pas toutefois qu’en retrait de la vitrine touristique et du panorama magistral se trouvent des quartiers davantage défavorisés, que des vrais problèmes existent. Evidemment. Mais Nice n’en reste pas moins une ville dans laquelle l’atmosphère générale influe positivement sur le moral… Alors comment dois-je réagir lorsque mon cadre de vie devient la cible de cette violence terroriste à laquelle nous nous habituons douloureusement ?  

L’émotion ne doit pas me faire perdre de vue que les clefs pour entreprendre une réflexion constructive se trouvent dans notre Torah et ses commentaires. Au début de ses lois sur le jeûne. Maïmonide présente à première vue un discours religieux « classique » sur la nécessité d’une introspection lorsqu’un malheur survient. Un verset est rapporté pour justifier ses dires : « Lorsque vous irez en guerre, dans votre terre, contre l’ennemi qui vous attaque, vous ferez retentir les trompettes, alors l’Eternel votre Dieu se souviendra de vous et vous sauvera » (Nombres 10, 9). Le son des trompettes dont il est question est la « terou’a », l’une des trois sonneries du Shofar qui rappelle les lamentations [1]. Or si Maïmonide signifie par-là que le secours intervient lorsque les regards se tournent vers Dieu et l’implorent, le contexte du verset parle d’une guerre. Le fait d’implorer Dieu et de prendre conscience qu’un éloignement de notre part peut être la cause des maux qui nous frappent, n’exclue pas une action matérielle, sécuritaire et militaire lorsque les circonstances l’exigent.

La fin du verset conclut : « Et vous serez délivrés de vos ennemis ». Dans son commentaire sur ce passage, le Netsiv de Volozhine remarque que « l’ennemi » du début du verset est nommé « tsar », ce qui signifie davantage « l’oppresseur », alors que celui de la fin est nommé « oiyev ». Se fondant sur le Sifri, il propose alors de décomposer le verset en deux parties : la première traite d’attaques répétées des oppresseurs d’Israël, qui sont souvent impunis à travers l’histoire, alors que le second désigne la guerre finale, Gog et Magog, dans laquelle le secours de Dieu sera complet. Ce commentaire nous permet de comprendre pourquoi ce verset illustre-t-il le propos du Rambam : Le repentir et les lamentations vers Dieu constituent une attitude nécessaire, mais pas forcément une recette miracle apportant le secours, puisque celui-ci ne sera vraiment entier qu’à la fin des temps.

Par la suite, Maïmonide avance une idée personnelle : « Si on ne se lamente pas et qu’on suppose que cet évènement est simplement provoqué par la conjoncture du moment, et que ce malheur est accidentel, cette manière d’agir s’apparente à de la cruauté (…) » [2]. Pourquoi parler ici de « cruauté » ? On peut entendre que celui qui refuse de voir la main de Dieu dans ce monde manque de foi… Mais pourquoi serait-il « cruel » ? Dans son commentaire sur ce passage, le Divré Yrmiahou [3] explique que le judaïsme prône avant tout l’amour de Dieu. Croire que Dieu est capable d’envoyer gratuitement des souffrances, c’est refuser ce lien entre ses créatures et Lui. Or l’impossibilité de concevoir une relation d’amour s’apparente à de la cruauté. Rien n’arrive par hasard, Dieu ne laisse pas un terroriste massacrer des innocents sans raison…

Dans le même esprit, Maïmonide met par ailleurs en garde contre l’idée selon laquelle les souffrances envoyées à l’homme ont pour but de le grandir, et lui oppose l’adage talmudique suivant : « C’est uniquement du péché que vient la mort, uniquement des iniquités que viennent les souffrances » [4]. Il me semble que l’objectif de son discours est avant tout que le quidam n’imagine pas que Dieu puisse envoyer des malheurs sans raison, injustement [5]. Inutile cependant de s’improviser prophète en supposant telle ou telle cause à la détresse qui nous parcoure, appréhendant à tort la providence divine comme de simples devinettes… L’introspection ne consiste pas à trouver la cause exacte des malheurs qui nous parviennent, mais à prendre conscience d’un état d’éloignement avec Dieu. Il n’y a ici aucun systématisme, mais un processus de rapprochement en réponse à cet éloignement. Les théories fantaisistes selon lesquelles Dieu envoie au quidam des messages qu’il doit savoir déchiffrer n’ont aucun fondement sérieux dans nos textes. Même Eliphaz, le compagnon de Job, lui soutenant que la cause de ses souffrances ne peut se trouver que dans ses fautes, admet que Job lui-même ne soit pas en mesure de comprendre desquelles il s’agit [6].

Néanmoins, certains constats sont recommandés à condition qu’ils restent du domaine du rationnel, et qu’ils ne prétendent pas s’ériger en vérités absolues. En l’espèce, je remarque surtout que les informations vont vite, trop vite. Les images et vidéos nous parviennent aujourd’hui en direct. Pendant que notre monde s’accélère, le terrorisme suit le mouvement et utilise nos propres addictions aux réseaux pour nous attaquer. Nous sommes au cœur d’un problème qui nous concerne. Les temps changent et les symptômes du changement nous font mal. Nos yeux voient tellement de lumières virtuelles qu’il en devient difficile de regarder en nous. C’est pourtant essentiel. Le retour du soleil niçois en dépend, et nous le désirons ardemment.

Sources : 

[1]Voir TB Roch Hachana 33b.

[2] Hilkhote Taaniot 1, 3.

[3] Rav Yrmiahou Lev (Moravie, 19ème siècle)

[4] TB Shabbat 55b.

[5] Voir Guide des Egarés III, 24.

[6] Guide des Egarés III, 23.

Cet article a paru sur le site des études juives.

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