Témoignages Shoah

Kristallnacht : le meurtre par euphémisme

06/11/2013 | par rabbin Benjamin Blech

Pour perpétuer le souvenir de la Nuit de Cristal comme il se doit, nous devons avant tout renoncer à employer l’abominable euphémisme par lequel les Nazis la désignèrent.

Il y a soixante-quinze ans, dans la soirée du 9 au 10 novembre 1938, des foules déchaînées en Allemagne, en Autriche et dans la région des Sudètes assaillirent librement les Juifs dans les rues, à leur domicile, sur leur lieu de travail et de culte ; ce fut le déclenchement, soigneusement orchestré, de violences soutenues par le gouvernement. Au moins 96 Juifs furent tués et des centaines blessés, des centaines de synagogues brûlées, près de 7500 commerces juifs détruits, des cimetières et des écoles vandalisées et 30 000 Juifs arrêtés et envoyés en camps de concentration – dont beaucoup ne sont jamais revenus vivants.

De nombreux historiens considèrent cet événement comme le début réel de la Shoah, le premier pas vers l’extermination planifiée du peuple juif conduisant, au bout du compte, à la mort de six millions de victimes du programme de génocide des nazis.

Pour cette raison, il convient de toute évidence de commémorer cet événement prédisant l’horreur, la date infâme marquant le début de la spirale de haine inimaginable sévissant chez un peuple soi-disant civilisé.

Néanmoins, ce qui reste intolérable à mes yeux est le nom par lequel on continue de désigner cet événement.

Durant le mois de novembre, les communautés juives du monde entier se rassembleront à nouveau pour ne pas que la Nuit de Cristal tombe dans l’oubli. Mais sans même s’en rendre compte, elles vont, dans une certaine mesure, verbalement adhérer à cette pure hérésie qui a encouragé la Shoah.

Kristallnacht est la dénomination allemande de « Nuit de Cristal. » Et 70 ans après ces horribles événements de 1938, nous devrions avoir suffisamment de recul pour révéler le mensonge de cette horrible duperie en masse, qui incarne la funeste méthodologie de meurtre mise au point par les Nazis en matière de pogrom.

Après tout, comment les Nazis furent-ils à même de commettre leurs crimes sous le vernis de la respectabilité dans un monde dit civilisé ? En se penchant sur la question, la réponse est évidente. Ils glorifié le principe du crime par d’abominables euphémismes.

Des vérités déplaisantes enrobées d’un parfum de diplomatie

Dans le langage des meurtriers nazis, le Sonderbehandlung (« traitement spécial »), fut l’expression consacrée au gazage des victimes. L’euthanasie, c’était la façon « polie » d’évoquer le meurtre de masse de patients retardés ou physiquement handicapés. Arbeit Macht Frei (Le travail rend libre) étaient les termes qui accueillaient les nouveaux arrivants à l’entrée du camp de la mort d’Auschwitz. Lorsque les Nazis lancèrent leur plan destiné à exterminer les derniers Juifs de Pologne en automne 1943, ils le nommèrent Erntefest, soit la Fête des récoltes. Et l’emploi peut-être le plus cynique fut l’expression Endloesung der Judenfrage, en français : la Solution finale, pour traduire un concept pour lequel le langage civilisé n’a pas encore trouvé de terme. (Le terme de génocide a été introduit en 1944 par Raphaël Lemkin, qui s’était échappé de la Pologne occupée par l’Allemagne vers les États-Unis.)

Comme l’a brillamment exprimé Quentin Crisp, les euphémismes sont « des vérités déplaisantes enrobées d’un parfum de diplomatie. Selon le niveau d’interprétation le plus simple, l’appellation de Kristallnacht suggère le plus terrible dans cette histoire était la quantité phénoménale de vitres brisées qu’il faudrait remplacer. Cette perte financière causée par un vandalisme gratuit et sauvage a été par la suite compensée par le gouvernement en imposant des taxes sur la communauté juive afin de réparer les dommages qui lui avaient été infligées.

Mais ce n’est pas tout. Selon le Dr. Walter H. Pehle, un historien spécialisée dans l’Allemagne contemporaine, l’objectif initial derrière le nom « Kristallnacht » était de faire de la propagande, en tout cynisme, en faveur de la violence afin d’en faire une valeur métaphoriquement auréolée d’un éclat et d’un rayonnement exceptionnels pour l’Allemagne.

Cette interprétation m’a été confirmée lorsque j’ai tapé « nuit de cristal » en anglais sur Google. J’ai été surpris de trouver parmi les nombreuses références à cette nuit de terreur en 1938 une publicité vantant les mérites des nouvelles ampoules d’éclairage Nuit de Cristal C7 destinées à des bougies électriques pour leur éclat et leur rayonnement étincelants.

C’est cette connotation même que Goebbels, ministre allemand de la Propagande, souhaitait souligner : il aspirait à décrire ce moment qu’il voulait immortaliser comme une prédiction brillante et scintillante de son projet de se débarrasser à l’avenir de ses « parasites juifs. »

Nous devons dire haut et fort que nous ne commémorons pas des vitres brisées, mais bien des vies fauchées.

Pourquoi choisirions-nous d’identifier la nuit qui inaugura les meurtres de masse par un terme qui non seulement ignore toute autre dimension que le verre brisé, mais glorifie en fait ses conséquences comme des bienfaits de lumière en cristal, une manière de céder aux vérités déformées de l’idéologie nazie ?

Pour perpétuer le souvenir de la Nuit de Cristal, nous devons avant tout renoncer au titre attribué par les Nazis.

Nous devons dire haut et fort que nous ne commémorons pas des vitres brisées, mais bien des vies fauchées.

Nous devons nous engager à ne jamais permettre le mal de pénétrer dans notre vie sous le masque de la bonté et la noblesse.

Nous devons déclarer qu’aucun euphémisme ne sera plus toléré pour couvrir les horreurs qu’ils ont l’intention de dissimuler.

Il faut commémorer la Kristallnacht, mais il faut que cet événement soit désigné par un nom qui capture de manière réaliste son essence inique. Permettez-moi de suggérer qu’on le nomme plutôt Kainsnacht, la « Nuit de Caïn », le premier meurtrier du tout début de l’histoire de l’humanité, qui fut maudit par Dieu et condamné à porter une marque de son crime sur son front pour le reste de ses jours, en tant qu’avertissement pour l’humanité sur la gravité de cette faute.

Ce serait une manière de lier cette date commémorative non pas à des actes de bris et de vandalisme de la part de foules déchaînées, mais plutôt à un crime bien plus odieux, le meurtre impardonnable commis à l’origine par Caïn.

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