Ticha Béav

Ressentir le Vide

24/07/2011 | par Tsipporah Heller

On ne peut vraiment pleurer sans avoir connu la vraie joie.

Le deuil n’est jamais une période facile, et n'est d’ailleurs pas supposé l’être.

Se trouver face à un vide dont on ne peut se distraire par une occupation quelconque ou par un substitut, est l’une des plus profondes expériences de la vie. En présence de certains deuils, même les mots les plus soigneusement choisis paraissent insipides, voire condescendants. Et lorsqu’il n’y a plus rien à dire, le silence devient éloquent.

La douleur causée par certaines pertes est parfois trop grande pour être exprimée, et tellement immense que l'esprit est incapable de les saisir, préférant nier. Prenons conscience que le passé des survivants de l'Holocauste comporte des épisodes qui ne pourront jamais être exprimés, et moins encore digérés. Nous commencerons alors à saisir la signification du silence terrifiant qui accompagne un tel deuil. 

En son temps, le Temple nous permettait de vivre la spiritualité de manière tangible

Sans mots pour s’exprimer, il n’existe aucun moyen de transmettre l’information. Il en résulte tragiquement que bien souvent, les pertes les plus profondes sont celles qui sont les moins comprises, et souvent les plus vite oubliées. Pour nos arrières petits-enfants, l'horreur de l'Holocauste pourrait ainsi devenir une relique poussiéreuse de l’antique mémoire, à l’instar de ce que représente pour nous l'Inquisition. 

Aujourd’hui, nul ne peut appréhender l'énormité du deuil que représente la destruction du Temple de Jérusalem. En son temps, le Temple nous permettait de vivre la spiritualité de manière tangible. La présence divine était perceptible sur chaque pierre, dans chaque recoin, sans aucune intervention intermédiaire

Depuis des millénaires, nous portons le deuil de notre perte du contact avec le Divin. Les mots pour en exprimer la teneur nous font désormais défaut. Nous pratiquons ce deuil, mais les mots nous manquent pour le rendre tangible, appréhendable.

Essayons de nous représenter ce que peut signifier au 21ème siècle, la destruction du Temple, survenue il y a deux mille ans. 

Privés des moyens d’exprimer notre spécificité, il ne peut y avoir d’épanouissement spirituel.

L’appellation hébraïque du Temple, « Beit HaMikdash», signifie littéralement "La Maison Sainte ". Une maison est, par définition, le lieu où l’on se sent protégé et en sécurité, où notre identité peut librement s’exprimer.
Depuis que nous sommes dépourvus d'un “foyer”, le monde nous est devenu inhospitalier. Face au spectre d’une persécution incessante, il ne peut y avoir de sentiment de sécurité. Privés des moyens spirituels d’exprimer notre spécificité, moyens sans lesquels notre existence collective devient douloureuse et insipide, il ne peut y avoir d’épanouissement spirituel. 

Le besoin d'exprimer notre être le plus profond, celui qui se manifeste lorsque nous sommes en quête de justice, se reflète dans la structure de notre société. Nos actes de bienveillance et notre générosité révèlent notre besoin collectif de donner. C’est vrai, nous sommes un peuple très lié, mais nous manquons de quiétude. La sérénité intérieure à laquelle nous aspirons nous fait profondément défaut, nous n’avons pas encore atteint le but. 

D’autres religions ont fait de s'élever au-dessus des tentations matérielles un idéal

Le monde matériel, d’une certaine manière, nous comble. Mais il nous détourne aussi de la recherche de notre véritable identité, et finit par nous corrompre. Certes, d’autres religions ont fait de s'élever au-dessus des tentations matérielles un idéal. Mais nous Juifs voyons dans la beauté et la puissance de ce monde les catalyseurs de notre potentiel à vivre une vie pleine de sens, c’est pourquoi nous l’acceptons. Mais notre monde extérieur et notre monde intérieur restent souvent des royaumes séparés.  

Dans le Temple, le monde spirituel n’était pas assombri par le matériel. Les deux mondes coexistaient harmonieusement par le biais de la Présence divine. 

Dieu Lui-même est appelé « Le Lieu ». Il est, par définition, le Lieu dans lequel le monde existe. Aujourd’hui. l’attrait de la matérialité nous rend aveugles à la Présence Divine, et nous nous épuisons à poursuivre ce que le monde ne peut réellement nous apporter. Mais dans le Temple, il en allait différemment : les pierres révélaient plus de sainteté qu’elles n’en dissimulaient, c’était un lieu de joie intense. Entre ses murs, nous étions vraiment chez nous. Nous étions le meilleur de nous-mêmes. 

Le Temple était le ciment de notre peuple. Non seulement y étions « chez nous », mais nous pouvions également y développer une identité collective. Nous étions une seule famille, avec des objectifs communs, mais aussi des rôles individuels. Dans un tel contexte, les différences entre individus s’estompaient pour céder la place à la seule aspiration au Bien. 

A présent que notre capacité à voir ce qui nous lie et à exprimer notre bienveillance réciproque nous ont été retirés, notre vision de l’Autre s’est corrompue. Inexorablement, nous sommes conduits à nous focaliser sur les différences qui nous séparent. Notre sens de la justice se flétrit en un négativisme permanent et une critique acerbe, qui mènent inéluctablement à une haine absurde. 

La haine est absurde lorsqu’il n’y a aucun désir d'améliorer nos relations avec les autres. Le simple fait qu’ils soient « les autres », suffit pour les craindre d’abord, puis pour les haïr. Plus l’Autre est différent, plus il nous semble menaçant.  

La crainte de l’Autre nous a catapultés sur une trajectoire de rectification qui dure depuis 2.000 ans

La destruction du Temple a été  causée par la haine gratuite. La crainte de l’Autre, empreinte de chauvinisme et de xénophobie, nous a catapultés sur une trajectoire de rectification qui dure depuis 2.000 ans. Aujourd’hui, notre retour physique sur la terre d'Israël nous a dotés, pour la première fois depuis des siècles, d’un moyen concret de redéfinir notre identité nationale. Mais malgré les quelques signes semblant indiquer que nous sommes dans la bonne direction, nous ne sommes toujours pas  revenus « au foyer ».   

LA CLÉ  DE LA DELIVRANCE: L'AMOUR SANS RAISON

Retrouverons-nous un jour notre véritable foyer ? Existe-t-il un moyen d’y parvenir ?  

C’est ainsi que cessera le deuil de notre identité perdue

La solution proposée par Maïmonide a souvent été décrite comme « l’amour sans raison » : tendre vers l’autre sans intérêt personnel. Cette méthode est capable de nous transformer, en modifiant le regard que nous portons sur notre prochain. 
 

• Parler positivement des autres, faire partager notre joie d'avoir entrevu leur beauté intérieure. Parler positivement nous relie, et nous fait prendre conscience que nous formons une seule et même équipe. 

• Subvenir matériellement à nos prochains. Prendre conscience d’à quel point notre corps nous rend fragiles et dépendants, nous rend plus indulgents et tolérants.  

• Rechercher les circonstances qui font honneur à notre prochain. Ce faisant, nous l’aidons à se valoriser à ses propres yeux, et nous évitons les pièges liés au fait d’occuper égoïstement le milieu de la scène. 

Cette méthode en trois étapes est d'une simplicité trompeuse, car en dépit des apparences, c’est un processus capable  de nous métamorphoser de façon spectaculaire. Il peut non seulement transformer notre relation avec autrui, mais également nous conduire à nous redécouvrir nous-mêmes. C’est ainsi que cessera le deuil de notre identité perdue, et que sècheront les larmes versées pour les tragédies nationales qui nous ont accablés. 

Tish’a BeAv, jour où nous avons perdu le premier et le second Temple, est également le jour où, il y a 500 ans, les édits de l’Inquisition furent promulgués. C'est aussi en ce jour fatidique qu’a débuté en 1914 la Première Guerre mondiale, qui à son tour déboucha sur la pire des atrocités que l'humanité ait jamais connu : l'Holocauste. 

Pendant deux millénaires, le peuple juif a été la cible de la haine et de la persécution. Il semblerait que tout compte fait, la haine des Nations nous unisse davantage que l’amour de notre prochain. Pourtant, il pourrait en être autrement. Il suffirait de laisser l’amour prendre le pas sur la haine, et l’appréciation d’autrui sur la critique incessante. 

Dieu Lui-même nous l’a promis : une fois ce changement opéré, nous mériterons enfin de retrouver notre foyer.

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